Open Access BASE2014

DIFFÉRENTES APPROCHES THÉORIQUES DU MOUVEMENT DES SANS TERRE AU BRÉSIL - Parte II

Abstract

III) DIFFÉRENTES APPROCHES THEORIQUES DU MSTL´approche par les Nouveaux Mouvements Sociaux (NMS).Il paraît inconcevable à première vue, et en se basant sur la définition même des préceptes des NMS, de classer le MST parmi cette "nouvelle" catégorie de mouvements sociaux. Si une caractéristique des NMS semble générer le consensus parmi les critiques, c´est bien leur nature post-matérialiste. On assisterait alors à une espèce nouvelle d´organisation sociale présente uniquement dans les pays occidentaux et développés, là où la révolution silencieuse du changement des valeurs dont parlait Inglehart (1977) aurait conduit au dépassement des affrontements et préoccupations traditionnels des sociétés capitalistes industrialisées. Or, et en défendant cette thèse, il ne semble avoir rien de plus "matérialiste" que la lutte pour la terre, son partage et son utilisation. Le précepte fondateur du MST s´inscrit bien dans une dialectique marxiste d´exploitation et de rébellion des travailleurs opprimés face à une élite capitaliste. On est, certainement, bien loin des préoccupations post-matérielles.D´autres composantes des NMS ne se retrouvent pas non plus dans le MST. En particulier leur approche culturelle plus que politique. Le consensus général sur les NMS c´est qu´ils sont apolitiques, ou pré-politiques (Buechler, 1995 : 451) dans la mesure où leurs actions ne sont pas orientées à la modification des structures de pouvoir présentes dans la société ni à une lutte pour celui-ci. Pour Mellucci (1989), leur nature apolitique leur permettrait d´échapper aux formes de cooptation traditionnelles dont sont victimes les mouvements politiques dans toute étape de négociation et représentation. Dans ce sens, le MST, de par leur lutte pour la représentation et la négociation permanente avec les différentes autorités politiques pour la reconnaissance des droits des travailleurs sans terre, se positionne clairement comme un mouvement politique.Une autre caractéristique classique des NMS, quoique sujette aux critiques, serait l´importance réduite des loyautés de classe parmi ces nouveaux acteurs. Ces mouvements prétendent dépasser les anciennes divisions fondées sur la classe, la race, le genre ou autre facteur socio-structurel pour tendre à une conscience unique sur les nouveaux enjeux de la civilisation postmoderne (Buechler : 453, 1995). Dans la pratique, cette union sacrée des différents acteurs sociaux est loin d´être parfaite. Les NMS présentent tout de même un profil de classe relativement distinct, ce que l´on appelle la nouvelle classe moyenne. Pour Klaus Offe (1985) le support des NMS viendrait de la nouvelle classe moyenne, une partie de l´ancienne classe moyenne et de certains groupes "écartés" du marché du travail. Pour ce qui en est du MST, il parait évident qu´il s´agit d´un mouvement "à l´ancienne", où l´articulation du mouvement se fait justement sur une notion de classe traditionnelle, entre travailleurs et capitalistes, entre exploitants et exploités. La conscience de classe donne sa force et la raison d´être du MST.Néanmoins, certaines caractéristiques du MST, en particulier son organisation et certaines de ses méthodes d´action, pourraient parfaitement prendre leur place dans la définition des caractéristiques-type des NMS. Un important point de recoupement entre un NMS et le MST c´est leur structure organisationnelle. Pour Nelson Pichardo, les NMS s´organisent d´une façon fluide et non rigide pour éviter l´oligarchisation du mouvement, le leadership est changeant et ils votent de manière communale sur les différentes affaires (Pichardo, 1997 : 416). Leurs structures sont en conséquence moins hiérarchiques, plus souples et décentralisées. Le MST s´organise lui, d´une façon collégiale. Il n´y a ni président, ni secrétaire général, ni trésorier. L´organe décideur est le "Congrès National", élu tous les cinq ans. Il existe également différentes commissions exécutives par Etat (23). A l´intérieur des différents camps se créent des commissions d´administration et coordination des actions du mouvement. Les différentes communautés paysannes qui s´organisent pour l´occupation et l´exploitation de la terre ont une large autonomie de manœuvre par rapport aux orientations générales définies par le MST (Harnecker : 89, 2003), sous le principe que chaque communauté doit faire face à des réalités particulières et doit donc être capable de définir la voie qui s´ajuste le mieux à sa propre réalité. Il n´y a pas, en théorie, deux communautés identiques, mais toutes partagent certains traits caractéristiques qui affirment leur appartenance au MST (Stedile, 2003).Un dernier point de similitude entre le MST et un NMS c´est leur répertoire d´action. Le répertoire des NMS est divers et varié, caractérisé par des formes de participation et protestation non-traditionnelles1, disruptives et destinées à mobiliser l´opinion publique grâce à des coups spectaculaires et visibles (Pichardo, 1997 : 415) : Les marches, les mobilisations, les occupations, les sit-in, les détournements de convois, sont toutes des formes prééminentes d´expression des NMS. Le MST a lui aussi recours à des tactiques de mobilisation non-traditionnelles, deux en particulier: "occuper et camper". L´occupation peut revêtir plusieurs formes, il peut s´agir d´une occupation limitée, destinée à occuper un espace précis ou délimité, ou une occupation massive lorsque le mouvement réalise qu´il y a d´autres terrains adjacents qui peuvent aussi être occupés; s´ensuit alors un processus d´expansion par les occupants. Le MST s´engage aussi dans d´autres formes de mobilisation comme les marches et les manifestations pour tenter d´influencer le pouvoir politique et faire connaitre leurs revendications à l´opinion publique.Ainsi, s´il semble que l´on ne puisse en aucun cas cataloguer le MST dans la catégorie des NMS, on peut constater néanmoins que certaines caractéristiques des NMS, particulièrement les formes d´organisation et participation, sont transposables à d´autres mouvements comme le MST.La mobilisation par les ressourcesUne deuxième approche classique dans l´étude des mouvements sociaux c´est l´approche par les ressources. Contrairement aux premières théories de l´action individuelle ou les breakdown théories qui cherchaient à comprendre ce qui motive les individus à se mobiliser, l´approche par les ressources s´intéresse au comment et non au pourquoi de la mobilisation. Pour McCarthy et Zald (1977) la théorie de la mobilisation par les ressources met l´emphase sur les liens entre disponibilité de ressources, les structures organisationnelles du groupe ainsi que les stratégies d´action des groupes. Stratégies, ou répertoires, qui sont le produit des infrastructures en place et du développement historique des formes d´action.Une notion clé de la théorie des ressources est celle d´intégration verticale ou horizontale des groupes développée par Anthony Oberschall (1973). La dimension horizontale fait référence aux liens qui unissent les membres d´une même communauté entre eux, le niveau de cohésion, l´allégeance à des leaders ou à des référentiels communs. L´intégration verticale se réfère au niveau de stratification de la société en général et aux liens qui unissent les différents groupes entre eux. Une intégration verticale forte implique des divisions marquées des taches et un éloignement entre le centre et la périphérie. Un groupe est intégré lorsqu´il a accès aux autorités et peut raisonnablement faire valoir ses demandes. Un groupe est au contraire segmenté lorsqu´ il ne dispose pas de canaux réguliers et se trouve isolé par rapport au centre du pouvoir. Lorsque le groupe est fortement intégré horizontalement, mais segmenté au niveau vertical, le risque c´est de voir des mouvements de protestation qui auront recours à la force et à la violence alors que s´il est intégré verticalement, on assisterait à des luttes communautaires pour l´accès au pouvoir central.Les principales critiques que l´on puisse faire à la théorie des ressources sont, tout d´abord, la nature quasi-tautologique de la définition des ressources. En effet, il existe un consensus sur la définition de ressources, car est une ressource tout ce qui aide à la mobilisation, donc les ressources n´existeraient pas à priori mais à posteriori dans la mesure qu´elles aident ou non à la mobilisation. Une critique plus sérieuse c´est la faiblesse de la théorie pour résoudre la question de l´engagement individuel.Cette approche nous permet de considérer le MST sous un nouvel angle, celui de l´intégration horizontale et verticale. Sur le plan des liens communautaires, on peut avancer que le groupe est fortement intégré. Le moteur unificateur se trouve dans le partage d´un idéal commun et l´appartenance à une même classe sociale, celle des travailleurs sans terre, les laissés pour compte de la marche en avant, du progrès technologique et de l´accumulation capitaliste. Même si l´on a vu que le MST est composé d´une multitude de communautés éparpillées dans un pays immense et que chaque communauté dispose d´une marge de manœuvre relativement importante, toutes les communautés se réclament membres du mouvement. C´est par cette union et cette conscience collective que le MST peut revendiquer son rôle comme un acteur important dans la vie socio-économique du Brésil. Il ne s´agit pas ici d´une centaine de personnes mécontentes de leur sort, mais bien d´un mouvement qui mobilise de centaines de milliers de familles dans un but commun et avec un répertoire d´action similaire2.L´intégration verticale du MST est plus complexe. Certes le mouvement dispose de canaux légaux et des moyens de pression sur les autorités, il n´est pas moins vrai que le mouvement n´est pas parfaitement intégré à la société brésilienne, ses revendication ne sont pas partagées par une importante partie de la population et leurs actions se déroulent souvent dans l´illégalité, d´où l´importance de l´accès au pouvoir et d´une importante capacité de négociation pour éviter des situations violentes, assez courantes par le passé. L´incompréhension des uns et des autres conduit souvent à l´affrontement.On a vu que la définition de ressources peut être assez large. Parmi les ressources dont dispose le mouvement, et toujours selon la vision de que tout ce qui peut favoriser la mobilisation est une ressource, on peut en citer quelques unes. En premier lieu la taille même du mouvement est un atout non négligeable. Le nombre est parfois le meilleur moyen de pression et, qui plus est, le potentiel électoral des laissés pour compte dans un pays comme le Brésil, et il ne s´agit plus ici exclusivement du MST, est suffisamment important pour que l´establishment politique réfléchisse sérieusement avant d´attaquer frontalement le problème. Une deuxième ressource importante c´est le répertoire d´action développé par le MST : les stratégies d´occupation et de protestation ont évolué avec les ans pour être plus efficaces. Le mouvement conseille même juridiquement ses membres sur les meilleures options à suivre et toute une série de garde fous sont présents pour optimiser les résultats. On peut ou non être d´accord avec le mouvement et ce qu´il représente, mais une chose est certaine, ce n´est pas une meute affamée, comme certains ont pu penser, qui dévale les pentes en quête de pillage.La Structure des Opportunités Politiques (POS)Une dernière approche peut permette d´observer le MST sous une nouvelle perspective, celle de la structure des opportunités politiques. La POS tente d´expliquer la mobilisation par les conditions de l´environnement structurel qui vont conditionner les chances et les formes de mobilisation. La théorie se focalise aussi sur les facteurs culturels et symboliques qui affectent les perceptions de cet environnement.Un des premiers à travailler sur cette question fut Peter Eisinger (1973) lorsqu´il analysa le degré d´ouverture ou de fermeture d´un système politique pour expliquer les mouvements de protestation. Son principal apport est la découverte d´une relation curviligne entre ouverture-fermeture et niveau de protestation. Il conclut que lorsque un système est fermé (peu de possibilités d´accès pour les citoyens ordinaires et très faible implémentation et control des politiques publiques par les autorités), la protestation est quasi nulle (ou prend alors des formes très violentes). A mesure que le système s´ouvre, la protestation augmente car les individus voient des brèches dans le système et des espaces à prendre. A mesure que le degré d´ouverture augmente au delà d´un certain seuil, diminue la protestation car dans un système parfaitement ouvert les individus sont incorporés d´office dans la gestion des affaires (Eisinger, 1973:27).Kitschelt complétera cette approche en ajoutant une nouvelle dimension. Il ne se focalise plus uniquement sur la composante d´ouverture du système, mais également sur la capacité du système à donner des réponses aux demandes. Il s´agit donc d´un double processus ou il faut aussi bien analyser les inputs (l´ouverture du système) que les outputs (la réponse du système.). Pour évaluer le degré d´ouverture du régime politique l´auteur propose 4 indicateurs (Kitschelt, 1986 :63) : 1) Nombre de partis politiques et de groupes qu´articulent les demandes dans la cadre électoral. Plus ce nombre est important, plus il y a de chances que le système soit ouvert. 2) Le degré d´ouverture augmente avec la capacité du pouvoir législatif à élaborer et contrôler les politiques publiques avec indépendance du pouvoir exécutif. 3) Un système pluraliste est censé être plus ouvert que les systèmes corporatistes. 4) L´ouverture dépend en dernière instance de la capacité de formaliser les demandes à travers des coalitions viables. Ces quatre facteurs vont caractériser le degré d´ouverture ou fermeture du système. La capacité du système de répondre et d´implémenter des politiques en réponse aux demandes dépend de 3 conditions : 1) Le degré de centralisation de l´Etat. 2) Le contrôle de l´Etat sur l´économie, le marché et les finances.3) L´ indépendance du pouvoir judiciaire.Considérons ici le degré d´ouverture du système, c´est à dire la volonté et capacité du système à incorporer les demandes du MST ou au contraire de les rejeter ou même réprimer le mouvement. Pendant la dictature le système était fermé. Une preuve de cela c´est qu´aucun des mouvements historiques qui précédèrent le MST ne réussirent à survivre pendant les années de répression et seulement le processus de transition permit l émergence progressive du MST. Par la suite, la négociation avec les gouvernements démocratiques connu des hauts et des bas. Entre sa création en 1985 et 1990, le mouvement grandit sans discontinuer et les occupations se multiplièrent face à la relative clémence des nouvelles autorités démocratiques qui mirent sur pied en 1986 un programme spécial de crédit agricole, le Procera, destiné à permettre l´achat de semences et outillage agricole avec des taux d´intérêts très bas. Ce même programme fut par la suite éliminé par Fernando Henrique Cardozo en 2000. En 1990, avec le triomphe de la droite et de Collor de Mello, les perspectives s´assombrirent pour le mouvement. Le nouveau gouvernement avait une politique beaucoup moins tolérante vis-à-vis du MST et l´une des premières actions fut de réprimer violemment le mouvement et entreprendre des actions légales à son encontre. Ceci conduit le MST à radicaliser sa posture et orienter sa stratégie sur la résistance (Stedile, 2003).Suite à la destitution de Collor de Mello en 1992 pour des affaires de corruption, le nouveau gouvernement acceptait de négocier à nouveau avec le MST, et un président de la république reçu pour la première fois une délégation du MST. A partir de 1995, le gouvernement de Cardozo et le MST ont expérimenté des cycles d´amour-haine, qui se sont soldés par une énorme marche sur Brasilia du mouvement en riposte à la politique d´isolation que pratiquait le gouvernement suite à une grande vague d´occupations qui eut lieu en 1996. Par la suite, dès son accès au pouvoir, Lula promis au MST une importante reforme agraire, mais, suite à ses promesses non tenues et la poursuite du modèle agro-exportateur, le MST se distancia officiellement du président Brésilien.On peut constater que la structure des opportunités politiques influence, au moins en partie, le comportement du MST. Dans un système fermé ou partiellement fermé, le mouvement a peu de chances de survie. Si le système a recours à la répression, le mouvement radicalise sa position et adapte ses stratégies en conséquence. Si le système s´ouvre et tend la main, le MST coopère et va même jusqu´à proclamer son support à un candidat. Le MST, à travers ses dirigeants, a même soutenu la candidature de Dilma Roussef.IV) CONCLUSIONIl est possible de s´attaquer au même problème avec des approches diverses et des théories différentes. Dans la quête du paradigme parfait on oublie souvent que les théories ne peuvent expliquer qu´une partie de la réalité, et qu´en conséquence la nécessité est grande de regarder ailleurs. L´étude des mouvements sociaux n´échappe pas à ce phénomène de complémentarité entre approches, et si certaines sont plus renommées que d´autres c´est aussi car le poids de la recherche s´oriente plutôt vers cette direction et non pas ailleurs. Le mouvement des Sans Terre au Brésil représente une possibilité intéressante de contraster et comparer diverses théories. Ces revendications ne sont pas nouvelles mais ont tendance à être oubliées dans une société de surabondance où, pour une partie de l´humanité ces questions font partie du passé, alors que pour une autre partie, elles sont biens réelles.1. Les formes de participation traditionnelles ont recours aux canaux officiels pour faire valoir leurs demandes ou leurs opinions, comme le vote, la participation politique, le recours à l´administration, etc.2. Jusqu´à l´an 2000, le MST aurait permis l´accès à la terre à plus de 300000 familles paysannes (Harnecker, 2003 :7).Germán Clulow es Licenciado en Estudios Internacionales por la Universidad ORT –Uruguay, Master en Ciencia Política por la Université de Genève – Suiza, y Master en Estudios de Desarrollo por el Instituto de Altos Estudios Internacionales y de Desarrollo (IHEID-The Graduate Institute) Ginebra, Suiza.

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Spanisch, Kastilisch

Verlag

Letras Internacionales

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