Le Secret de Polichinelle : Politique de la marionnette chez Charles Nodier, Alfred Jarry et Gustave Kahn
En 1906 paraît chez Sansot une pièce du répertoire du Guignol, Polichinelle, réécrite par Gustave Kahn. Dans l'étude qui précède cette pièce, Kahn dresse un historique de Polichinelle et du Guignol, conçu comme un art de la synthèse des émotions : Polichinelle est un drame " superhumain ", dont le héros représente, par ses exagérations mêmes, les " grands mouvements de l'âme humaine ". Cette conception du théâtre de marionnettes comme miroir symbolique de l'humanité se retrouve chez deux autres amateurs du Guignol : Charles Nodier et Alfred Jarry. C'est chez Nodier, cité par Kahn, que se met en place la formule de l'esthétique du guignol : Polichinelle, être éminemment politique, est une synthèse par l'abstraction de l'humanité. La réflexion politique est au cœur de l'esthétique de la marionnette : Nodier pense le guignol comme un spectacle de la représentation, focalisation de l'opinion qu'il condense. Avec Jarry, ce phénomène de synthèse s'inverse : Ubu n'est plus qu'un Polichinelle en creux, vide de toute signification, un miroir aux alouettes servant à diffracter les opinions diverses d'une foule bigarrée et sans unité politique. Gustave Kahn, en 1906, peut tirer les conclusions de plusieurs dizaines d'années de théories sur la relation de la marionnette au politique. Pour lui, qui répond à Nodier mais aussi à la pratique symboliste de la marionnette, il y a un constat d'échec dans le " déclin " du guignol, déclin que l'on peut analyser à la fois comme une déchéance politique (signant l'incapacité de la bourgeoisie à fonder un pouvoir au centre de son point de mire) et une déchéance esthétique (l'échec du symbole, de la synthèse, et par là du système symboliste).