International audience ; At the start of 2020, twenty months after the US "withdrawal", the Iranian nuclear deal is still alive. Since May 2018, the course of things has not been what Washington hoped for. The United States has overestimated its ability to impose its will on the two targets of this "withdrawal" - Iran and the Europeans (E3 / EU). Neither Iran nor the Europeans have given in. The first has shown its resilience and, even more, a remarkable ability to manage the crisis triggered by Donald Trump. Europeans, willingly cataloged as incapable, had a central role in this dossier, in 2018 and 2019. In less than 2 years, the dossier has been profoundly transformed. There was still, in 2015, essentially a nuclear proliferation issue. It has since been greatly enriched and now intersects with several other major international security issues: transatlantic tensions, the Gulf and Middle East conflicts, the evolution of the distribution of power between the major international players and that of the system. collective security. This does not facilitate the appearance of a solution and makes the effort complex to identify its prospects for development complex. ; Début 2020, vingt mois après le « retrait » américain, l'accord nucléaire iranien est encore en vie. Depuis mai 2018, le cours des choses n'a pas été celui qu'espérait Washington. Les États-Unis ont surestimé leur capacité d'imposer leur volonté aux deux cibles de ce « retrait » - l'Iran et les Européens (E3 /UE). Ni l'Iran, ni les Européens n'ont cédé. Le premier a montré sa résilience et, plus encore, une remarquable capacité à gérer la crise déclenchée par Donald Trump. Les Européens, volontiers catalogués comme incapables, ont eu dans ce dossier tout au contraire un rôle central, en 2018 et en 2019. En moins de 2 ans, le dossier s'est profondément transformé. Il était encore, en 2015, essentiellement un dossier de prolifération nucléaire. Il s'est depuis fortement enrichi et recoupe désormais plusieurs autres grands dossiers de sécurité ...
International audience ; At the start of 2020, twenty months after the US "withdrawal", the Iranian nuclear deal is still alive. Since May 2018, the course of things has not been what Washington hoped for. The United States has overestimated its ability to impose its will on the two targets of this "withdrawal" - Iran and the Europeans (E3 / EU). Neither Iran nor the Europeans have given in. The first has shown its resilience and, even more, a remarkable ability to manage the crisis triggered by Donald Trump. Europeans, willingly cataloged as incapable, had a central role in this dossier, in 2018 and 2019. In less than 2 years, the dossier has been profoundly transformed. There was still, in 2015, essentially a nuclear proliferation issue. It has since been greatly enriched and now intersects with several other major international security issues: transatlantic tensions, the Gulf and Middle East conflicts, the evolution of the distribution of power between the major international players and that of the system. collective security. This does not facilitate the appearance of a solution and makes the effort complex to identify its prospects for development complex. ; Début 2020, vingt mois après le « retrait » américain, l'accord nucléaire iranien est encore en vie. Depuis mai 2018, le cours des choses n'a pas été celui qu'espérait Washington. Les États-Unis ont surestimé leur capacité d'imposer leur volonté aux deux cibles de ce « retrait » - l'Iran et les Européens (E3 /UE). Ni l'Iran, ni les Européens n'ont cédé. Le premier a montré sa résilience et, plus encore, une remarquable capacité à gérer la crise déclenchée par Donald Trump. Les Européens, volontiers catalogués comme incapables, ont eu dans ce dossier tout au contraire un rôle central, en 2018 et en 2019. En moins de 2 ans, le dossier s'est profondément transformé. Il était encore, en 2015, essentiellement un dossier de prolifération nucléaire. Il s'est depuis fortement enrichi et recoupe désormais plusieurs autres grands dossiers de sécurité ...
International audience ; At the start of 2020, twenty months after the US "withdrawal", the Iranian nuclear deal is still alive. Since May 2018, the course of things has not been what Washington hoped for. The United States has overestimated its ability to impose its will on the two targets of this "withdrawal" - Iran and the Europeans (E3 / EU). Neither Iran nor the Europeans have given in. The first has shown its resilience and, even more, a remarkable ability to manage the crisis triggered by Donald Trump. Europeans, willingly cataloged as incapable, had a central role in this dossier, in 2018 and 2019. In less than 2 years, the dossier has been profoundly transformed. There was still, in 2015, essentially a nuclear proliferation issue. It has since been greatly enriched and now intersects with several other major international security issues: transatlantic tensions, the Gulf and Middle East conflicts, the evolution of the distribution of power between the major international players and that of the system. collective security. This does not facilitate the appearance of a solution and makes the effort complex to identify its prospects for development complex. ; Début 2020, vingt mois après le « retrait » américain, l'accord nucléaire iranien est encore en vie. Depuis mai 2018, le cours des choses n'a pas été celui qu'espérait Washington. Les États-Unis ont surestimé leur capacité d'imposer leur volonté aux deux cibles de ce « retrait » - l'Iran et les Européens (E3 /UE). Ni l'Iran, ni les Européens n'ont cédé. Le premier a montré sa résilience et, plus encore, une remarquable capacité à gérer la crise déclenchée par Donald Trump. Les Européens, volontiers catalogués comme incapables, ont eu dans ce dossier tout au contraire un rôle central, en 2018 et en 2019. En moins de 2 ans, le dossier s'est profondément transformé. Il était encore, en 2015, essentiellement un dossier de prolifération nucléaire. Il s'est depuis fortement enrichi et recoupe désormais plusieurs autres grands dossiers de sécurité ...
Six months after President Trump took office at the White House, can we see a change in US foreign policy through votes and debates in the Security Council? It is probably too early to take a decision because it is difficult to set up the administration and, in particular, the Secretariat of State. The Secretary of State did not give a real boost to foreign policy and was rather limited to the administration of the secretariat, whereas the direct role of the president's circle was considerable. With the appointment of Ms N.Haley as the Permanent Representative of the United States to the Security Council, some trends seem to be emerging, but they are not very original. Between 20 January and 30 June 2017, the Security Council adopted 28 resolutions unanimously and sometimes without proper debate. Only two draft resolutions, submitted inter alia by the United States, were not adopted because of the vote against Russia. Both concerned the situation in Syria where the Western and Russian positions are currently irreconcilable. On the other hand, unanimity was reached on the fight against terrorism, on the peace operations that the United States wished to be much more effective, but also on the nuclear issue raised by North Korea, even though Washington wanted a much greater commitment from China. While President Trump and Ms Haley have on several occasions considered the possibility for the United States to act unilaterally with military means, it seems, however, that the choice between multilateralism and multilateralism, but also diplomacy and use of force, is not resolved. ; International audience Six months after President Trump took office at the White House, can we see a change in US foreign policy through voting and debates in the UN Security Council? It is undoubtedly too early to decide, since the establishment of the administration, and in particular of the secretariat of State, is proving difficult. The Secretary of State does not give real impetus to foreign policy and is limited to the administration ...
Où va la France ? : cette question, liée aux concepts de déclin et de décadence, traverse l'histoire sans jamais se démoder et s'avère toujours d'une brûlante actualité. Par ailleurs, elle sous-tendait déjà notre mémoire de licence, consacré à la période du Front populaire. Les débats passionnés de l'époque nous ont amenée à nous interroger sur l'après-Libération. Comment la France s'est-elle relevée de son effondrement rapide du printemps 1940 et, plus largement, du traumatisme que fut le second conflit mondial ? Quelle place, quel rôle, quelle mission lui accorde-t-on encore et accepte-t-elle d'assumer au sortir de celui-ci, dans un monde en pleine recomposition, entre guerre froide, érosion des Empires et début de la construction européenne ? Cette notion de rôle ou de mission s'applique à la France mieux qu'à toute autre nation. La France dite « éternelle », c'est-à-dire celle qui allie l'héritage royal aux grands principes de la Révolution qu'elle veut universels, joue en effet un rôle particulier dans l'imaginaire collectif, parce qu'elle est stratégiquement, historiquement et culturellement au cœur de l'Europe et parce qu'elle est traditionnellement considérée comme la représentante par excellence de la civilisation européenne. À travers le destin de la France, c'est le devenir d'une certaine tradition, de certaines valeurs et d'un certain mode de vie qui est en jeu. L'axe de réflexion que nous avons privilégié, dans le sillage de plusieurs publications dirigées par les historiens français Robert Frank et René Girault, est le concept de puissance, qui mesure la capacité d'un pays à imposer sa volonté aux autres ou à les influencer et qui, d'autre part, évalue le degré d'indépendance d'un Etat sur la scène mondiale. A la Libération, la France peut-elle encore être considérée comme une grande puissance ou a-t-elle perdu ce statut et, dans ce cas, a-t-elle intégré cette évolution dans ses schémas de pensée ? Plus concrètement, il s'agit de savoir dans quelle mesure et par quels moyens la France a pu préserver sa souveraineté et son rang, pour employer un terme très « gaullien ». Débordant largement la sphère politico-militaire, cette entreprise induit de fortes implications culturelles, tant il est vrai que Paris a souvent voulu compenser sur ce plan les faiblesses qu'elle ne pouvait ni cacher, ni surmonter sur d'autres. Il en découle une autre question fondamentale : la France reste-t-elle une puissance disposant, au surplus, d'une aura culturelle ou n'est-elle plus qu'une puissance culturelle ? D'autre part, cette aura est-elle prospective ou s'avère-t-elle passéiste et limitée à la préservation d'un héritage ? Ceci posé, il importait de déterminer un observateur. Parce qu'ils entretiennent avec la France un rapport particulier et ambigu, parce qu'ils sont à la fois semblables et différents, les francophones de Belgique, Wallons et Bruxellois, nous sont apparus comme un groupe cohérent et pertinent. Ils partagent avec les Français la même langue, la même culture et la même angoisse face à l'Est. Cependant, ils font partie d'un autre Etat et ressortissent à une autre histoire – si l'on excepte les années 1795 à 1815. Leur rapport à la France est donc unique, oscillant entre amour et déception, entre la proclamation d'une parenté spirituelle ou, selon certains, « ethnique » et le souci d'affirmer une identité propre. Par ailleurs, la période 1944-1951 voit, pour la première fois, le mouvement wallon se montrer plus actif et revendicatif que le mouvement flamand, qui a beaucoup gagné avant-guerre, qui se réjouit de la mise sur pied du Benelux mais qui, sur fond d'épuration, doit opérer une courbe rentrante. Si seuls les Wallons les plus radicaux réclament le fédéralisme, l'indépendance ou le rattachement à la France, l'immense majorité d'entre eux font entendre leurs craintes d'étouffement culturel, politique, économique et démographique. Ils sont rejoints en cela par les Bruxellois qui, eux aussi, prennent peur face à la loi du nombre. Enfin, dernier élément méthodologique, il nous a semblé essentiel d'envisager à la fois l'image de la France telle qu'elle a été perçue par les Belges francophones mais également telle qu'elle a été construite par la France elle-même à l'usage de ces voisins particuliers. En effet, si l'opinion est reflet, il est clair que celui-ci peut être façonné ou modifié de l'extérieur. Nous avons donc prêté attention à l'action culturelle de la France, à sa propagande, c'est-à-dire aux tentatives menées par la France officielle – le Quai d'Orsay, l'ambassade à Bruxelles et les divers consulats – pour infléchir son image dans un sens plus favorable ou pour construire une image différente d'elle-même, répondant davantage aux priorités politiques et culturelles définies à Paris. Les sources pour ce qui s'avère avant tout une étude d'opinion sont diverses. Face à la relative indigence, pour la période, des sondages et des études statistiques, nous avons privilégié les témoignages individuels, français et belges, sous forme de souvenirs, discours, brochures, essais, romans, papiers inédits, les sources diplomatiques françaises, belges et britanniques, riches d'observations et de renseignements sur les relations franco-belges, mais aussi et surtout la presse quotidienne et périodique (journaux, revues, illustrés) publiée à Bruxelles et dans les diverses provinces wallonnes. A la fois mine d'or et meule de foin, la presse a ses évidentes limites – nous y consacrons d'ailleurs un chapitre – mais reste incontournable pour les années 1945-1950, qui précèdent l'avènement de la télévision et vivent sous le régime de l'INR, radio d'Etat. Nous l'avons interrogée sur une variété de thèmes permettant d'évaluer la puissance française globale : la politique intérieure française, dans ses aspects institutionnels, sociaux et économiques, la politique étrangère, dans ses aspects diplomatiques et militaires, les questions liées à l'Outremer au sens large, mais aussi la vie culturelle – cinéma, littérature, arts plastiques – et, bien sûr, les relations franco-belges proprement dites, alors parasitées par des préjugés devenus traditionnels, par certaines frictions économiques, par l'omniprésente question royale et par le rôle, souvent fantasmé, de la France dans ce que l'on n'appelle pas encore le conflit communautaire. Quelles sont nos principales conclusions ? Tout d'abord, on notera la succession de deux périodes bien distinctes : les premiers mois de l'après-guerre, ère de glorification du miracle français et de la France nouvelle, laissent place, dès le second semestre de 1945, à la désillusion. La première époque correspond à une profonde adhésion des Belges francophones à la thèse officielle diffusée par le général de Gaulle et son gouvernement : non, la France n'a pas trahi car Vichy ne l'a jamais incarnée ; oui, on peut et on doit plus que jamais l'admirer pour sa résistance héroïque, qui rachète l'écroulement de 1940, et pour son profond désir de réformes politiques, économiques et sociales. En Wallonie et à Bruxelles, où l'on a souvent douté de la France durant l'occupation, chacun se trouve désormais de bonnes raisons de louer la France nouvelle et nombreux sont ceux, surtout à gauche, qui la comparent avantageusement à une Belgique prétendument sclérosée : n'a-t-elle pas la chance d'avoir un chef charismatique, de Gaulle, mais aussi une nuée d'hommes nouveaux, jeunes, dynamiques, issus de la Résistance et – ce qui plaît à droite – souvent élevés dans le sérail chrétien ? En réalité, cette France nouvelle rassure la Belgique francophone parce que celle-ci veut croire encore à un possible retour de l'ordre international classique. Certes, dans les grandes conférences – Yalta, San Francisco, Potsdam –, la France est absente ou minorisée, ce que d'aucuns, d'ailleurs, comprennent ou justifient, mais on se persuade qu'à moyen terme, elle reprendra une place de choix, d'arbitre peut-être, sur la scène mondiale. Toutefois, les mois passant, ce scénario devient de moins en moins crédible. Alors que la Belgique, bonne élève de l'Europe et enfant chérie des Anglo-Saxons, se redresse avec calme et méthode malgré la question royale, la France paraît, au contraire, patauger. Le nouveau régime qu'elle s'est donné ne satisfait réellement personne, la coalition au pouvoir – tripartisme puis Troisième Force – ne parvient nullement à assurer la stabilité de l'Exécutif, l'inflation est galopante, le rationnement reste strict, les grèves, insurrectionnelles ou non, se multiplient, et, jusqu'en 1947-48, certains redoutent une bolchevisation du pays. Bien plus, le malaise de la France, entre rébellion, apathie et nihilisme, semble se répercuter sur l'art contemporain : la littérature, la peinture, le cinéma français créent la polémique et divisent, selon des lignes de partage qui ne recoupent d'ailleurs pas les clivages traditionnels. La politique internationale de Paris, quant à elle, déroute : elle apparaît velléitaire, rigide voire impérialiste alors qu'elle devrait être souple et évolutive. Bref, dans leur grande majorité, les Belges francophones hésitent entre pitié et condescendance, colère et inquiétude. Rares sont les voix discordantes, souvent issues des milieux wallingants ou de sphères idéologiques soucieuses d'épauler leurs homologues françaises au pouvoir. La France est donc perçue par beaucoup comme l'homme malade de l'Europe, dont on craint la contagion. Et le Belge se prend à développer vis-à-vis du Français, incorrigible chauvin à ses yeux, un inhabituel complexe de supériorité. C'est l'époque où le riche touriste belge parade outre-Quiévrain au volant de sa « belle américaine » et s'offre, dans un pays convalescent, le luxe que lui permet son franc fort. C'est l'époque aussi où les plus unitaristes usent de l'état de la France comme d'un répulsif : pourquoi voudrait-on se rattacher à un pays manifestement en déclin ? Revers de l'universalité qu'elle prétend incarner, la France doit, en fait, rendre des comptes non seulement à son propre peuple mais aussi aux peuples voisins, à commencer par ceux qui partagent sa langue et vivent son évolution presque par procuration. Or, et c'est son drame, quel que soit le geste posé, elle se heurte à l'insatisfaction sinon à l'opposition d'une partie des observateurs. Et selon les faits et les moments, l'identité de ses adversaires et de ses défenseurs varie : l'image de la France est, par conséquent, profondément et perpétuellement brouillée et paradoxale. Mais, si paradoxe il y a, n'est-il pas également entretenu par la France elle-même ? L'image qu'elle construit par son action culturelle est, en effet, tout aussi ambivalente. Après avoir travaillé, en 1944-1945, à renouer des liens matériellement et intellectuellement distendus par la guerre et à reconquérir en Belgique un terrain naguère acquis, Paris va chercher à concilier deux exigences presque contradictoires : d'une part, rester fidèle à l'image traditionnelle qui fait de la France le temple des valeurs humanistes, du raffinement et de la douceur de vivre, bref être cette France éternelle, dépositaire d'un passé, et, d'autre part, démontrer son dynamisme, sa modernité au moment où la technique prend le dessus et devient la valeur de référence. La grande inquiétude réside dans la concurrence de plus en plus forte qu'il faut désormais affronter sur le plan culturel, en Flandre comme en Belgique francophone : on citera l'omniprésence du cinéma hollywoodien, le succès croissant du roman anglo-saxon et, en peinture, le déclin de l'École de Paris au profit de New York. Cette concurrence accrue et les restrictions budgétaires amènent la France à recentrer son action culturelle. Au grand dam des plus wallingants, elle mise avant tout sur la Flandre pour des raisons stratégiques : démographiquement, politiquement et économiquement, celle-ci représente l'avenir et l'on veut y sauver ce qui peut encore l'être pour la langue française. Les francophones ne sont pas délaissés mais on estime qu'ils sont capables, structurellement et financièrement, de défendre eux-mêmes une culture qui est aussi la leur. Toutefois, cette vision est peut-être trop optimiste. En effet, le Belge francophone de 1945 peine manifestement à définir ce qu'il attend de la France, preuve d'un déficit de visibilité. Notre analyse est que, pour l'individu lambda, la France s'identifie alors avant tout à une sorte de « paradis intemporel » ou de référent éthéré. Il ne faudrait pas pour autant en déduire qu'on la considère uniquement comme une puissance culturelle au sens large. En effet, les missions qu'on lui prête restent nombreuses et plus vastes : on veut qu'elle soit un garde-fou solide face à l'Allemagne, on veut aussi qu'elle prenne la tête de l'Europe en construction, on voudrait enfin qu'elle résiste à des Anglo-Saxons perçus comme trop matérialistes et pragmatiques. Mais, on estime que l'apport principal de la France au monde réside dans sa vocation éducatrice et civilisatrice ainsi que dans l'universalité de son message. Par ailleurs, il existe bien, dans le discours belge, une corrélation entre l'état de la puissance française, réelle ou supposée, et l'intensité avec laquelle on invoque le facteur culturel, qui peut aisément devenir un argument compensatoire. Remarquons que, de nouveau, les Belges francophones s'approprient ici un mécanisme de défense forgé par la France officielle. Comment, dès lors, ont-ils appréhendé le passage de la France au rang de puissance moyenne ou médiane ? Après une courte période d'euphorie, ils semblent avoir compris, avant les Français, que les temps avaient radicalement changé. Dès 1946, ils ont constaté et, le plus souvent, déploré l'impuissance française ou l'inefficacité des efforts français. Ceci se vérifie dans la presse comme dans les milieux dirigeants. On observe une France qui semble aller de recul en recul, qui, souvent, se replie sur elle-même puis qui, en 1950, surprend avec l'inventif et audacieux Plan Schuman mais, très vite, paraît retomber dans ses travers sur la question du réarmement allemand. D'autre part, on comprend mal le relatif succès du neutralisme tout comme on ne perçoit pas encore les effets bénéfiques de la modernisation et du Plan Monnet, qui ne seront patents que dans les années suivantes. Ce qui domine donc, à chaud, pour les Belges francophones, c'est l'impression d'une France qui s'adapte mal à la nouvelle donne mondiale alors qu'aujourd'hui, a posteriori, on estime plutôt que Paris est alors parvenue à conserver les attributs essentiels d'une puissance tels qu'ils pouvaient s'exprimer au sein d'un bloc dominé par une super-puissance. Mais, quoi qu'il en soit, deux réalités s'imposent : le déplacement du centre de gravité mondial et la modification des rapports internationaux. Les Belges qui, en 1945-1950, ont disserté sur la France appartiennent à trois générations : la première a connu l'affaire Dreyfus et la France revancharde d'avant 1914 ; la deuxième a eu vingt ans au cœur des « années folles » qui ont suivi l'Armistice de 1918 ; la troisième a vécu la seconde guerre comme un rite de passage à l'âge adulte. Pour cette dernière génération, la France n'est plus le centre du monde. Elle reste une référence mais les horizons se sont élargis. La culture anglo-saxonne a commencé à déferler. Les nouveaux décideurs belges, de plus en plus souvent scientifiques ou économistes, ont complété leur formation de l'autre côté de la Manche ou de l'Atlantique alors que leurs aînés, plus littéraires, avaient davantage fréquenté la Sorbonne ou le Collège de France. Les jeunes Wallons et Bruxellois de la Libération restent attachés à la culture et à la langue françaises, qu'ils défendent et dont ils souhaitent préserver la prédominance, mais ils refusent tout exclusivisme. Ils souhaitent aussi que la Belgique francophone devienne plus autonome et que les échanges avec Paris cessent de se faire à sens unique. Leurs pères, eux, sont inquiets voire déroutés par l'évolution en cours, ainsi que le prouvent leurs invocations répétées de la France comme rempart contre un technicisme inhumain. Mais n'est-ce pas parce que le recul de la France signe aussi la fin de « leur » Belgique, la « Belgique de papa », cette « Belgique française » héritée de 1830 ? Par ailleurs, les rapports internationaux sont en train de changer de nature. Le bilatéralisme s'efface progressivement devant le multilatéralisme. Avec l'entrée en guerre froide et les débuts d'une unification inter- ou supra-étatique, la France ne perçoit plus la Belgique comme l'alliée indispensable mais comme un élément parmi d'autres au sein du bloc occidental ou de l'Europe. En conséquence, on voit s'émousser l'attention de Paris pour Bruxelles. La réciproque est vraie, même si le phénomène est peut-être moins affirmé. L'intérêt, si perceptible à la Libération, pour le rôle et la place de la France subsiste au début des années cinquante mais les Belges savent que, quoi qu'il arrive, une architecture nouvelle les protège, dont l'OTAN est la principale incarnation. Désormais, Wallons et Bruxellois veulent simplement que la France soit suffisamment forte pour tenir tête à l'Allemagne, dont ils se méfient encore, et que la culture française demeure suffisamment influente pour leur servir d'argument face aux appétits de la Flandre. Pour le reste, Paris n'est plus la carte maîtresse, celle que l'on brandissait hier, selon les cas, comme un talisman ou comme un épouvantail.
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Bertrand Badie sur le moment Trump, la science de la souffrance, et les RI entre puissance et faiblesse
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La discipline de RI se focalise traditionnellement sur l'enjeu de pouvoir entre états. Mais, s'interroge Bertrand Badie, est-ce que cela veut dire que notre discipline est basée sur la négation de notre humanité ? Un géant dans les RI françaises, Badie a œuvré pour remplacer le pouvoir et pour mettre la souffrance au cœur de l'analyse de l'international, en appliquant des idées sociologiques sur une réalité véritablement globale. Dans ce Talk, Badie, entre autres, défie la centralité de l'idée de pouvoir, qui a peu de sens dans un monde où la plupart de l'agenda international est défini par des défis qu'émanent de la faiblesse ; défend la centralité de la souffrance pour une discipline de RI plus adaptée ; et utilise ces idées de base pour contextualiser le Moment Trump.
Quel est selon vous actuellement le plus grand défi ou débat dans le domaine des Relations Internationales ? Quelle est votre position vis-à-vis de cet ou ces enjeu(x) ?
Incontestablement, c'est la question du changement. C'est à dire que le moment est venu de conceptualiser, et au-delà même, de théoriser le changement qui s'effectue dans les Relations Internationales (RI). On a toujours le sentiment qu'on vit une période de changement, mais concernant les RI nous avons plusieurs repères qui montrent l'effectivité du changement. J'en vois au moins trois.
Le premier, c'est la nature inclusive du système international. Pour la première fois dans l'Histoire de l'humanité le système international couvre la quasi-totalité de l'humanité, alors que le système Westphalien était un système Européen dans lequel les Etats-Unis sont entrés pour en faire un système, je dirais, euro-nord-américain.
Deuxième élément, et plusieurs ouvrages déjà ont permis de le montrer, il y a une mutation profonde de la nature du conflit. La guerre était autrefois, dans le modèle Westphalien, une affaire de compétition de puissance. Aujourd'hui on a le sentiment que la faiblesse remplace la puissance, c'est à dire la puissance n'est plus explicative des situations belligènes, que l'on doit trouver davantage dans les manifestations de faiblesse : que ce soit les « collapsing states », c'est à dire le déchirement des Nations souvent mal ou hâtivement construites ou encore la déliquescence des liens sociaux. Cette nouvelle conflictualité vient complètement bouleverser la donne internationale et constitue un deuxième marqueur de transformation.
Le troisième axe, c'est ce que j'appellerais la mobilité. Tout notre système international reposait sur l'idée de territoire et de frontière, sur l'idée de fixité marquant de manière très précise les compétences des Etats. L'Etat renvoie au territoire, comme la définition donnée par Max Weber l'indique très clairement, alors qu'aujourd'hui le territoire est défié par toute une série de mobilités, c'est à dire de flux transnationaux : qu'il s'agisse de flux commerciaux, de flux d'informations ou de flux humains à travers notamment toutes les diverses formes de migrations.
Donc voilà au moins trois indicateurs objectifs d'une transformation profonde de la nature même des RI qui m'incitent d'abord à parler plus volontiers désormais de « relations intersociales » plus que de « relations interétatiques ». Les relations entre Etats ne saturent plus le jeu mondial et ça amène à considérer que toute notre théorie des RI reposait sur le modèle Westphalien tel qu'il est issu de la paix de Westphalie, tel qu'il a été confirmé par l'accomplissement du travail de construction des Etats-Nations et tel qu'il a dominé l'actualité internationale jusqu'à la chute du Mur. Jusqu'à la chute du Mur, ce qui ne relevait pas de l'Europe et des Etats-Unis, et de l'Amérique du Nord disons plus exactement, était nommé périphérique, ce qui en dit long. Aujourd'hui la périphérie est centrale au moins du point de vue de la conflictualité, donc il faut abandonner notre grammaire Westphalienne et construire un nouveau guide d'analyse des RI qui tienne compte de ces mutations. Supprimer notre grammaire Westphalienne des RI, c'est remettre en cause notre théorie classique des RI et c'est remettre en cause aussi les modèles pratiques d'action en politique internationale, c'est à dire l'ordinaire de la diplomatie.
Comment est-ce que vous êtes arrivé dans votre pensée autour les Relations Internationales ?
Vous savez souvent quand on écrit, quand on travaille, on est d'abord influencé par son insatisfaction. C'est à dire que la théorie classique Westphalienne des RI, comme je l'ai dit tout à l'heure, ne me satisfaisait pas parce que j'avais l'impression qu'elle focalisait sur des évènements qui n'avaient plus l'importance qu'on continuait à leur prêter, par exemple la course aux armement, les relations entre puissances ou les négociations diplomatiques traditionnelles alors que je voyais, peut-être est-ce là l'élément déclenchant, que l'essentiel des souffrances dans le monde venait d'espaces que ne couvrait pas réellement la théorie des RI.
J'ai toujours dit à mes étudiants que les RI c'était la science des souffrances humaines. Ces souffrances bien sûr elles existent chez nous, elles existent en Europe, elles existent en Amérique du Nord, elles existent partout dans le monde mais l'essentiel des souffrances se situe hors champ westphalien et du coup l'analyse classique des RI en donnait une image tout d'abord marginale et déformée. L'Afrique ou le Moyen Orient vus au prisme du système Westphalien avaient une allure aplatie qui ne correspondait en rien à l'extraordinaire richesse, en bien et en mal, de ces régions du monde. Je considérais aussi que dans un monde où 6 à 9 millions d'individus meurent de faim chaque année, les grands agendas des RI classiques étaient dérisoires. Même le terrorisme, auquel on donne tant d'importance, a des scores dérisoires par rapport à ceux de l'insécurité alimentaire.
Mes trois derniers livres sont trois cris de révolte contre la théorie classique des RI. La diplomatie de connivence est un livre dans lequel j'ai essayé de montrer qu'en réalité le jeu des puissances était un jeu beaucoup plus intégré qu'on ne le dit et renvoyant souvent à de fausses conflictualités. Il y a bien un club, et c'est ça que j'essayais de décrire, un club de puissants.
Le Temps des humiliés était là pour mettre en scène justement ce que la théorie classique ne savait pas exprimer, c'est à dire la domination vue du côté des dominés, l'humiliation vue du côté des humiliés, la violence vue du côté des désespérés. Même si on regarde des puissances aussi accomplies que la Chine aujourd'hui, première ex aequo avec les Etats-Unis en PIB, il faut bien admettre que la mémoire de l'humiliation constitue pour la Chine une source énorme d'inspiration et d'élaboration de son actuelle politique étrangère.
Et puis, dans mon dernier livre Nous ne sommes plus seuls au monde, là le cri était encore plus direct, c'est à dire nous sommes en train d'écrire les RI qui concernent un gros milliard d'êtres humains en oubliant tous les autres et aujourd'hui ce ne sont pas ces vieilles puissances qui font l'agenda international. Il est écrit à l'initiative du petit, du faible, du dominé, avec bien entendu des recours à des formes de violences extrêmes, mais qu'il faut essayer d'analyser et de comprendre, donc totalement renverser la théorie des RI.
Il ne faut pas oublier que l'essentiel de la théorie des RI nous a été livré par les Etats-Unis triomphants en 1945. Le fameux « power politics » qui domine la théorie classique des RI, inaugurée par Morgenthau et porté par tellement d'autres, mettait en scène ce qui était vrai à l'époque, c'est à dire la capacité de la puissance américaine de nous délivrer du monstre nazi. Aujourd'hui l'enjeu il est tout autre, et c'est d'ailleurs significatif que deux des plus grands politistes internationalistes américains, Robert Keohane (Theory Talk #9) et Ned Lebow (TheoryTalk #53), aient écrit le premier un livre qui s'appelle After hegemony et le second Goodbye hegemony. Et bien justement, moi ce qui m'intéresse c'est de voir ce qu'il y a après l'hégémonie.
Une question maintenant pour les étudiants qui aspireraient à se spécialiser dans le domaine des RI : quels conseils ?
D'abord je leur conseillerais de débaptiser leur science, comme je le disais tout à l'heure, et de l'appeler relations intersociales, c'est à dire que l'avenir de ce que nous nous appelons les Relations Internationales se trouve dans la capacité de comprendre les interactions extrêmement riches, multiples et diversifiées qui s'opèrent entre les sociétés du monde. Ce qui ne veut pas dire de complètement abandonner la piste des Etats, mais replacer les Etats au milieu de cette multiplicité d'acteurs pour constater souvent l'impuissance de ces États face à ces acteurs nouveaux. Ce serait mon premier conseil.
Mon deuxième conseil c'est regarder devant eux et non derrière eux, c'est à dire ne pas se laisser dominer par le modèle westphalien et essayer de bâtir ce dont nous avons besoin parce que presque rien n'a été fait encore aujourd'hui pour bâtir ce modèle post-westphalien, méta-westphalien. Au-delà de la puissance il y a des choses que l'on identifie encore mal et qui sont le moteur des RI. De ce point de vue-là, l'aide de la sociologie est particulièrement précieuse car si nous sommes dans des relations intersociales, évidemment, la sociologie a un rôle très important à jouer. J'ai considéré, dans ma contribution au The return of the theorists que Durkheim est une source très importante d'inspiration pour comprendre le monde aujourd'hui. Voilà un auteur à étudier et à appliquer aux RI.
Le troisième conseil que je leur donnerais c'est de ne pas oublier qu'effectivement les « RI » ou les relations intersociales sont les sciences de la souffrance humaine. Il faut savoir remettre la souffrance au centre de la réflexion. On a trop perdu de temps à analyser la puissance, il est temps maintenant de se mettre du côté de la souffrance. Pourquoi ? D'abord parce que éthiquement c'est meilleur, peut-être pourra-t-on en tirer alors des enseignements pratiques ? Mais aussi pour une deuxième raison, c'est que dans les nouvelles RI la souffrance est plus proactive que la puissance, ce qui n'est pas forcément optimiste mais qui permet notamment de mieux s'interroger sur les formes nouvelles de conflictualité. Hélas ce n'est plus avec des canons que l'on écrit l'agenda international, mais c'est avec des larmes. C'est peut-être là qu'il y a un effort important à consentir sur le plan de la réflexion.
Dans Le temps des humiliés, vous proposez une lecture durkheimienne des RI dont l'accent est surtout mis sur le « grievance » qui s'oppose à une autre logique : celle du « greed ». Que pensez-vous de ce parallèle ?
« Greed » on peut le traduire par accaparement, captation. En réalité vous avez raison, l'idée de grievance, de récrimination, le mot est parfait aussi en français, est une idée très structurante du jeu international. On ne l'a pas vu venir pour deux raisons. D'abord parce que notre analyse classique des RI supposait une unité de temps, comme si le temps africain, le temps chinois, le temps indien et le temps européen étaient identiques. Or ceci est complètement faux parce que nous dans notre culture européenne nous n'avons pas compris qu'avant Westphalie il y avait des modèles politiques, des histoires qui avaient profondément marqué les peuples qui les avaient alors façonnés. Pensez que la Chine c'est 4000 ans d'empire, pensez que l'Afrique avant la colonisation c'était des royaumes, des empires, des civilisations, un art, des productions artistiques. Pensez que l'Inde aussi est multimillénaire. Le temps Westphalien est venu totalement nier et écraser cette temporalité, cette historicité, presque sur un mode négationniste, c'est à dire que dans l'esprit de ceux qui étaient porteurs du modèle Westphalien seul ce modèle associé à la Renaissance et au Siècle des Lumières et à la Raison avec un grand R avait vocation à formater le monde. Or, c'était un pari insensé, un pari pour lequel nos ancêtres Européens qui l'ont mené avaient des excuses parce qu'à l'époque on connaissait mal ces Histoires, à l'époque on n'avait pas cette connaissance de l'autre et de l'altérité donc on a réglé ça au plus simple, c'est à dire à partir de la négation de l'altérité. Or les RI c'est au contraire l'accomplissement de l'altérité. Donc, inévitablement tous ceux qui se sont vus nier dans leur historicité sur plusieurs siècles et même plusieurs millénaires ont accumulé un ressentiment de récrimination, de grievance particulièrement fort.
Le deuxième élément c'est que tout ceci s'est opéré dans un contexte de déséquilibre des ressources de puissance, lié à différents facteurs qui faisaient qu'effectivement à un moment donné du temps les puissances occidentales étaient mieux armées au sens propre, au sens figuré, que les autres sociétés. Donc cette négation de l'altérité a été aggravée par l'imposition d'un système multilatéral de force qui s'est traduit de la pire des façons, c'est à dire à partir d'une hiérarchie proclamée des cultures, donc voilà il y avait comme disait Jules Ferry, en France au XIXe siècle, les « races », « Nous avons l'obligation d'éduquer les races inférieures ». C'est le début d'une Histoire, c'est le début de l'Histoire de l'humiliation et comme au même moment la mondialisation venait à se faire, cette humiliation est devenue le nerf de la vie international. Un nerf qui a été utilisé autant par les puissants, qui en ont fait un instrument, c'est à dire où on va humilier les autres pour mieux les dominer (guerres de l'Opium, la colonisation) et en même temps un nerf qui a irrigué la réaction mobilisatrice de ce monde extra-westphalien qui pour exister a eu besoin de s'affirmer contre ceux qui les humiliaient. Donc vous voyez c'est vraiment la trame des nouvelles RI. Dans mon esprit c'est devenu un paradigme, ça explique tout même si d'autres facteurs continuent à expliquer parallèlement.
Et pour apprécier cela on a besoin d'une approche sociologique, ce que pour moi a deux fonctions. Ces deux fonctions il faut les avoir en tête toutes les deux pour bien comprendre ce qu'elle veut dire. La première c'est une fonction intemporelle, c'est à dire considérer que partout et de tout temps le politique est un produit social, donc ne peut pas être compris hors de la société, ce qui n'était pas forcément la posture de certains et même de, je dirais, la majorité des analystes qui croyaient de manière excessive à une autonomie du politique et de l'Etat. La deuxième composante de cette approche sociologique est une composante temporelle historique. Ce que je vous disais tout à l'heure : avec la mondialisation le social a beaucoup progressé en propre par rapport au politique et les relations intersociales, ayant grandi, on a besoin d'une approche sociologique pour les comprendre.
Est-ce que vous pensez que « le moment Trump » constitue une rupture fondamentale avec la conduite des RI ?
Trump en soi peut-être pas, ce qu'il représente certainement. C'est à dire si on regarde les Etats-Unis on voit, depuis le changement de millénaire, trois modèles se succéder. Vous avez eu au lendemain du 11 Septembre un temps néo-conservateur où la mondialisation était considérée par les dirigeants Américains comme un moyen ou peut-être une chance d'universaliser le modèle américain de gré ou de force. De force comme ce fut le cas par exemple en Irak en 2003. Ce modèle a échoué.
Cela a amené un deuxième modèle qui est, je dirais, un modèle libéral, néo-libéral, incarné par Obama qui tirant les leçons de l'échec du néo-conservatisme, a eu le courage de remettre en cause l'hypothèse jugée jusque-là indiscutable d'un leadership américain et considéré que les Etats-Unis ne pouvaient gagner aujourd'hui qu'à travers le soft power ou le smart power ou le libre échangisme. C'est la raison pour laquelle Obama se faisait très peu interventionniste et misait beaucoup sur le TTIP, sur tous ces accords transrégionaux.
Avec Trump est arrivé un troisième modèle, que j'appellerais néo-nationaliste, qui considère la mondialisation mais de façon différente. La mondialisation est ramenée dans son esprit à une chance donnée de satisfaire les intérêts nationaux américains, l'idée de « national interest » rejaillit après ce long temps de vision globalisante. Ca ne veut pas dire qu'on n'est pas interventionniste. Ce qui s'est passé en Syrie le démontre. Ça veut dire qu'on interviendra non pas en fonction des besoins de la mondialisation mais en fonction des intérêts des Etats-Unis. Il s'agit de montrer l'image des Etats-Unis forts, puissants et d'autre part de servir les intérêts concrets du peuple américain et de la nation américaine.
Ce modèle néo-nationaliste n'est pas porté par Trump tout seul, c'est la raison pour laquelle je disais qu'il ne faut pas prendre Trump isolément. On le retrouve exactement de la même manière chez Poutine. On le retrouve chez quantité d'autres dirigeants du monde, comme par exemple Erdogan ou Duterte ou Victor Orbán, donc des personnages aussi différents, ou le Maréchal Sissi en Egypte.
On le retrouve dans des postures : le Brexit en Grande-Bretagne, ce néo-populisme de droite en Europe : Mme Le Pen, Mr Wilders, voire un certain néo-populisme de gauche comme Mélenchon en France. Bref il est dans l'air du temps, c'est presque un effet de mode et il constitue peut-être une double rupture dans les RI.
D'abord parce que depuis l'avènement de la mondialisation, les années 70 disons en gros même si la mondialisation n'est pas née à un jour précis, on avait un peu laissé de côté l'idée d'intérêt national pour raisonner en termes de biens collectifs. Là c'est un abandon des biens collectifs et un retour vers l'intérêt national. On le voit bien, l'un des actes de Trump a été de dire que la COP21 de Paris doit être reconsidérée. Et puis c'est une certaine forme aussi de réhabilitation de la force, qui redevient le langage des RI.
Voilà deux bonnes raisons d'abord de compléter notre science positive pour comprendre cette nouvelle tentation mais aussi pour s'en inquiéter. Vous savez l'internationaliste ce n'est pas quelqu'un de neutre, c'est aussi quelqu'un qui doit mettre sa science au service de l'action et de la définition des politiques publiques. Aller à l'encontre de l'idée de biens communs, c'est à dire à nouveau jeter un doute sur l'idée de sécurité humaine, de sécurité environnementale, de sécurité alimentaire, de sécurité sanitaire c'est extrêmement dangereux car ce n'est jamais la composition des intérêts et des égoïsmes nationaux qui fera une politique globalement cohérente. C'est le faible qui en pâtira le premier.
La deuxième raison c'est ce paradoxe à un moment où l'on voit que la puissance est de plus en plus impuissante, j'ai fait tout un livre là-dessus, de réhabiliter la force. Or regardez, ne serait-ce que depuis 1989, où la force a-t-elle triomphé sur le plan des RI ? Où donc le plus fort a gagné la bataille qui lui a permis de résoudre le problème à son avantage ou conformément à ses objectifs ? Jamais. Ni en Somalie, ni en Afghanistan, ni en Irak, ni en Syrie, ni en Palestine. Nulle part. Ni au Sahel, ni en République Démocratique du Congo. Nulle part. Donc je suis un peu inquiet, effectivement, de cette réhabilitation naïve et ringarde de la force.
Peut-on considérer que l'idée de la mondialisation, ou plutôt de l'ambition intégratrice, aurait échoué ? Devrait-on enterrer l'idée d'intégration régionale ou mondiale ?
Je n'aime pas les enterrements, ce n'est pas un terme que j'emploierai, mais votre question est très pertinente. Pendant près de vingt ans j'ai enseigné que l'intégration régionale c'était l'échelon intermédiaire et réaliste entre le temps des nations et le temps de la globalisation, c'est à dire j'ai longtemps cru que l'intégration régionale était l'antichambre d'une gouvernance globale du monde.
J'ai longtemps cru que ce qui n'était pas possible à l'échelle mondiale, à un gouvernement mondial, pouvait l'être au niveau régional et déjà simplifier de beaucoup la carte du monde et donc de progresser vers cette adhésion au collectif que commande la mondialisation. Or non seulement l'Europe est en échec, vous avez raison de le dire, mais toutes les constructions régionales dans le monde sont en échec. Alors Mr. Trump bouscule ouvertement le NAFTA ALENA, le MERCOSUR est en panne chaque Etat qui le compose a des récriminations à son encontre, on pourrait continuer l'énumération… Toutes les formes d'intégration que Chavez avait mis en place autour de son idéal bolivarien n'existent plus, l'Afrique ne progresse que très très très lentement en matière d'intégration régionale : l'Union du Maghreb Arabe, qui est quand même un dispositif essentiel, a totalement échoué. Donc effectivement la conjoncture n'est pas bonne.
Pour l'Europe le phénomène est double : d'une part il y a cet échec très grave du départ de la Grande Bretagne de l'Europe et puis il y a un malaise général du modèle européen. Alors, le départ de la Grande Bretagne c'est très grave parce que c'est très rare si vous regardez l'Histoire contemporaine des RI qu'un Etat claque la porte d'une organisation régionale ou mondiale. C'est arrivé avec l'Indonésie aux Nations Unies en 1964, ça n'a duré que 19 mois. C'est arrivé pour le Maroc au sein de l'Union Africaine et le Maroc est actuellement en voie de réintégration. Donc ce fait Britannique claque comme un coup de tonnerre, aggravé par le fait que paradoxalement ce n'est pas tant sur l'idée d'intégration régionale que les Britanniques ont voté contre l'UE. C'est beaucoup plus dans un réflexe anti-migratoire, xénophobe, nationaliste (correspondant à cet élan de nationalisme que je décrivais tout à l'heure) et donc ce qui est dramatique c'est que l'on voit bien que cet ère du temps nationaliste vient réellement attaquer les principes même de l'intégration régionale.
Alors je disais que pour l'Europe il y a des problèmes internes encore plus profonds que la défection Britannique, j'en vois au moins deux.
D'abord il y a un échec démocratique de l'Europe, c'est à dire l'Europe n'a pas su faire coïncider les espaces d'élection et les espaces de décisions, le peuple vote au niveau national et les décisions se prennent à Bruxelles. Du coup, le contrôle démocratique sur les décisions est extrêmement faible. Comment résoudre cette équation ? Et là la panne est complète car personne ne propose de solutions.
L'autre élément à mon avis composant de cette crise, c'est que l'Europe a été construite avec succès au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale de manière progressive sur le maître mot d'association et effectivement, Durkheim l'a montré, la logique d'intégration associative fait sens. C'est à dire l'union fait la force et l'union a fait la force en son temps en Europe pour empêcher la guerre premièrement, c'est à dire une troisième guerre européenne au XXe siècle, et deuxièmement pour favoriser la reconstruction de pays européens dont l'économie s'était totalement effondrée. Ce temps-là est terminé et la faute de l'Europe c'est de ne pas avoir su se contextualiser, c'est à dire réagir aux contextes nouveaux.
Rendant à nouveau hommage à Durkheim qui avait vu juste, Durkheim avait dit il y a deux façons de construire le lien social : autour de l'association et autour de la solidarité. Je pense que le temps de l'association est terminé, on doit entrer dans le temps de la solidarité, c'est à dire la solidarité consiste à dire non pas « Nous Allemands nous nous associons à la Grèce » mais « Nous Allemands sommes solidaires de la Grèce car nous savons que si la Grèce s'effondre, à terme, nous en subirons les conséquences ». Donc cette idée d'unité fondamentale est une idée qui a été un peu snobée, abandonnée par les Européens et maintenant ils se trouvent dans une situation de paralysie complète.
Est-ce que la période de décolonisation laisse encore des traces au niveau des RI contemporaines ?
Ah totalement, totalement. Je dirais d'abord parce que c'est un événement majeur des RI, qui a quand même fait passer le monde de 51 Etats Souverains membres des Nations Unies en 1945 à 193 aujourd'hui mais surtout, circonstance très aggravante, c'est que cette décolonisation a été complètement ratée et que l'échec de la décolonisation pèse énormément sur les RI.
Elle a été ratée parce que la décolonisation a conduit à copier le modèle étatique occidental dans les pays qui accédaient à l'indépendance, alors que ce modèle n'était pas forcément adapté, ce qui a provoqué une prolifération de failed States, et ces collapsed States ont eu un effet effroyable sur les RI.
Deuxièmement parce que la décolonisation aurait dû conduire à un enrichissement et en tous les cas à une modification substantielle du multilatéralisme en créant de nouvelles institutions capables de prendre en charge les défis nouveaux issus de la décolonisation. Or, à part la création de la CNUCED en 1964 et du PNUD en 1965, il y a eu très peu d'innovations sur le plan de la gouvernance mondiale. Donc la gouvernance mondiale reste dominée par ce que j'appelais tout à l'heure le club, c'est à dire les puissances du Nord et ceci est très dysfonctionnel dans la gestion des crises contemporaines. Puis enfin parce que les anciennes puissances coloniales sont amenées à trouver des formes nouvelles de domination qui ont en quelques sorte compliqué le jeu international. Donc effectivement la décolonisation c'est l'ordinaire des crises que rencontre le système international aujourd'hui.
Question finale : quel autre souci vous inquiète dans les RI contemporaines ?
J'ai trouvé que votre questionnement était très pertinent parce qu'il permettait de toucher aux thèmes que je tiens pour essentiels. Maintenant, si vous voulez, le grand problème qui moi m'inquiète c'est le formidable décalage qu'il y a entre les analystes et les acteurs. Je ne dis pas que les analystes ont tout compris, loin de là, mais je crois que les analystes sont très conscients de ces transformations. Si vous prenez les grands auteurs comme James Rosenau, Ned Lebow, comme Robert Keohane, juste quelques-uns il y en aurait beaucoup d'autres, ils ont tous apporté une pierre à la reconstruction de l'édifice des RI.
Moi ce qui me frappe, c'est l'autisme des acteurs politiques, c'est à dire ils se croient encore à l'époque du Congrès de Vienne et ça c'est source de tension absolument extraordinaire. Donc tant que ce parfum de changement n'aura pas touché les acteurs politiques, peut-être que Barack Obama était le premier à commencer à entrer dans ce jeu et puis la parenthèse s'est refermée, tant donc qu'il n'y aura pas ce mouvement vers la découverte d'un nouveau monde, peut-être aussi en intégrant dans notre réflexion sur l'international des partenaires comme la Chine, ce n'est quand même pas normal que cette Chine si puissante n'ait d'autre choix finalement que de se rallier au paradigme et au modèle d'action propre à la diplomatie occidentale, tant qu'on n'aura pas fait cet effort là et bien on sera encore dans la négation de l'humain, et c'est ça le problème essentiel aujourd'hui, c'est que nous n'arrivons pas à comprendre qu'au bout de tout ça il y a une seule unité qui est l'être humain.
J'ai eu la chance de visiter 105 pays et partout j'ai rencontré les mêmes hommes et les mêmes femmes, avec leurs souffrances, avec leurs bonheurs, leurs malheurs, leurs joies, leurs peines, leurs besoins qui étaient partout absolument identiques. Tant qu'on n'aura pas compris cela, et bien je crois que l'on vivra dans un monde qui est en contradiction totale avec ce qu'il est vraiment et essentiellement. On vivra dans un monde d'artifice et donc dans un monde de violence.
Lire plus
· Lire Badie's Printemps Arabe : un commencement (SER Études 2011) ici (pdf)
· Lire Badie's Pour une sociologie historique de la négotiation (préface de Négociations internationales) ici (pdf)