La transition des années 70 en termes de politique industrielle. Vers l'abandon de la politique des champions nationaux
Cette contribution met en évidence la période charnière que constituent les années 70 quant à l'élaboration des politiques industrielles au sein de la Communauté Européenne. Pendant la première moitié du vingtième siècle, les dirigeants économiques et politiques européens sont conscients de l'avantage de taille détenu par les prime movers américains sur les firmes européennes. Ces dernières ne peuvent bénéficier d'un vaste marché domestique intégré qui leur permettrait d'atteindre la taille minimale optimale dans de nombreux secteurs. La formation du Marché Commun avec le Traité de Rome ne résout pas immédiatement ce problème de fragmentation de l'espace économique européen. Pour faire face à la concurrence des prime movers américains (et ensuite japonais), la plupart des grands États membres de la CE continuent de promouvoir une politique de champions nationaux. Cette stratégie implique le maintien des obstacles nationaux à une concurrence intracommunautaire susceptible d'engendrer une restructuration des capacités industrielles européennes par les mécanismes du marché. Cette politique semble soutenable au cours des années 60 et au début des années 70 d'une part du fait de la forte croissance des économies de l'OCDE et d'autre part parce que les entreprises européennes sont à cette période en train de combler une partie de leur retard vis-à-vis de leurs concurrents d'outre-Atlantique. Les années 70 constituent une période de transition au cours de laquelle le ralentissement de l'économie mondiale met en évidence des phénomènes structurels qui rendent de plus en plus problématiques la poursuite de la politique des champions nationaux. Trois phénomènes soulignent l'insoutenabilité pour les États membres de la CE d'une politique industrielle strictement nationale : primo la concurrence accrue des prime movers nippons et américains ; secundo la transformation du processus de production en modèle productif post-fordiste qui accroît la taille minimale optimale dans la plupart des secteurs ; et tertio la détérioration des finances publiques. Il faudra attendre plusieurs années après la crise de 1973 pour que celle-ci soit identifiée comme une crise structurelle et que les trois phénomènes précédemment décrits ne soient clairement perçus par les dirigeants économiques et politiques. Cette lente prise de conscience vient à maturation entre la fin des années 70 et le début des années 80. Dès lors, les principaux obstacles à la poursuite de l'intégration de l'espace économique européen qui résultent de l'application de la stratégie des champions nationaux, sont rapidement levés. Il en résulte pendant la première moitié des années 80 un débat sur la nature et le développement d'une politique industrielle européenne qui donne lieu au transfert vers les institutions supranationales européennes des prérogatives en termes de politique industrielle jusqu'ici détenues par de l'État national. L'émergence de champions européens et d'une politique industrielle supranationale européenne est alors possible.