Résumé Aníbal Quijano, sociologue péruvien qui se consacre depuis longtemps à l'étude des dynamiques socio-historiques du capitalisme en tant que système, innove dans ce genre depuis les années 1990 en soulignant à quel point la colonisation des Amériques a joué un rôle crucial dans la genèse du système-monde moderne, en inaugurant la classification « raciale » des peuples du monde – mode de distinction constitutif de la modernité. La matrice coloniale (ou « colonialité ») du pouvoir selon Quijano se fonde à ses origines sur quatre piliers : l'exploitation de la force de travail, la domination ethno-raciale, le patriarcat et le contrôle des formes de subjectivité (ou imposition d'une orientation culturelle eurocentriste). Deux siècles après les indépendances latinoaméricaines, cette matrice reste centrale dans les rapports sociaux. Ici Quijano s'efforce de démontrer l'imbrication des rapports de « race » et de « genre » dans la colonialité du pouvoir 1 .
Ce dossier recherche la forme de pouvoir que constitue la « colonialité » aujourd'hui, par l'examen de la gestion raciste, ethnique et genrée des déplacements d'individus et par l'analyse des rapports sociaux dans les espaces concernés par les migrations. Les contributions de ce dossier prennent pour objet les techniques de gouvernance des mouvements de population, les systèmes de règle satisfaisant la violence sur les personnes migrantes et les pratiques institutionnelles entretenant les rapports de subalternisation qui prennent leurs racines dans l'histoire des colonisations. Le double sens du titre indique que nous recherchons aussi les « voyages » de ces dispositifs de pouvoir dans l'espace et dans le temps, en scrutant leurs adaptations et leurs renouvellements en fonction de l'état des rapports de force dans les contextes précis que nous étudions.
L'article propose d'analyser la dynamique entre les membres des diasporas africaines noires de Belgique et les représentants du Musée royal de l'Afrique centrale de Tervuren ( mrac ) lors de sa rénovation (2014-2018). Créé en 1898 dans le Palais des colonies de l'exposition universelle de Bruxelles sous le nom de « musée du Congo », ce musée (renommé en 2018 Africa Museum) incarne, pour ces diasporas, l'héritage colonial par excellence de la Belgique et constitue un terrain d'enjeux matériels (œuvres d'art/biens mal acquis durant la colonisation, décolonisation de la muséographie) et symboliques majeurs. L'analyse met en lumière la persistance du poids de l'héritage colonial et de la colonialité du pouvoir sur les diasporas africaines de Belgique qui s'est manifestée, en l'occurrence, dans la difficulté de celles-ci à faire valoir ses points de vue sur la rénovation et son aspiration à décoloniser l'approche muséale du mrac .
Résumé Cet article traite des apports théoriques et politiques du féminisme antiraciste, en particulier le black feminism et le féminisme chicano aux États-Unis, de la pensée des afro-féministes et des indigènes en Amérique latine et dans les Caraïbes, pour une nouvelle compréhension de la « colonialité du pouvoir » à partir de l'imbrication de catégories comme la race, la classe, le sexe et la sexualité.
In this doctoral work, I reflect on contemporary Brazilian society and how its history has been marked by Portuguese colonization and slavery, which gained considerable ground under the transatlantic treaty. By viewing interbreeding as the guarantor of social unity, thereby keeping alive the myth of a racial democracy, contemporary society politically and institutionally recognizes that populations differ on social and racial grounds. As a result, a latent but very real racism exists, as well as multiple, increasingly apparent inequalities, of which Brazilian classrooms are a reflection. Under the ethnicization of Brazilian public policy and the introduction of affirmative action, which is a tool for a politics of positive discrimination, institutional means were put in place at the turn of the 21st century to reduce inequalities and other consequences of racism, such as a system of racial quotas and the introduction of mandatory African and Afro-Brazilian cultural-historical studies; and all this in an effort to better integrate the black and mixed Brazilian population. This work uses decolonial thinking to prove that, deep down in the Brazilian social-historical imagination, the coloniality of power, knowledge, and being, racialized social relations not only exists, but is also being perpetuated under the guise of a Eurocentric and Occidentalist vision, as well as a norm implicitly rooted in the ideology of "whitewashing".The work is based on a multi-referential approach, which blends together a socio-historical approach, the clinical process and the theoretical framework of Institutional Analysis. It also puts forward, through field research in Ribeirao Preto, a town in the state of Sao Polo, ethnographical observations and comprehensive interviews, all of which will allow me to present a dual analysis of my field research.Analyzing words, speeches, behaviors, and lived experiences is crucial to understanding that these different forms of coloniality manifest themselves in the daily lives of people. It also proves that there is a tension between institutional aims and the putting in place, in real life, of a politics that calls itself into question and favors what I call an "integrating-exclusive" paradigm. This paradigm is illustrated by the necessity of auto-identifying and categorising a part of the Brazilian population, in an attempt to benefit from the production of inclusive measures perceived and experienced as excluding and unjust.Finally, this work is an attempt at once to conceptualize the notion of bio-power, and to reflect on the educational stakes rooted in attempts to direct us towards a decoloniality process, by way of a critical perspective capable of calling out and pointing fingers at the destruction of social imaginaries. In doing so, we hope to transform the institutionalization of this implicit, yet very real, paradigm. ; J'ai souhaité, dans ce travail doctoral, mener une réflexion sur la société brésilienne actuelle, société issue d'une histoire marquée par la colonisation portugaise et l'esclavage qui, sous la traite transatlantique, a pris un essor considérable. L'époque contemporaine, après avoir entretenue le mythe de la démocratie raciale en plaçant notamment le métissage comme garant de l'unité sociale du pays a reconnu politiquement et institutionnellement une différenciation raciale et sociale de la population, l'existence d'un racisme latent mais bien réel et des inégalités multiples qui se cristallisent et s'illustrent aussi à l'intérieur de l'école brésilienne. Dans le cadre d'une ethnicisation des politiques publiques brésiliennes et l'instauration, à partir des années 2000, des actions affirmatives, outils d'une politique de discrimination positive, des dispositifs institutionnels se mettent en place, tels qu'un système de quotas raciaux, l'instauration dans le cursus scolaire de l'obligation d'enseigner l'histoire et la culture africaine et afro-brésilienne, dans le but d'une réduction de ces inégalités et des conséquences du racisme pour une meilleure intégration de la population noire et métisse brésilienne.A la lumière de la pensée décoloniale latino-américaine, l'enjeu de ce travail était de mettre en évidence l'existence et la perpétuation au sein de l'imaginaire social-historique brésilien d'une colonialité du pouvoir, du savoir et de l'être maintenant des rapports sociaux racistes et racialisés sous couvert d'une vision eurocentrique et occidentale et une norme implicite de l'idéologie du blanchiement. Avec l'appui d'une approche théorique et méthodologique multiréférentielle alliant l'approche socio-historique, la démarche clinique et le cadre théorique de l'Analyse Institutionnelle, et la mise en place, sur le terrain d'étude, Ribeirão Preto, une ville de l'état de São Paulo, d'observations de type ethnographiques et d'entretiens compréhensifs, j'ai présenté une double analyse de mes données de terrain. L'analyse de la parole, de discours, de comportements, de situations vécues et ou relatées a permis de pointer de quelle manière se manifestaient ces différentes formes de colonialité dans et par le parcours de vie et le quotidien des personnes rencontrées. Elle a également mis en évidence une tension entre l'objectif institutionnel affiché et la mise en œuvre sur le terrain d'une politique remise en question et qui pourrait favoriser un paradigme que j'ai nommé intégrant-excluant, s'illustrant par une nécessité d'une auto-identification et d'une catégorisation d'une partie de la population brésilienne, pour bénéficier de l'obtention des mesures intégratrices qui peuvent être perçues et vécues comme excluantes et injustes. Enfin, je propose un travail de conceptualisation autour de la notion de bio-pouvoir et une réflexion autour d'enjeux éducatifs visant à aller vers un processus de décolonialité par une perspective critique interrogeant la déconstruction des significations imaginaires sociales dans une perspective de transformation de l'institutionnalisation de ce paradigme implicite mais bien présent. ; Eu queria, nesse trabalho de doutorado, refletir sobre a atual sociedade brasileira, uma sociedade que se origina numa história marcada pela colonização e escravidão portuguesa que, sob o comércio transatlântico, tem crescido consideravelmente. A era contemporânea, depois de ter mantido o mito da democracia racial colocando a mestiçagem como garantia da unidade social do país, reconheceu políticamente e institucionalmente uma diferenciação racial e social da população, a existência de um racismo latente mas real e várias desigualdades que se cristalizam e são também ilustradas dentro da escola brasileira. No contexto de uma etnicização das políticas públicas brasileiras e da introdução, a partir dos anos 2000, das ações afirmativas, ferramentas de uma política de discriminação positiva, dispositivos institucionais vão ser aplicados, como um sistema de cotas raciais, a introdução, no currículo escolar, da obrigação de ensinar a história e a cultura africana e afro-brasileira, com o objetivo de reduzir essas desigualdades e as conseqüências do racismo para uma integração melhor da população brasileira negra e mestiça. À luz do pensamento descolonial latino-americano, o desafio deste trabalho foi destacar a existência e a perpetuação, no imaginário sócio-histórico brasileiro, de uma colonialidade do poder, do conhecimento e do ser perpetuam relações sociais racistas e racializadassustendadas por uma visão eurocêntrica e ocidental e uma norma implícita de ideologia do branqueamento. Com o apoio de uma abordagem teórico e metodológico multireferencial que combina a abordagem sócio-histórica, a abordagem clínica e o referencial teórico da Análise Institucional, e o estabelecimento, no território do estudo, Ribeirão Preto, cidade do Estado de São Paulo, de observações de tipo etnográficas e de entrevistas comprehensivas, apresentei uma análisedupla dos meus dados de campo. A análise das falas, dos discursos, dos comportamentos, das situações vivenciadas oucontadas possibilitaram apontar como essas diferentes formas de colonialidade se manifestaram no e por os percursos de vida e no cotidiano das pessoas encontradas. Destacou-se também uma tensão entre o objetivo institucional declarado e a implementação de uma política questionada no terreno que poderia fomentar um paradigma que denominei de integrando-excluindo, exemplificado pela necessidade de auto-identificação e de categorização de uma parte da população brasileira, para poder beneficiar da obtenção de medidas integradoras que possam ser percebidas e vivenciadas como excludentes e injustas. Por fim, proponho um trabalho de conceptualização em torno da noção de biopoder e umareflexão em torno de desafios educativos visando avançar para um processo de descolonialidade por uma perspectiva crítica questionando a desconstrução das significações imaginárias sociais numa perspectiva de transformação da institucionalização deste paradigma implícito mas muito presente