Étienne Le Roy, l'un des pères de l'anthropologie du droit dont le creuset a été la connaissance des formes de partage de la terre dans les cultures africaines, nous propose dans cet ouvrage de mettre ce savoir au service d'une compréhension des communs émergents dans nos sociétés modernes. Déroulant le fil de la juridicité des communs, l'auteur nous amène à distinguer les néo-communs, ceux qui sont produits par la société capitaliste elle-même pour en comprendre toute la complexité et dégager les implications autant politiques et juridiques que scientifiques de leur émergence. Ouvrage posthume, La révolution des communs et le droit nous transmet toute l'énergie que son auteur n'a cessé de puiser dans le dialogue interculturel et la conviction que le pluralisme normatif nous apporte des outils pour nous projeter dans la postmodernité.
Following a chaotic political decolonization, from 1975 to 2000, the Comoros failed to sustain the extension of private land ownership pursued since the beginning of the twentieth century and to implement land reform prepared with the assistance of the FAO and the UNDP but abandoned after the assassination of the President of the Republic in 1989. This reform was based on a form of heritage management recognizing the plural and complementary nature of modes of securing land tenure. It was resumed at the beginning of the 1990s as a "reformation," that is, an informal policy, and translated into best practice by Comorian agricultural engineers with a view to stabilizing and then improving the productivity of small family farms, which are overwhelmingly predominant in the three islands. In doing so, they came face to face with the "challenge of the commons" translated into new operational strategies while recognizing the diversity of groups, interests, and resources as well as the strongly hybrid nature of local management regulations that helped make customary norms and proprietary procedures complementary. The result was the coexistence of what can be called a "primo-commons" inherited from ancestral practices and a "neo-commons" influenced by the market and opening up the Comoros to international trade and modernity.
La question des Communs fait un retour remarqué sur la scène intellectuelle et politique en remettant en cause tant notre rapport addictif à la propriété que nombre de constructions institutionnelles (l'État, le droit, le Marché) que nous croyons naïvement acquises et universalisées. Pour en comprendre les enjeux, il faut tout d'abord en saisir l'originalité initiale et radicale par le détour anthropologique d'expériences outre-mer puis apprécier ses modes particuliers de confrontation contemporaine au marché généralisé et capitaliste. Nous vivons ainsi une double révolution, comme redécouverte « copernicienne » de relations précapitalistes et comme rupture possible avec l'ordre propriétariste suggérant un dédoublement fonctionnel de la notion de Communs.
Jean Carbonnier était-il anthropologue du droit ? Une telle perspective aurait honoré et enrichi cette discipline, mais la réponse apportée doit être négative, pour deux raisons principalement. D'une part, l'horizon de sa démarche reste celui de la tradition occidentale, sinon même civiliste. D'autre part, son souci de la description « ethnographique » ne le conduisait pas à des généralisations ou à des lois scientifiques dont il semblait se méfier.
POLEMICIST'S CORNER Etienne Le Roy — Rights-markets and market of Law Rights-markets are the latest mechanisms invented for two centuries to adapt market and property patterns to a plural reality or to plural logics. The diversity of their application renders them unavoidable in the domains of environmental management and economic analysis. And yet Law as such is strikingly absent from such developments though markets deal with « rights », which therefore raises issues of definition and application. The relationships between rights and the market are more complex and delicate to interpret than is often imagined. There may hence be a need to re-launch the dialogue between economics and law, by way of legal anthropology.
Le mode d'emploi de la médiation peut se lire de deux façons, par les pratiques (ou les procédures) mises en œuvre et par les fins sociales poursuivies. Forme négociée du règlement d'un problème, la médiation prend un caractère particulier selon que ce problème est un différend, un conflit ou un litige, qu'il s'inscrit dans une idéologie de la pacification ou qu'il devient une marchandise, soumis aux lois de l'échange et de la valeur. Mais, comparativement au droit, la médiation se révèle surtout un mode original de gestion du lien social quand les armistices sociaux que sanctionnait le droit doivent être renégociés. La médiation est donc la procédure de l'âge post-moderne.
Étienne Le Roy nous a quittés le 28 février 2020, dans sa 80 e année. En décembre 2019, au détour de l'un de nos échanges réguliers, je lui avais proposé de participer à la préparation de ce numéro sur les (in)dépendances africaines, dont il avait apprécié « l'insolence de l'intitulé ». Il m'a fait l'amitié d'accepter cette proposition, et nous avions convenu de l'intérêt de centrer ce texte sur le besoin de décolonisation juridique des États africains francophones. Fidèle à sa volonté de transmission et de partage, Étienne a poursuivi ses travaux d'écriture dans les derniers mois de sa vie avec plusieurs ouvrages complémentaires. Il a notamment confié en héritage au comité technique « Foncier et développement » un texte sur son cheminement intellectuel sur les questions foncières (Le Roy, 2019b). À la suite de ce témoignage sur six décennies de recherche et d'engagement, il a souhaité ici livrer une autre contribution, sous forme de discours de la méthode, appelant à la production d'un droit authentiquement nouveau, fondé sur la reconnaissance des pluralismes juridiques et institutionnels. Comme le disait Étienne, « derrière le prétendu droit coutumier, il y a un univers juridique qui émerge avec "le faire, les actes posés et les comportements ritualisés", une juridicité relevant d'une logique à l'état pratique totalement ignorée des juristes ». C'est sur la base de l'observation de ces pratiques qu'il propose une démarche de médiation pour accompagner de nouvelles formes de production normative. Ce texte constitue l'un des derniers témoignages académiques d'Étienne Le Roy. Il raisonne comme une invitation à l'introspection et au questionnement pour amorcer une démarche de décolonisation juridique fondée sur les pratiques normatives endogènes. Telle une boussole, ces principes pourront aider celles et ceux qui souhaitent se lancer dans ce voyage fondateur. Merci à Étienne et à sa famille de nous avoir fait l'honneur et l'amitié de nous confier cette part d'héritage et d'avoir accepté la publication de ce texte dans ce numéro d' Afrique contemporaine .