Ce que la littérature fait au droit: le cas Emmanuel Carrère

Abstract

Dans "D'autres vies que la mienne", Emmanuel Carrère décrit minutieusement le combat mené par quelques juges français contre les abus des sociétés de crédit à l'encontre de clients surendettés. Dans ce cadre a priori rebutant, Carrère parvient à déconstruire les mythes, au fondement de la science juridique, de l'universalité et de la neutralité axiologiques du droit et des juristes. Le récit de Carrère dévoile ainsi ce que la dogmatique juridique s'applique à masquer, aussi bien en ce qui concerne la place prépondérante que les juges prennent à la construction et à l'évolution du droit que sous l'angle des rapports de forces à l'œuvre dans le champ juridique. Ce faisant, la non-fiction de Carrère permet de montrer la part prépondérante de fiction que recèle le droit, condition sine qua non de l'acceptabilité, et donc de l'efficacité, de la violence que sont en mesure d'exercer les agents du système juridique. ; In "D'autres vies que la mienne", Emmanuel Carrère carefully describes the fight of some French judges against the abuses of credit companies against their over-indebted clients. In this a priori repulsive context, Carrère manages to deconstruct the myths, which form the fundament of legal science, of axiological universality and neutrality of law and jurists. Carrère's book thus reveals what legal dogmatism seeks to mask : the preponderant place that judges occupy in the construction and evolution of law and power relations which characterize the legal field. In doing so, Carrère's non-fiction allows us to show the preponderance of fiction contained in the law, which is a condition sine qua non of the acceptability, and therefore of the efficiency, of the violence that the agents of legal systems are able to exercise. ; Peer reviewed