International audience ; Le continent latino-américain a été le premier à déclarer l'existence d'un corpus juris devant orienter et guider l'action des Etats dans leur rapport aux Hommes et donc au Monde. La Déclaration américaine des droits et devoirs de l'homme était en effet adoptée le 2 mai 1948, précédent de quelques mois la Déclaration universelle des droits de l'homme dont l'Assemblée générale des Nations Unies se faisait un point d'honneur à proclamer le 9 décembre 1948, quelques années à peine après l'effroyable seconde guerre mondiale. Une telle profession de foi latino-américaine était une des nombreuses manifestations du « panaméricanisme » qui, en son temps, suscita de nombreux espoirs politiques comme de multiples analyses doctrinales. C'était aussi, comme l'a démontré Paolo G. Carozza, une manifestation de la spécificité de la pensée latino-américaine et de son rapport au droit international des droits de l'homme.
Judges, all judges — national and European, ordinary and constitutional — shape countries' daily relations with integration through the economy (European Union) and human rights (European Convention). They are those who, on a daily basis, in the fringes of the legal systems, must succeed in keeping the Cape Town of coherence. Consistency of their competences as defined by their reference system; consistency of their case-law, which can no longer ignore those of other courts. The judges show quite well in the end — with variations in time specific to each judicial culture — that the dual European commitment of States (1) is not a challenge, let alone a renunciation of their traditional office, it is merely a new formulation of the latter. (2) ; International audience ; Judges, all judges — national and European, ordinary and constitutional — shape countries' daily relations with integration through the economy (European Union) and human rights (European Convention). They are those who, on a daily basis, in the fringes of the legal systems, must succeed in keeping the Cape Town of coherence. Consistency of their competences as defined by their reference system; consistency of their case-law, which can no longer ignore those of other courts. The judges show quite well in the end — with variations in time specific to each judicial culture — that the dual European commitment of States (1) is not a challenge, let alone a renunciation of their traditional office, it is merely a new formulation of the latter. (2) ; Les juges, tous les juges — nationaux et européens, ordinaires et constitutionnels — façonnent jour après jour les relations des États à l'intégration par l'économie (Union européenne) et par les droits de l'homme (Convention européenne). Ils sont ceux qui, au quotidien, dans l'enlacement des ordres juridiques, doivent arriver à garder le Cap de la cohérence. Cohérence de leurs compétences telles que définies par leur système de référence ; cohérence de leurs jurisprudences qui ne peut (plus) ignorer celles ...
International audience ; Afghanistan, Cuba, Côte-d'Ivoire, Darfour, Irak, Koweït, Kosovo, Rwanda, Tibet, Timor oriental, Somalie, etc. Egrener les parties du monde où les bruits de bottes se sont fait pressants ; où le fracas des armes a pu devenir assourdissant ; où les crimes internationaux se sont déchaînés ; où les pertes humaines ont été légion, est un exercice sans fin. Or, si les « crises » sont ni plus ni moins consubstantielles à l'ordre international elles ne sont cependant pas les guerres ; elles peuvent toutefois les précéder, leur succéder voire leur être simultanées ce qui rend souvent ténue la frontière entre les deux concepts. Le XXe siècle aura été à cet égard le théâtre de changements radicaux ; le XXIe siècle confirmera la propagation des désordres géopolitiques. L'ère de l'« hyper-puissance américaine » (Hubert Védrine) a succédé à l'ordre bipolaire de la guerre froide - que le fondateur de la V République se plaisait à nommer la « double hégémonie » . Les « conflits armés internes » ont pris l'ascendant sur les guerres classiques entre États. La politique de la terreur a envahi les moindres recoins du «village planétaire» - jusqu'aux gratte-ciel new-yorkais - au point de préfigurer un ordre multipolaire où des « valeurs » et des « civilisations» disparates s'entrechoquent, où l'Occidentvacille, où les coups de boutoirs des obscurantismes de tous bords sont à leur paroxysme.
International audience ; Penser la démocratie au sein de l'Union européenne impose d'être audacieux, voire téméraire. Penser cette notion structurante de l'histoire des idées à l'échelle européenne commande de faire voler en éclats le classicisme analytique. Le phénomène européen induit l'innovation pour appréhender de façon la plus réaliste possible le phénomène intégratif. Il n'est plus possible de penser uniquement la démocratie à l'échelle de l'Union ou de penser la démocratie au sein des États membres. Penser la démocratie en Europe implique de la penser de façon convergente, enchevêtrée, combinée – comme le sont les systèmes juridiques dont le « métissage » est aujourd'hui avéré. Ce constat part du présupposé scientifique selon lequel la théorie du multilevel constitutionalism – qui a été traduite en français par le concept de « constitution composée » – est pertinente pour l'analyse de l'Union européenne telle qu'elle est. Or, la complexité de l'analyse tient au fait que la question démocratique fait immanquablement appel à celle de la légitimité – tant de l'État que de l'Union.Si l'Union ne s'est pas construite de façon « démocratique » au sens classique du terme (les élites y ayant joué un rôle central pour ne pas dire existentiel), elle n'a cessé toutefois de développer et d'assurer par des moyens divers et variés sa légitimité démocratique : en termesde représentation, de participation, de responsabilité et de transparence, qui sont autant d'éléments considérés comme constitutifs d'un fonctionnement démocratique pour toute entité politique.Si les États et les modalités de la représentation politique en leur sein sont, quant à eux – on ne le souligne jamais assez – en crise de façon chronique, ils sont évidemment la source première, car originaire, de la légitimité démocratique. Les deux niveaux d'exercice du pouvoir en Europe entrent en interaction et rétroagissent l'un sur l'autre de façon régulière. Par voie de conséquence, on est en droit de se demander si l'équilibre démocratique ne passe pas par ...
International audience ; Penser la démocratie au sein de l'Union européenne impose d'être audacieux, voire téméraire. Penser cette notion structurante de l'histoire des idées à l'échelle européenne commande de faire voler en éclats le classicisme analytique. Le phénomène européen induit l'innovation pour appréhender de façon la plus réaliste possible le phénomène intégratif. Il n'est plus possible de penser uniquement la démocratie à l'échelle de l'Union ou de penser la démocratie au sein des États membres. Penser la démocratie en Europe implique de la penser de façon convergente, enchevêtrée, combinée – comme le sont les systèmes juridiques dont le « métissage » est aujourd'hui avéré. Ce constat part du présupposé scientifique selon lequel la théorie du multilevel constitutionalism – qui a été traduite en français par le concept de « constitution composée » – est pertinente pour l'analyse de l'Union européenne telle qu'elle est. Or, la complexité de l'analyse tient au fait que la question démocratique fait immanquablement appel à celle de la légitimité – tant de l'État que de l'Union.Si l'Union ne s'est pas construite de façon « démocratique » au sens classique du terme (les élites y ayant joué un rôle central pour ne pas dire existentiel), elle n'a cessé toutefois de développer et d'assurer par des moyens divers et variés sa légitimité démocratique : en termesde représentation, de participation, de responsabilité et de transparence, qui sont autant d'éléments considérés comme constitutifs d'un fonctionnement démocratique pour toute entité politique.Si les États et les modalités de la représentation politique en leur sein sont, quant à eux – on ne le souligne jamais assez – en crise de façon chronique, ils sont évidemment la source première, car originaire, de la légitimité démocratique. Les deux niveaux d'exercice du pouvoir en Europe entrent en interaction et rétroagissent l'un sur l'autre de façon régulière. Par voie de conséquence, on est en droit de se demander si l'équilibre démocratique ne passe pas par ce va et vient, ce dialogue politique « composé » entre les structures étatiques (pouvoirs constitués et peuples) et les différentes institutions de l'Union dont on sait que la Cour de justice d'un côté et la Commission et le Parlement européen de l'autre jouent un rôle fondamental.
International audience ; Afghanistan, Cuba, Côte-d'Ivoire, Darfour, Irak, Koweït, Kosovo, Rwanda, Tibet, Timor oriental, Somalie, etc. Egrener les parties du monde où les bruits de bottes se sont fait pressants ; où le fracas des armes a pu devenir assourdissant ; où les crimes internationaux se sont déchaînés ; où les pertes humaines ont été légion, est un exercice sans fin. Or, si les « crises » sont ni plus ni moins consubstantielles à l'ordre international elles ne sont cependant pas les guerres ; elles peuvent toutefois les précéder, leur succéder voire leur être simultanées ce qui rend souvent ténue la frontière entre les deux concepts. Le XXe siècle aura été à cet égard le théâtre de changements radicaux ; le XXIe siècle confirmera la propagation des désordres géopolitiques. L'ère de l'« hyper-puissance américaine » (Hubert Védrine) a succédé à l'ordre bipolaire de la guerre froide - que le fondateur de la V République se plaisait à nommer la « double hégémonie » . Les « conflits armés internes » ont pris l'ascendant sur les guerres classiques entre États. La politique de la terreur a envahi les moindres recoins du «village planétaire» - jusqu'aux gratte-ciel new-yorkais - au point de préfigurer un ordre multipolaire où des « valeurs » et des « civilisations» disparates s'entrechoquent, où l'Occidentvacille, où les coups de boutoirs des obscurantismes de tous bords sont à leur paroxysme.
International audience ; Mouvementée, l'histoire des relations entre la France et la Convention européenne des droits de l'homme le fut. Et pourtant, rien ne laissait supposer que la «patrie des droits de l'homme» – celle qui fournit au constitutionnalisme moderne la Déclaration des droits la plus célèbre, à tout le moins la plus célébrée – allait manifester autant de réticences. Il est un fait que le système ingénieux et révolutionnaire d'une garantie internationale et juridictionnelle des droits fut loin d'être accepté avec enthousiasme par la France. Qu'on en juge : elle ne ratifia la Convention qu'en 1974 – après que l'éminent juriste René Cassin, Prix Nobel de la Paix en 1968, eut plusieurs fois menacé de démissionner de son poste de président de la Cour européenne ; elle n'accepta le droit de recours individuel qu'en 1981 après que Robert Badinter, alors garde des Sceaux du nouveau gouvernement socialiste, eut facilement convaincu le Président Mitterrand de la noblesse et de l'importance de l'acte. Le 30 mai 1981, c'est par la signature d'André Chandernagor, alors ministre des Affaires européennes, que la France en finissait avec sa politique d'ostracisme conventionnel. En définitive, l'Hexagone ne s'arrima de «façon concrète et effective» au système européen de contrôle – pour reprendre le dictum fameux de la Cour de Strasbourg – qu'en 1986, année au cours de laquelle elle lui infligeait sa première condamnation : l'arrêt Bozano du 18 décembre 1986 marquait enfin l'âge de la maturité.
International audience ; Mouvementée, l'histoire des relations entre la France et la Convention européenne des droits de l'homme le fut. Et pourtant, rien ne laissait supposer que la «patrie des droits de l'homme» – celle qui fournit au constitutionnalisme moderne la Déclaration des droits la plus célèbre, à tout le moins la plus célébrée – allait manifester autant de réticences. Il est un fait que le système ingénieux et révolutionnaire d'une garantie internationale et juridictionnelle des droits fut loin d'être accepté avec enthousiasme par la France. Qu'on en juge : elle ne ratifia la Convention qu'en 1974 – après que l'éminent juriste René Cassin, Prix Nobel de la Paix en 1968, eut plusieurs fois menacé de démissionner de son poste de président de la Cour européenne ; elle n'accepta le droit de recours individuel qu'en 1981 après que Robert Badinter, alors garde des Sceaux du nouveau gouvernement socialiste, eut facilement convaincu le Président Mitterrand de la noblesse et de l'importance de l'acte. Le 30 mai 1981, c'est par la signature d'André Chandernagor, alors ministre des Affaires européennes, que la France en finissait avec sa politique d'ostracisme conventionnel. En définitive, l'Hexagone ne s'arrima de «façon concrète et effective» au système européen de contrôle – pour reprendre le dictum fameux de la Cour de Strasbourg – qu'en 1986, année au cours de laquelle elle lui infligeait sa première condamnation : l'arrêt Bozano du 18 décembre 1986 marquait enfin l'âge de la maturité.
Texte publié : L. BURGORGUE-LARSEN, "Le traité établissant une Constitution pour l'Europe au carrefour des ambivalences", in L'intégration européenne au XXIème siècle. En hommage à Jacques Bourrinet, Paris, La Documentation française, 2004, pp. 39-71 (ISBN 2-11-005764-5) ; International audience ; « Mieux vaut tard que jamais » ! Voilà comment l'adoption du Traité établissant une Constitution pour l'Europe fut accueillie par le Président de la République française le soir du 18 juin 2004. On aurait pu attendre mieux qu'un dicton populaire et galvaudé pour un texte dont l'idée émergea en pleine crise sur le sens de l'intégration européenne mais qui, au bout du compte, a pour ambition d'être un acte refondateur.Ce traité pourtant n'est pas le premier du genre. Il y eut en effet plusieurs coups d'essai constitutionnel qui furent tous des coups manqués. Il faut dire que la tâche « constituante » communautaire, en elle-même, n'est guère aisée. Mais cette fois-ci, si l'évidence constitutionnelle réussit à s'imposer, c'est avant tout parce que les hommes politiques - au premier chef les représentants du couple franco-allemand - s'emparèrent avec conviction du « mot ». Le reste se mit en place assez facilement et fut le résultat d'un effet dynamique positif, processusbien connu de l'histoire de l'intégration. Cependant, il faut raison garder et éviter l'écueil de l'angélisme européen qui peut être l'apanage de ceux qui étudient avec attention et intérêt le droit communautaire. Car tout est loin d'être idyllique dans le monde de l'Union européenne. En l'occurrence, l'histoire du texte, son élaboration et son adoption ; le texte lui-même - son contenu et son contenant (instrumentum) - sont aux confluences des ambivalences. Est-ce entièrement étonnant quand on sait qu'en réalité toute l'histoire de la construction communautaire a sans cesse oscillé entre des visions antagonistes qui se sont matérialisées dans des institutions et des procédures représentant chacune des intérêts contradictoires ? Cette fois-ci, toutefois, ...
Etats-Unis d'Amérique et Justice internationale ! S'agirait-il d'un oxymore, une alliance ingénieuse de mots passablement contradictoires ; une sorte de « clair-obscur » juridique ? Si tel était le cas, les dés seraient jetés, la messe serait dite, de façon un peu trop simple, voire simpliste. L'affaire est plus complexe, l'affaire est moins nette car ce qui brouille les cartes, c'est le contexte actuel des relations internationales et la position d'hegemon des États-Unis qui recouvre la moindre de ses actions d'un extraordinaire a priori : celui de l'illégalité. Or, s'il existe des éléments objectifs qui confortent l'a priori en le transformant en donnée positive, il est tout aussi clair que, dans le même temps, d'autres éléments ne sont que la manifestation classique de la mise en œuvre d'une politique juridique extérieure dont Guy de Lacharrière a pu rappeler qu'elle était au cœur de la démarche de chaque État souverain. « Les politiques juridiques des différents États, en dépit de la diversité ou de la contradiction de leurs contenus, ont en commun la volonté des gouvernements concernés de déterminer leurs conduites en fonction de leurs propres objectifs, c'est-à-dire de leurs intérêts nationaux tels qu'ils les apprécient ». Les politologues spécialistes du droit et des relations internationales arrivent bien logiquement à la même constatation 2. Ce paradigme établi, la conduite de la politique étrangère des Etats se caractérise par deux principes cardinaux : 1. influencer positivement (i.e. conformément aux intérêts nationaux tels que définis par l'Etat à un moment donné) le contenu du droit (« préoccupation offensive ») ; 2. préserver in fine sa faculté d'adopter ou de rejeter le droit (« préoccupation défensive »).
Etats-Unis d'Amérique et Justice internationale ! S'agirait-il d'un oxymore, une alliance ingénieuse de mots passablement contradictoires ; une sorte de « clair-obscur » juridique ? Si tel était le cas, les dés seraient jetés, la messe serait dite, de façon un peu trop simple, voire simpliste. L'affaire est plus complexe, l'affaire est moins nette car ce qui brouille les cartes, c'est le contexte actuel des relations internationales et la position d'hegemon des États-Unis qui recouvre la moindre de ses actions d'un extraordinaire a priori : celui de l'illégalité. Or, s'il existe des éléments objectifs qui confortent l'a priori en le transformant en donnée positive, il est tout aussi clair que, dans le même temps, d'autres éléments ne sont que la manifestation classique de la mise en œuvre d'une politique juridique extérieure dont Guy de Lacharrière a pu rappeler qu'elle était au cœur de la démarche de chaque État souverain. « Les politiques juridiques des différents États, en dépit de la diversité ou de la contradiction de leurs contenus, ont en commun la volonté des gouvernements concernés de déterminer leurs conduites en fonction de leurs propres objectifs, c'est-à-dire de leurs intérêts nationaux tels qu'ils les apprécient ». Les politologues spécialistes du droit et des relations internationales arrivent bien logiquement à la même constatation 2. Ce paradigme établi, la conduite de la politique étrangère des Etats se caractérise par deux principes cardinaux : 1. influencer positivement (i.e. conformément aux intérêts nationaux tels que définis par l'Etat à un moment donné) le contenu du droit (« préoccupation offensive ») ; 2. préserver in fine sa faculté d'adopter ou de rejeter le droit (« préoccupation défensive »).
Texte publié : L. BURGORGUE-LARSEN, "Le traité établissant une Constitution pour l'Europe au carrefour des ambivalences", in L'intégration européenne au XXIème siècle. En hommage à Jacques Bourrinet, Paris, La Documentation française, 2004, pp. 39-71 (ISBN 2-11-005764-5) ; International audience ; « Mieux vaut tard que jamais » ! Voilà comment l'adoption du Traité établissant une Constitution pour l'Europe fut accueillie par le Président de la République française le soir du 18 juin 2004. On aurait pu attendre mieux qu'un dicton populaire et galvaudé pour un texte dont l'idée émergea en pleine crise sur le sens de l'intégration européenne mais qui, au bout du compte, a pour ambition d'être un acte refondateur.Ce traité pourtant n'est pas le premier du genre. Il y eut en effet plusieurs coups d'essai constitutionnel qui furent tous des coups manqués. Il faut dire que la tâche « constituante » communautaire, en elle-même, n'est guère aisée. Mais cette fois-ci, si l'évidence constitutionnelle réussit à s'imposer, c'est avant tout parce que les hommes politiques - au premier chef les représentants du couple franco-allemand - s'emparèrent avec conviction du « mot ». Le reste se mit en place assez facilement et fut le résultat d'un effet dynamique positif, processusbien connu de l'histoire de l'intégration. Cependant, il faut raison garder et éviter l'écueil de l'angélisme européen qui peut être l'apanage de ceux qui étudient avec attention et intérêt le droit communautaire. Car tout est loin d'être idyllique dans le monde de l'Union européenne. En l'occurrence, l'histoire du texte, son élaboration et son adoption ; le texte lui-même - son contenu et son contenant (instrumentum) - sont aux confluences des ambivalences. Est-ce entièrement étonnant quand on sait qu'en réalité toute l'histoire de la construction communautaire a sans cesse oscillé entre des visions antagonistes qui se sont matérialisées dans des institutions et des procédures représentant chacune des intérêts contradictoires ? Cette fois-ci, toutefois, l'ambivalence se retrouve jusque dans les termes mêmes du texte : voilà un traité qui établit une Constitution, la tension paroxystique est à son comble. Le « traité constitutionnel », hérétique pour beaucoup, entre dans le Panthéon des traités de révision, mais à une place bien singulière car il abroge l'existant, et, sur le substrat de l'acquis, pose les fondations du futur.
International audience ; Les temps sont loin où le droit communautaire ne vivait que par et pour l'uniformité. Interprétation uniforme par la Cour de Luxembourg. Application uniforme par les Etats membres. Interprétation et application uniformes pour l'effectivité de la mise en place d'un marché véritablement commun aux territoires des Etats membres. Le principe de l'uniformité, qui s'était sans nul doute transformé en dogme, est aujourd'hui — non pas relégué au magasin des accessoires de la construction communautaire — mais sérieusement concurrencé par celui de la différenciation, dont l'avenir est, sans conteste possible, voué à un succès pratique sans précédent. Il y va en effet de la viabilité du projet communautaire dans le cadre d'une Union élargie et hétérogène. Partant, au statut uniforme d'Etat membre, se superpose en puissance des statuts d'Etats « in » ou « out », selon qu'ils participent ou pas à une des nombreuses techniques d'intégration différenciée. Le changement de perspective est fondamental, puisque l'on passe d'un système vertébré autour de l'homogénéité, censé effacer, à tout le moins, atténuer les différences d'ordre économique et social à un système structuré autour de la différenciation, censé au contraire intégrer et prendre en compte les différences. De l'ordre, convoité et désiré, la construction communautaire capitulerait-elle en étant contrainte de prendre en compte la donne du désordre ? Loin de là. C'est une évidence que de rappeler que l'Union élargie à l'Est ne peut pas s'assimiler à la Communauté des Dix ou des Douze, encore moins à celle des Six. C'est donc faire preuve de réalisme que d'intégrer de la différenciation dans le droit et les procédures communautaires pour ne pas laisser se diluer et s'étioler l'intégration communautaire, même si, dans le même temps, c'est définitivement bouleverser l'architecture du droit et du système communautaires. L'étude ici entreprise a pour axe central une grille d'analyse qui permet de mieux appréhender le concept de différenciation, c'est-à-dire de l'appréhender en lui donnant un sens. Trois approches seront utilisées pour présenter les déclinaisons de la différenciation (I). L'approche historique prend appui sur la chronologie du processus communautaire afin d'identifier les « traces » de différenciation prévue par les traités institutifs d'abord, les traités de révision et d'adhésion ensuite. L'approche volontariste se base sur le degré de liberté laissée aux Etats dans l'insertion puis l'usage des techniques de différenciation. L'approche fonctionnaliste, enfin, prend appui sur une summa divisio classique et toujours opératoire axée sur la finalité de la différenciation, pro ou anti-communautaire. Elle est particulièrement séduisante. Simple, elle permet instantanément de discerner la nature de la différenciation : constructive ou au contraire destructurante. Surtout, elle n'est pas exclusive et admet en guise de complément d'analyse juridique, l'approche historique et volontariste. Une fois la différenciation déclinée sous ses différents modes, il sera capital d'en discerner les finalités (II) et de dépasser l'idée selon laquelle elle ne servirait qu'à encadrer l'hétérogénéité accrue de l'Union. Certes, il est vrai qu'il s'agit avant tout d'une technique qui a pour dessein premier d'induire une différenciation matérielle — c'est à dire une application différenciée du droit et des politiques communautaires aux Etats membres ; en cela, elle est d'ailleurs toujours précédée d'une différenciation institutionnelle, passage obligé pour mettre en oeuvre un droit d'application hétérogène. Ce schéma cependant ne doit pas faire oublier les cas où l'hétérogénéité n'est pas le seul élément que les techniques de différenciation tentent de maîtriser.