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Les meetings électoraux: scènes et coulisses de la campagne présidentielle de 2017
In: Espaces politiques
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Tout avait si bien commencé: journal d'un "frondeur"
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The orphans of politics and their curious machines. Aesthetic, technical and political experiments in the age of networks ; Les orphelins de la politique et leur curieuses machines. Expérimentations esthétiques, techniques et politiques à l'ère des réseaux
The orphans of politics and their curious machines. Aesthetic, technical and political experiments in the age of networks ; Nous partons de l'hypothèse que, pour toute une série d'activistes ayant fait défection des formes et des espaces traditionnels du militantisme - les "orphelins de politique" -, Internet apparaît comme un espace d'expérimentation permettant d'inventer des formes d'agir ensemble et de faire émerger de causes renouvelées. En élaborant des "machines", des dispositifs socio-techniques, ces activistes ne font pas "qu'outiller" la démocratie, ils sont eux-mêmes parties prenantes de processus d'innovations techniques, politiques et médiatiques. Par sa plasticité, son caractère inachevé – on pourrait même dire "prématuré" – Internet est en effet un lieu où se croisent des expérimentations politiques, culturelles, techniques et expressives. Ainsi, nous montrons que ces espaces d'expérimentations visent à renouveler non seulement les structures organisationnelles ou les répertoires d'actions, mais aussi les causes politiques et leur régime de vérité. Les machines qui s'inventent aujourd'hui ne servent peut-être à ces activistes qu'à reformuler des problématiques concernant la manière de produire des projets politiques, qui touchent au bien commun sans aliéner sa propre subjectivité.C'est la raison pour laquelle, ce travail se construit autour du triptyque "défection", "expérimentation", "expressivisme", qui constitue notre cadre d'intelligibilité de ces pratiques. Ce cadre se fonde conceptuellement et méthodologiquement d'une part sur l'apport de la sociologie politique et de la technique (travaux d'Erwin Goffman et de David Snow sur la Frame Analysis, approche de l'enquête sociologique de John Dewey, réflexions sur la technique et l'usage de Michel de Certeau, Gilbert Simondon et Andrew Feenberg). Il se fonde d'autre part que sur les acquis de l'analyse pragmatique de l'audiovisuel, des nouveaux médias et technologies de communication (sémio-pragmatique, problématique de l'intermédialité, et travaux sur l'expressivisme de Laurence Allard, etc.). Une attention toute particulière est portée aux théories endogènes du réseau qu'élaborent les acteurs, qui se réfèrent à un corpus bibliographique dominé par les écrits de Gilles Deleuze, Félix Guattari, Arjun Appadurai, Toni Negri, Lawrence Lessig et Eric S.Raymond, dont nous nous discutons l'usage tout au long de ce travail. À l'issue d'une longue recherche de terrain aux côtés de ces orphelins de la politique et de leurs "curieuses machines", il nous apparaît que le militantisme politique sur Internet, tant en France que dans le monde, marque un tournant majeur depuis le début des années 2000. Alors qu'Internet est encore aujourd'hui souvent considéré comme un simple outil au service des mobilisations politiques ou comme un "contre-média" (ou un média alternatif), nous assistons à une modification en profondeur du rapport que les activistes vont entretenir vis-à-vis d'Internet. Nous sortons en effet de ce moment où beaucoup considéraient à tort que les mouvements sociaux s'organisaient par l'intermédiaire d'outils technologique sans que ces outils n'aient d'incidence sur la forme et le contenu des mobilisations (mythe de neutralité de la technique). À l'évidence, les mouvements sociaux ne sortent pas indemnes de leur confrontation à ce nouveau média.La première partie de ce travail est consacrée à ce que nous appelons le "tournant culturel" de l'Internet militant. Alors que, jusqu'au début des années 2000, cet activisme s'inscrivait dans une continuité relative avec des formes plus traditionnelles d'activisme politique (diffusion d'information, organisation des différentes initiatives, etc.), nous assistons à l'apparition, à la fois de nouvelles pratiques et de nouveaux acteurs.Pour expliciter ce tournant culturel, nous prenons l'exemple de la vidéo en montrant, notamment grâce à une analyse d'un large corpus de films, ce que cet activisme vidéo doit, non pas au média télévisuel, mais surtout au cinéma et en particulier aux expérimentations cinématographiques des avant-gardes des années 1920 et des années 1950. Nous définissons la "politique esthétique" de ces vidéos, fondée moins sur des références liées au cinéma militant que sur des références inattendues : culture du remixage, réagencement et resignification, concepts déjà à l'œuvre dans l'histoire du cinéma et la musique, que les cultures digitales se sont elles-mêmes réappropriées.Ce corpus d'images nous conduit à constater qu'il existe une dimension nouvelle de cet activisme : à savoir les passerelles, de plus en plus nombreuses, qui se tissent avec les milieux de l'art contemporain et de la "critique artiste". Ces relations ont eu pour précurseurs les travaux de quelques groupes d'activistes du monde de l'art, du théâtre ou de la musique tels que le Critical Art Ensemble, Negativeland, etc. Nous pouvons constater l'existence de ces liens entre les activistes du Net avec les artistes se réclamant des Tactical Medias. Le terreau de cette rencontre a été ce que l'on qualifie traditionnellement de "contre-culture", des médias communautaires ou associatifs (chaînes d'accès publics, radios pirates, etc…), mais aussi l'héritage de l'histoire de l'art et de ses rapports complexes à la politique. Cette rencontre a conduit à la diffusion de productions traditionnelles (films relatant des actions ou des performances), et à l'implication concrète d'artistes dans des développements plus internes au réseau. Certains n'hésitent pas en effet à investir les domaines de la programmation informatique, de la téléphonie mobile ou du détournement de jeu vidéo, etc. Ce tournant culturel marque un tournant médiatique d'importance que l'on peut analyser au croisement des travaux de Guattari sur la notion de "post-médias" et de sa problématique de la "resignification", mais encore dans l'héritage de la culture du hack et du Do It Yourself, issue de l'informatique libre. Ce tournant souligne à quel point ce médiactivisme en réseau ne peut se résumer à la critique des médias ou à celle de la création de "médias alternatifs". Cette première partie se conclut sur la notion de "médiascape", empruntée à l'anthropologue Arjun Appadurai. Cette notion permet de rendre compte de cette accumulation d'images, de sons, de représentations qui circulent sur Internet créant ainsi une véritable communauté militante que l'on pourrait décrire d'une manière plus appropriée comme une diaspora de "publics interconnectés".La seconde partie de ce travail, intitulée "Syndiquez vous ! Agrégation et devenir-commun du réseau militant" est consacrée à la manière dont les activistes sur Internet construisent des formes originales d'agrégation politique hors des formes traditionnelles de la représentation et de la délégation. On croyait que les internautes "s'enfonçaient" dans les "plis du réseau" et dans une réalité de plus en plus virtuelle. Dans un mouvement que l'on peut qualifier de "stratégie cartographique", ils ont paradoxalement tendance à se positionner sur des cartes représentant le monde physique et même à réinvestir la rue en devenant des "externautes". Le développement des technologies radios, de mobilité et de géolocalisation (WEB 2.0, WIFI et téléphonie mobile, etc.) associé à un mouvement de projection vidéo dans l'espace public conduit à ainsi "augmenter" les territoires de l'agir. Ce passage à l'échelle du territoire montre combien la question de l'entropie et de la dispersion des données sur le réseau et in fine de l'activité politique est le risque le plus important en même temps que l'obsession de ces activistes. En poursuivant cette réflexion, nous montrons que le dispositif socio-technique de la "syndication", qui s'est d'abord développé à travers les blogs, permettant une agrégation des contenus et commentaires, apparaît comme une véritable procédure visant à construire cet "être-agir en-commun". Le premier moment de cette réflexion est consacré à retracer les différentes étapes dans la construction de cette représentation des territoires d'action - de la "Noosphère" de Teilhard de Chardin à la problématique du "Rhizome" et des "Plateaux" de Deleuze et Guattari. Cette approche critique conduit à s'intéresser plus spécifiquement à la question de la cartographie des mouvements par eux-mêmes. On voit en effet apparaître depuis quelques années de nombreuses cartes visant, d'une part à identifier des groupes d'acteurs, des pratiques mais aussi, d'autre part, à établir les relations qui existent tant entre les acteurs qu'entre les pratiques. Dès lors qu'il n'existe pas de dessein collectif, telle la prise de pouvoir, cette activité de cartographie permet de créer stratégiquement des territoires visant à héberger un "agir-commun". Le "devenir-commun" qui tente de dépasser la problématique du "devenir-mineur", avancée par Deleuze et Guattari, vise à poser les bases permettant non seulement aux minorités de se donner un projet politique, mais en allant plus loin, à toutes les subjectivités d'y participer. On a fréquemment recours au concept de coopération pour expliciter, notamment dans le domaine du logiciel libre, de l'Art Libre et du P2P, les formes d'association endogènes du réseau. La coopération a pour beaucoup marqué une évolution significative permettant d'entrevoir de nouvelles formes de production. Un travail de déconstruction des pratiques et des discours sur la coopération nécessite cependant d'imaginer et d'expérimenter de nouvelles structurations organisationnelles. De ce point de vue, la syndication apparaît peut-être plus pertinente pour définir les formes politiques d'agrégations volontaires qui se développent aujourd'hui à travers Internet. Analysée à la fois comme un procédé technologique et comme une procédure sociale et politique d'agrégation, la syndication architecture des subjectivités politiques pluralisées sur le mode de la conjonction plutôt que sous l'impératif de la communauté. Pour se débarrasser une fois encore d'une conception d'Internet réifiant sa dimension instrumentale, ce travail se conclut sur un retour critique sur les travaux de Bruno Latour qui avance la notion de "démocratie orientée objet" pour "ré-enchanter la politique". Si la défection apparaît comme une manière de contourner les questions de légitimité et de pouvoir que l'on pose aux mouvements sociaux, l'expérimentation de ces "objets" doit être conçue comme un effort incessant, visant à inventer des formes d'organisation sans cesse renouvelées. Il ne s'agit donc pas de dessiner un projet de société ou de réformer la démocratie en raffinant ces procédures : l'enjeu est plutôt d'élaborer avec et par la technique des manières et des formes d'agir ensemble et de produire du commun, en tenant compte de la singularité de chacun à l'âge de la défection et de l'expressivisme.
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Breaking the mosaic. Social links and collective identities among the Christians of Madaba, Jordan, 1870-1997 ; Briser la mosaïque. Lien social et identités collectives chez les chrétiens de Madaba, Jordanie, 1870-1997
Minority and community are concepts that have dominated the analysis of Christians in the Arab world, leading to a perception of Middle-Eastern societies as confessional or sectarian mosaics. This paradigm posits that religious and political identities and dynamics are closely intertwined in countries where the dominant culture is Islam, and that religious and ethnic groups live side by side, maintaining limited interactions while their immutable identities offer a strong potential for conflict. This work questions the paradigm of the mosaic by focusing on identity formation and interaction across religious boundaries over a period that extends from the later decades of Ottoman rule in Transjordan (1870) to present Jordan (1997). It asks whether confessionnal identities are by nature conflictual and if the 'minority' concept is the only relevant one to evaluate the degree of social, political and economic participation of non-Moslems in countries where Islam is the dominant culture. The approach is inductive and historical but mobilises concepts from the disciplines of social and political anthropology and political sociology. The dissertation comprises of 10 chapters set chronologically and covering the period 1870 to 1997. Taking a historical approach, it focuses on the modalities of exchanges, transactions, cooperation and communication (looking at kinship, mariage patterns, the role of women, economic cooperation, and various aspects of local and national politics) between Christians and Moslems and between several Christian denominations in Jordan (Orthodox and Roman Catholic, or Latin, in particular), more particularly in the town of Madaba however set within a broader national and international context. These broader contexts (that encompass the politics of states and of transnational Church actors over time) allow to bridge between the local and other levels to document how institutions regulate identity formation and cross-communal interactions. Over a century, Madaba provides the background, widely open to the rest of the country and the world, of a social, religious and political history of Arab Christian families. The work combines historical and anthropological approches and sources (in particular so far unexploited parish and Vatican archives, together with other archival sources). It questions the nature and the maintenance of the social and political link between Christians and Moslems in Madaba and in Jordan, and the changes that have affected identity boundaries between groups: both as Christians and Moslems, but equally as members of different Christian denominations, particularly in the context of missionary activities. The thesis defended here is that it is time to 'break the mosaic' so as to cast light from the inside on the societies and polities within which Christians in the Arab world are inserted. The title of the dissertation refers both to this paradigm and to the Byzantine mosaics that have made Madaba famous as an archaeological site. In place of the static image of the mosaic, the dissertation offers successive episodes of a moving picture where political powers, Churches (missionary or not), those local families that transfer their assets to Amman, the Jordanian capital, and the national arena, negotiate the organisation of local social interactions. One important contribution of the dissertation is to document how the tribe, over more than a century, remains a central social form to express identities, regulate economic and political interactions, and manage conflict both between Christians and between Christians and Moslems. Communal identities, however central they have become since the inception of the modern state, do not appear to threaten the cohesion of the society and the polity, either at the local or national levels. The maintenance of tribal identities is dealt with throughout the dissertation as a dynamic process in which both successive states, regimes, social actors at the national and local levels play a part, in particular in the historical context of the arrival of the Palestinians in Jordan and in the town of Madaba. At another level, the dissertation deals extensively with the institutional relations between the Greek Orthodox and the Roman Catholic Churches and the Jordanian state, bringing a new insight into a previously under-studied domain. Finally, this work offers an argument about the relationships between state and society in contemporary Jordan by interrogating the changing nature of the social pact between the Hashemite regime and local constituencies, more specifically with non-Moslems but also with Transjordanians as opposed to Palestinians. This work is therefore not a mere monograph about Christians in the town of Madaba: looking at a 'marginal' and local phenomenon, it enlightens broader social, political and historical dynamics. ; En partant d'un phénomène observé 'à la marge' afin de mieux illustrer ce qui se passe au centre, ce travail aborde des questions fondamentales pour la compréhension des sociétés du Moyen-Orient en déconstruisant notamment la catégorie de 'minorité', en s'interrogeant sur la nature du lien social entre chrétiens et musulmans dans l'agglomération de Madaba et au-delà dans la Jordanie contemporaine et en analysant la construction des identités collectives sur plus d'un siècle (1870-1997). Sont proposés d'autres paradigmes que ceux des traditions orientaliste et développementaliste pour l'analyse des minorités en pays musulmans. Ces traditions postulent la primauté du facteur religieux dans la formation et l'expression des identités sociales et envisagent les sociétés arabes comme des 'mosaïques' formées de groupes ethnoconfessionnels homogènes, relativement hermétiques les uns aux autres et inscrits dans une hiérarchie de statuts. On s'est plutôt inspiré ici de l'approche sur les frontières et les interactions entre groupes ethniques proposée par F. Barth en lui adjoignant une certaine profondeur historique et en intégrant une analyse des rapports entre le pouvoir politique et les groupes sociaux. Il s'agit de poser les affiliation religieuses et confessionnelles comme des constructions sociales et historiques dont on peut étudier le développement, les méandres et les interactions avec d'autres types d'affiliation. S'inspirant de tous les travaux récents portant sur la construction des identités collectives, qu'il s'agisse de nations ou d'ethnies, l'approche choisie défend une conception plurielle et mouvante des identités décrites en termes de processus dynamiques et interactionnels en s'interrogeant sur les temporalités et les facteurs de continuité/changement et en montrant des continuité beaucoup plus longues que celles qui posent la période coloniale comme période charnière de fixation des identités collectives. En plus d'une méthodologie d'observation anthropologique du terrain et des acteurs, quatre types principaux de sources ont été exploités : la littérature des voyageurs occidentaux, les archives paroissiales et missionnaires (en particulier celles de la Propaganda Fide à Rome), les témoignages oraux, la littérature d'histoire locale produite à Madaba. On a adopté un plan chronologique découpé en trois périodes principales. A l'intérieur de chaque partie, l'analyse thématique a été privilégiée en suivant, dans l'agglomération de Madaba depuis sa fondation en 1880, les alliances matrimoniales, politiques et économiques entre chrétiens et musulmans et entre groupes de différents rites chrétiens (essentiellement orthodoxes et latins) afin de déterminer où passent les frontières de l'identité et comment elles changent. Une variété d'acteurs institutionnels et individuels, dont certains apparaissent à un moment historique donné, influent sur la forme de ces frontières : les administrations des États qui se succèdent et leur personnel, les hiérarchies ecclésiastiques, les prêtres, les Grandes Puissances occidentales et leurs représentants locaux, les intellectuels de formation moderne, les partis politiques, les notables traditionnels et modernes, les organisations de la société civile, les émigrés et les immigrés, les tribus et leurs membres. Centré sur l'agglomération de Kérak, dont sont issus les chrétiens qui fondent Madaba en 1880, le prologue fait apparaître que, dans la Syrie du Sud (Transjordanie) du milieu du XIXe siècle, les institutions ecclésiastiques (grecques orthodoxes) et impériales (ottomanes) n'ont que très peu d'influence sur ce territoire situé à l'extrême périphérie de l'empire. Minoritaires sur le plan démographique et dispersés sur le territoire, les chrétiens ne sont pas marginalisés du fait de leur appartenance religieuse car l'ordre tribal des relations sociales assure différents niveaux d'intégration sociale et de coopération politique et économique entre lignages chrétiens et musulmans en fonction d'autres critères que ceux de l'appartenance religieuse. Les chrétiens sont fragmentés en plusieurs clans et tribus sans que l'on puisse repérer de cohésion confessionnelle. Sur le plan de la pratique religieuse, c'est une forme de syncrétisme qui prévaut. L'impossibilité des échanges matrimoniaux entre chrétiens et musulmans n'est pas nécessairement perçue comme témoignant d'un frontière religieuse infranchissable mais s'inscrit dans le contexte plus vaste des règles qui régissent les alliances matrimoniales entre tribus. L'appartenance religieuse est avant tout un marqueur d'identité tribale. La première partie analyse comment l'ordre communautaire religieux apparaît dans les dernières décennies du XIXe siècle, sous l'action conjuguée des organisations missionnaires (protestantes et catholiques) et de l'administration alors que les Ottomans entreprennent de rétablir leur autorité sur la Syrie du Sud. Autour de la fondation du village de Madaba par des lignages chrétiens immigrés de Kérak sous l'impulsion des missionnaires latins, on montre comment de nouveaux acteurs religieux et civils entreprennent d'imposer un ordre communautaire des relations sociales à travers l'éducation missionnaire, le marquage d'espaces chrétiens, le contrôle des alliances matrimoniales, de nouvelles pratiques cultuelles, l'accès aux instances de représentation administratives et juridiques ottomanes. Les modalités d'insertion des tribus chrétiennes qui fondent Madaba dans leur environnement permettent de mettre en lumière les résistances à l'ordre communautaire par l'établissement de partenariats économiques et d'alliances politiques avec les tribus musulmanes du lieu selon des logiques lignagères persistantes où les acteurs instrumentalisent à leur profit les nouvelles ressources communautaires fournies par les Églises ou les consulats européens. Au cours du XXe siècle, la Transjordanie, d'abord sous mandat britannique, accède à l'indépendance. Malgré ce changement politique, le régime monarchique se perpétue sans que les modalités d'insertion sociale des chrétiens ne soient bouleversées au niveau du pays dans son ensemble ou au sein de l'agglomération de Madaba. La deuxième partie se penche alors sur la manière dont l'État hachémite et les Églises majoritaires (grecque orthodoxe et romaine catholique) négocient les frontières des espaces communautaires à travers la législation sur les communautés confessionnelles et leurs prérogatives religieuses, éducatives et caritatives. Le traitement différencié accordé par l'État aux différentes Église en présence ainsi que des relations diverses entre les hiérarchies ecclésiastiques et les laïcs des communautés sont deux dimensions qui contribuent à empêcher la cohésion des chrétiens pris comme un ensemble. Le statut politique des chrétiens est ensuite étudié non en isolation mais en parallèle avec celui d'autres groupes sociaux, Circassiens, bédouins, réfugiés palestiniens, familles musulmanes transjordaniennes du nord et du sud, etc. afin de poser question quant à la réalité d'un statut minoritaire et à l'existence d'une majorité politique dans le royaume hachémite. Il ressort que le régime octroie aux communautés chrétiennes et aux familles chrétiennes de notables (anciens ou modernes) un espace privilégié d'expression et de représentation qui leur permet d'occuper une place centrale, et non marginale, dans la société. Dans le même temps, il est difficile d'identifier une norme identitaire autre qu'hachémite et il apparaît qu'une des modalités d'exercice du pouvoir monarchique repose sur la cooptation d'individus et de familles appartenant à tous les groupes de la société. Dans un second temps, recentrer l'analyse sur l'agglomération de Madaba permet d'observer comment les acteurs locaux relaient les efforts de l'État qui visent à maintenir une fragmentation sociale selon des clivages communautaires et lignagers afin de résister à la formation d'identités politiques transversales qui mettraient en danger sa stabilité. La modernité politique et économique n'en engendre pas moins un système de relations multiples entre chrétiens et musulmans que l'on peut repérer à travers les alliances politiques lors d'épisodes électoraux, dans les mouvements associatifs, dans les partenariats économiques, dans les partis politiques ou lors d'épisodes de conflit aigus tels celui de Septembre noir. En parallèle, les logiques tribales continuent à ordonner conflit et coopération entre groupes de religions différentes qui se définissent d'abord selon leur affiliation lignagère. C'est le cas, en particulier, dans les domaines de l'économie agricole et pastorale traditionnelle, dans les épisodes de règlement de conflits de sang ou d'honneur où prévaut encore le droit coutumier, parfois à l'encontre des prescription du droit musulman. La fragmentation des chrétiens en groupes lignagers est ainsi préservée sans que ne s'effectue une communautarisation incluant une dimension politique. De même, les valeurs qui permettent aux chrétiens de participer pleinement à l'échange social, telles l'honneur individuel ou collectif, le prestige familial, la limitation de l'autonomie des femmes, ne sont pas menacées par l'imposition de normes islamiques. A partir des années 1970, la polarisation de la population du royaume hachémite entre Jordaniens 'de souche' et Jordaniens 'd'origine palestinienne' amène un processus de différenciation identitaire dans lequel l'organisation tribale en vient à symboliser l'identité jordanienne. Dans le même temps, les islamistes deviennent la principale force d'opposition que le régime tente d'endiguer en réaffirmant son propre caractère musulman et en islamisant de nouveaux espaces de la vie publique. Ces changements de paradigmes de la société politique jordanienne touchent Madaba, ville mixte où cohabitent Jordaniens des tribus et Palestiniens réfugiés, chrétiens et musulmans. De plus, les équilibres démographiques et politiques de la ville penchent de plus en plus en faveur des musulmans. Les chrétiens, autrefois majoritaires, entreprennent alors de défendre leur position de prééminence dans la ville. Les stratégies qu'ils mettent en place pour combattre une double logique de minorisation (en tant que chrétiens et Jordaniens 'de souche') font l'objet de la dernière partie de ce travail. On montre tout d'abord comment les chrétiens résistent sur le terrain à un recul de la neutralité religieuse de l'espace public et à leur mise en minorité démographique et politique (conseil municipal) dans l'agglomération et comment ils se redéploient dans l'espace urbain, créent des réseaux de soutien financier avec les immigrés, amorcent un rapprochement entre Églises, compensent dans le champ politique national la perte de leur hégémonie locale. Dans un second temps, on se penche sur la littérature d'histoire locale que produisent les chrétiens de Madaba afin d'analyser comment ces derniers, en reformulant leur histoire ancienne et récente, se construisent à la fois des identités confessionnelles, ethniques et lignagères et comment elles sont rendues compatibles afin de lutter contre une marginalisation symbolique. Le dernier chapitre se penche sur les élections législatives de 1997 afin d'illustrer la manière dont les chrétiens utilisent leurs imaginaires identitaires comme vecteurs de mobilisation politique à l'occasion des élections législatives, nouvelle arène de compétition depuis la libéralisation de la vie politique intervenue en 1989. Malgré l'existence d'un siège chrétien réservé pour la circonscription de Madaba, ce n'est pas la mobilisation communautaire qui apparaît comme efficace mais bien plutôt le discours des solidarités tribales, éventuellement (mais non nécessairement) en conjonction avec l'appartenance partisane ou confessionnelle. On peut alors avancer que les chrétiens participent pleinement aux dynamiques de la société dans son ensemble. Tout au long de la période étudiée, la parenté joue un rôle central comme vecteur essentiel de l'identification des groupes, que ceux ci soient dans un espace rural ou urbain. Les chrétiens de Madaba mobilisent les mêmes ressources symboliques que les autres groupes avec lesquels ils sont en contact. Comme l'ensemble de la société, les chrétiens participent à une multitude d'échanges et d'interactions et se positionnent en fonction de ces interactions. Au-delà de l'étude de cas qui s'ancre dans une ville moyenne de la Jordanie centrale, ce travail s'interroge en conclusion sur le système politique jordanien et sur les modes de légitimation de sa monarchie. Les analyses en termes de construction nationale sont critiquées, le terme de 'minorité' est mis en question tout comme le présupposé classique d'une imbrication nécessairement étroite du religieux et du politique dans les pays dits, ou qui se disent, musulmans.
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HABILITATION A DIRIGER DES RECHERCHES en sociologie et anthropologie. Construction des identitès sociales: relations interethniques et dynamique des valeurs culturelles
In: Doctoral thesis, Universitè Renè Descartes Paris-V, Sorbonne.
Le rapport de soutenance rend tout d'abord hommage à la qualité du dossier présenté à l'appui de la demande de l'habilitation à diriger des recherches: un mémoire substantiel, deux livres (en français et en anglais), une quarantaine d'articles publiés dans des revues reconnues, des contributions originales à des ouvrages collectifs, ainsi que de nombreuses communications à des réunions scientifiques internationales. Les ouvrages d'Albert Doja sont très variés même s'ils sont essentiellement consacrés à l'Albanie et à la région balkanique. Il y a beaucoup de thèmes importants abordés et une quantité significative de propositions. C'est un corpus très riche, plein d'idées intéressantes qui poussent à repenser les concepts de base. Les rapporteurs notent qu'il y a deux thématiques organisent le dossier, celui de la construction culturelle de la personne (morphologie sociale, parenté et relations de genre) et celui des relations interethniques élargies aux champs de la religion, de la nation et de la folklorisation des traditions culturelles et notamment des conflits qu'enclenchent tous ces éléments. Sa thèse de Doctorat qui était en grande partie basée sur les données folkloriques et ethnographiques cherchait à comprendre la constitution de la personne en Albanie en utilisant des bases d'interprétation anthropologique où les influences les plus explicites sont les œuvres de Lévi-Strauss. De la construction de la personne le regard s'est très naturellement porté vers les valeurs et les traits structurels qui façonnent la société albanaise (un système lignager, l'idéologie du sang, l'hypertrophie du sentiment fraternel, le sens de l'honneur, la codification de l'amitié, etc.). Ces approfondissements et ces élargissements de la problématique de départ ont abouti, par touches successives, à un riche tableau où l'étude de la socialisation, de la formation de personne, la nature de la culture régionale, la structure sociale, la construction de l'honneur, les pratiques religieuses par rapport à la distribution linguistiques contribuent à un effort orienté vers une compréhension de la spécificité des sociétés et des cultures albanaises et sud-est européennes. De là il se met à analyser les formes et la dynamique de l'identité ethnique, nationale et le conflit. Son anthropologie représente une excellente combinaison qui devrait être utile dans la recherche régionale. Il s'agit d'une anthropologie sociale et historique des 'traditions' mais dans la mesure où elle se situe dans un balancement entre ethnie et nation on peut considérer qu'il s'agit d'une anthropologie du juste milieu qui d'ailleurs ne sacrifie nullement l'actualité comme en témoignent les analyses consacrées au phénomène des viols ou encore à l'exercice démocratique. Enfin il discute les questions plus contemporaines qui relèvent des transformations politiques et sociales dans la région, l'introduction de la démocratie, la migration et l'intégration. Le mémoire distingue d'ailleurs très bien les champs de recherche et les champs d'implication. Dans ce parcours Albert Doja démontre sa maîtrise de la région du point de vue historique, linguistique et culturelle en même temps qu'il intègre en grande partie ces connaissances dans les discussions théoriques contemporaines dans la discipline. Catherine Quiminal (Professeur, Paris VII) note que ce dossier met en évidence de manière convaincante l'intérêt, pour l'anthropologie, d'aborder des terrains concernant des sociétés du sud-est européen, puisque l'auteur revendique également une démarche comparative peu développée par l'anthropologie de l'Europe. De tels terrains permettent de "passer de l'Autre primitif ou archaïque, conventionnel ou populaire, en situation néo-coloniale ou dans une communauté locale, vers l'étude des processus dynamiques et transactionnels de transformation sociale, de modernisation et de globalisation". Albert Doja y fait état des connaissances historiques, géographiques, ethnologiques concernant la région. Il en restitue de manière critique les conditions de production et de reproduction et les limites. L'histoire des cultures du Sud-Est européen nécessite, selon l'auteur, une nouvelle formulation, un regard orienté sur la construction des identités, les transformations familiales et sociales. Le mode d'analyse proposé pour aborder des sociétés que l'auteur préfère qualifier de "conventionnelles" plutôt que de traditionnelles, s'éloigne volontairement de la monographie d'un groupe artificiellement isolé à la recherche de survivances, pour se focaliser sur les institutions centrales et les valeurs dominantes. Anthropologue né en Albanie, formé en France, ayant un engagement maintenu pendant plusieurs années dans des relations personnelles étroites en Europe du sud-est aussi bien qu'en Europe de l'Ouest, vivant et travaillant depuis de longues années en France, en Grande Bretagne et en Irlande, il se trouve dans une position propice à un type de recherche de terrain diachronique et comparative. Jonathan Friedman (Directeur d'études, EHESS) note également que dans sa tentative de caractériser la région balkanique comme située entre deux complexes de civilisation en réponse aux discussions classiques basées sur la notion de région croisée entre l'orient et l'occident et le réductionnisme que cela peut entraîner, Albert Doja propose de redéfinir la région en termes de frontières plus fluides et de co-existence entre peuples différents. Ici il prend en compte à la fois la culture ou la société dans le sens objectiviste de l'observateur et l'identité culturelle ou ethnique qui est pratiquée dans les interactions entre membres de différentes populations. Sa discussion de la méthode est fort intéressante et reflète le parcours de sa formation. Il insiste sur la nécessité de combiner des méthodes différentes, historiques et comparatives, ethnographie, analyses de textes et recherches sur les documents archivés. Jean Copans (Professeur, Paris V) note que Albert Doja passe d'une folkloristique classique de recueil des traditions à une anthropologie politique ou politologie géostratégique plurinationale. La question est d'importance car on doit se demander quelles sont les méthodologies de terrain les plus adéquates à l'étude des relations interethniques et des valeurs culturelles. Peut-on enquêter directement sur le processus de construction de l'ethnicité, peut-on observer en direct sa genèse interactive ou faut-il attendre un degré de fusion, de formalisation et de verbalisation pour la saisir et puis la déconstruire? Si les africanistes sont obsédés par cette question, pour Albert Doja il s'agit d'une nouvelle théorie, assez subtile et complexe. L'ethnicité est une question de point de vue, de position que redouble ici le problème de l'observation de la violence. L'anthropologie du génocide, de la souffrance et de l'affliction est à la mode mais c'est la mémoire qui joue le rôle central, de même que c'est le processus d'observation qui fournit des réponses empiriques aux nouvelles questions décisives qui mettent en cause les méthodes de la discipline. Michael Herzfeld (Professeur, Harvard University), note également qu'on ne peut qu'être profondément frappé par la grande envergure des observations d'Albert Doja sur l'ethnographie albanaise et par l'érudition qui les soutient. On constate, bien sûr, que les données dont Albert Doja traite sont riches d'informations et d'aperçus. Il est allé bien loin au-delà de la prospective limitée des chercheurs antérieurs à lui. Il a mené de sérieuses enquêtes empiriques et fait preuve qu'il possède suffisamment la capacité de fournir des descriptions nuancées des faits sociaux. Souvent il révèle une sensibilité ethnographique presque éclatante, là où on est peut-être le moins préparé à le rencontrer, comme c'est le cas notamment dans son article sur les problèmes de stabilité au Kosovo, là où une petite scène de tension et de méprise dans un café Internet révèle l'univers du "transnational" dans toute sa complexité. Mais ce qui sauve les analyses des études folkloriques traditionnelles (isolation intellectuelle et stigmatisation par l'association avec des nationalismes exceptionnellement durs et revanchistes) consiste avant tout en deux points forts: sa connaissance, évidemment bien profonde et circonstanciée, de l'histoire des théories les plus importantes en anthropologie sociale d'un côté, et sa méfiance soit du nationalisme soit des critiques souvent trop simplistes avancées par des savants qui n'avaient peut-être pas considéré que le modèle d'une identité construite peut devenir abusive dans le cas où elle sert à soutenir des idéologies identitaires opposées selon la rhétorique de l'opposition entre le faux et le réel. En ce qui concerne le champ des ethnicités comparées de l'Europe, Jean Copans note que des nationalités de l'empire austro-hongrois on glisse à l'ethnicisme avec des intellectuels organiques (et parfois des ethnologues) tout aussi responsables (et coupables!). Michael Herzfeld aussi mentionne les observations d'Albert Doja sur les points de parallélisme entre la politique ethnique et le comportement des savants, pour noter que celle-ci est une comparaison qui a pu achever un très haut niveau d'importance analytique. Le rapporteur est bien d'accord avec les observations d'Albert Doja, car ce qui est d'une importance capitale est le fait qu'il réussit à nous rappeler que les savants font déjà partie de ce qu'ils étudient, qu'ils le veuillent ou non. Il faut souligner que bien que d'autres ethnologues aient déjà établi des rapports, soit historiques, soit formels, entre le nationalisme et l'anthropologie, Albert Doja achève sur ce point une formulation suffisamment généralisable et heuristiquement suggestive pour qu'on puisse en dériver des projets "de terrain" à l'avenir. À ce propos Christian Bromberger (Professeur, Université de Provence) et Jonathan Friedman (Directeur d'études, EHESS) notent tous les deux que les interprétations des violences et des atrocités sexuelles dans les conditions de conflit interethnique pendant les guerres de Bosnie et du Kosovo sont fort intéressantes. Jean Copans (Professeur, Paris-V) estime aussi que l'hypothèse d'Albert Doja sur l'équivalence culturelle des modèles de lecture du viol par la victime et par celui qui l'a perpétré est pertinente. Albert Doja montre comment la pollution du sang dans des sociétés qui en ont érigé la pureté en valeur dominante vise et "amène nécessairement le désordre et l'éclatement du système social et du groupe tout entier". La substitution d'une ligne paternelle externe à la ligne établie par le mariage par l'agression désorganise profondément l'ordre parental de la société locale. Jean-Pierre Warnier (Professeur, Paris V) note à ce propos que les cadres d'analyse proposés par Albert Doja relèvent du structuralisme (Hage, Héritier, Testart, Douglas) en termes de catégories disjonctives et de rituels par rapport aux représentations des humeurs corporelles et à la réalité physique de l'agression–intrusion. Le cadre théorique structuraliste est traditionnellement considéré rebelle à l'analyse politique, mais le mérite d'Albert Doja est de montrer que la "culture" des protagonistes permet de comprendre l'impact ravageur du viol sur la subjectivité des acteurs, situant le viol dans un rapport de force et de pouvoir - pouvoir qui, comme le répétait Michel Foucault, s'adresse toujours au corps dans sa matérialité. Dans ses analyses des causes des viols, Albert Doja est convaincu que l'explication doit être cherchée dans le fait que les valeurs d'honneur sont mises en avant par une sorte d'agencéité (agency) politique et instrumentale. Par ailleurs, les rapports de pouvoir ne sont pas impliqués dans la re-traditionalisation des valeurs. C'est le changement des structures macrosociologiques qui alimente cette re-traditionalisation et c'est l'usage instrumental des valeurs identitaires et des valeurs morales et sociales de l'honneur ou de la religion qui fait que le viol soit aussi efficace comme une arme de purification ethnique. Ainsi on peut suggérer que le viol a une fonction politique immédiate. Jonathan Friedman note qu'un point bien fort dans les recherches d'Albert Doja consiste à démontrer l'importance de l'anthropologie dans la compréhension des conflits contemporains dans la région balkanique. Il démontre que la logique des rapports familiaux, basé sur un modèle fortement patriarcal où l'honneur est central et génératif des feuds (vendetta) qui bloque la résolution des conflits sans la violence. Cette logique lie la production des sujets masculins à la politique ethnique. C'est une contribution importante à une discussion de la guerre qui est souvent limitée à des concepts généraux comme le nationalisme ou les régimes corrompues qui utilisent leurs propres populations pour atteindre des buts privés. Dans sa discussion des rapports complexes entre l'État, les discours nationalistes et la façon dont ils sont assimilés en bas de l'ordre politique, Albert Doja suggère le rôle important de la mondialisation dans le déclenchement de la fragmentation à l'intérieur de l'État-nation. Il discute la façon dont se développent les débats entre Albanais et Serbes à propos du statut historique de Kosovo, où les intellectuels ont joué un rôle important. Certes Albert Doja construit son champ de manière historique, anthropologique et comparative. Même si cette comparaison s'arrête essentiellement aux frontières des Balkans, Jean Copans ajoute toutefois que par ailleurs il nous propose une théorie générale de 1'ethnicité. Il faut donc discriminer entre généralisation et comparaison. Or les sociétés des Balkans sont des sociétés de l'histoire écrite ce qui modifie les perceptions anthropologiques habituelles. Nous ne sommes pas dans le contexte post-colonial habituel mais le choix de propositions cognitivistes ne débouche heureusement pas sur des propositions essentialistes ou instrumentalistes, ni sur des réactions de mode qui mondialiseraient abusivement l'expérience récente des Balkans. Christian Bromberger note à ce propos que l'auteur, traitant du thème des identités, renvoie dos à dos les "primordialistes" et les "instrumentalistes" en notant justement que même si "les attributs culturels tenus pour être la marque distinctive d'un groupe peuvent faire l'objet de transformations, de substitutions, de réinterprétations, cela ne conduit pas à poser que l'identification ethnique peut s'exercer à partir de n'importe quoi". Jonathan Friedman ajoute aussi que la discussion d'Albert Doja sur les rapports entre l'ethnicité instrumentale et primordialiste est importante, même si elle reprend partiellement des discussions connues ailleurs aussi. Le fait que la manipulation de l'identité reste toujours dans des limites encadrées par une espace identitaire qui a ses propres limites implique que l'instrumentalisme est toujours limité et que "on ne peut s'identifier à partir de n'importe quoi". Mais Albert Doja marque un point important quand il soutient que ces deux concepts sont mieux compris si on les considère comme des aspects d'un même phénomène. Jean-Pierre Warnier remarque que la question du pouvoir et des rapports politiques apparaît souvent dans les travaux d'Albert Doja, mais là où il se rapproche le plus d'une analyse politique, c'est dans l'article «The politics of religion». D'un point de vue théorique, il ne semble pas suffisant de renvoyer dos à dos primordialistes et constructivistes, comme le fait pourtant le candidat. C'est l'analyse du pouvoir qui permet de trancher entre les deux, ainsi que l'a suggéré Jean-François Bayart dans son livre L'Illusion identitaire. A cette question concernant le pouvoir, Albert Doja répond que c'est précisément parce la question du pouvoir et des rapports politiques est centrale à l'ensemble de ses travaux qu'on devrait considérer plutôt réducteur de la traiter séparément. Le candidat dit faire une distinction entre pouvoir et politique et qu'il s'intéresse à l'usage instrumental des valeurs morales et sociales de l'identité. Catherine Quiminal note à ce propos que les processus que Albert Doja qualifie de construction identitaire se développent en fonction d'enjeux sociaux et politiques circonstanciés parce que définis par des rapports de force internes aux sociétés considérées et par les relations plaçant ces dernières sous la dépendance d'autres sociétés, rapports et relations qui sont générateurs de domination, de discriminations et de résistances. Ces relations ont sûrement des incidences sur la compréhension de ce que Albert Doja appelle indifféremment dynamique des valeurs culturelles ou dynamique culturelle des valeurs sociales. Christian Bromberger note également l'importance des processus de construction et d'affirmation des identités collectives, ainsi abordées par Albert Doja, dans une région marquée par une forte fragmentation des appartenances confessionnelles. L'auteur souligne le rôle des affiliations religieuses (le bektachisme par exemple) dans la construction des nationalismes et dans les phénomènes de résistance qui ont ponctué l'histoire complexe de l'Albanie et du sud-est de l'Europe. Il analyse, de façon éclairante et à diverses échelles chronologiques, les phénomènes de conversion et de reconversion religieuses dont l'Albanie a été le théâtre. Également fructueuse est pour Michael Herzfeld l'explication que Albert Doja suggère de l'islamisation compréhensive d'une grande partie de la population albanaise. Il étend son modèle aux cas des bosniaques, et on ne peut que regretter qu'il n'est pas encore arrivé à comparer d'autres cas, tel celui de la Crète (où la cruauté des autorités vénitiennes assurèrent leur défaite par les Turcs et donc fournit un cas extrêmement clair de ce que Albert Doja indique pour l'Albanie). Quelle ironie historique que ce soit l'Église catholique qui, par l'oppression des populations orthodoxes, ait déclenché la réaction par lequel l'Islam gagna son importance actuelle en Albanie, même si c'est dans ses aperçus historiques plutôt qu'ethnographiques où Albert Doja semble achever son plus haut niveau de perspicacité! Catherine Quiminal souligne aussi l'hypothèse suivante proposée par l'auteur: "Le développement des pratiques religieuses et des mouvements successifs de conversion et reconversion parmi les Albanais. . . se laisse interpréter comme des expressions de conflit et de protestation, conduisant aux mouvements nationaux et au nationalisme". L'étude de la dynamique de ces mouvements a permis à l'auteur de "comprendre la relativité des conflits politico-religieux et ethnico-nationaux. . . et de mettre la signification des changements d'appartenance religieuse dans la perspective de négociation et de redéfinition des identités sociales". La religion s'ethnicise à des fins de rassemblement. Nation, nationalisme et citoyenneté sont des notions également appréhendées par l'auteur comme constructions identitaires et idéologiques. L'ethnicité est considérée finalement comme "une forme et une métaphore de l'activité et de l'organisation sociale". Jonathan Friedman note aussi que la discussion par Albert Doja de la démocratisation possible de l'Albanie est assez prometteuse, même si elle est encore à ses débuts. Il est d'accord avec l'auteur qui se demande dans quels sens peut se produire une démocratisation dans une société où un affaiblissement de l'État débouche sur un renforcement des rapports parentaux et claniques, où les hiérarchies clientélistes sont à l'ordre du jour ainsi que l'identité du type clanique dominante. Mais on peut aussi suggérer que c'est au contraire les soi-disant institutions démocratiques qui sont adaptées à des stratégies "conventionnelles", semblable à la démocratie africaine (ou du moins congolaise). En fin de compte, les ouvrages d'Albert Doja représentent un corpus marqué d'une vaste érudition qui suscite de nouveaux points de départ pour une ethnologie comparative de la région balkanique. Avant tout, il a trouvé les moyens théoriques pour ériger un pont analytique entre les expériences sociales des gens ordinaires et les structures politiques des entités nationales construites en leur nom et, selon les discours officiels, en accord avec leur vie sociale et culturelle. Pour conclure, le rapport de soutenance revient sur l'originalité du dossier "en rendant hommage au travail accompli par Albert Doja", et souligne "l'intérêt d'une discussion entre anthropologues européanistes et anthropologues des aires culturelles plus traditionnelles de la discipline", aussi bien que "l'impression positive qui se dégage de cette œuvre riche et d'un parcours où chaque étape inaugure un renouvellement des perspectives et des thématiques".
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