Mémoire sur la place de la langue française à l'Université Laval
In: http://hdl.handle.net/20.500.11794/70441
Le Québec, en tant qu'île francophone entourée d'un (très) vaste océan anglophone, constitue un petit champ de bataille linguistique : la concurrence n'est pas uniquement de nature économique et commerciale, elle est aussi et avant tout une concurrence des langues. Dans ces conditions, la mondialisation, par le perpétuel mouvement qu'elle déploie, intensifie cette concurrence linguistique, et la langue française n'y échappe absolument pas. Face à cette déferlante, il apparaît donc pertinent de (re)penser la place du français dans le contexte qui nous concerne directement, celui de notre université. Car, comme l'a démontré le philosophe Ludwig Wittgenstein, « les limites de mon langage signifient les limites de mon propre monde ». C'est donc précisément au coeur de ce contexte concurrentiel que s'inscrit notre problématique : quelle place pour le français à l'Université Laval dans un contexte mondialisé de concurrence de langues ? Prendre le temps de réfléchir sur une question aussi fondamentale est d'autant plus pertinent du moment qu'une partie importante des universitaires québécois placent les États-Unis – et, par extension, la langue anglaise, naturellement – au centre du monde : d'un côté, beaucoup d'entre eux ont fait leurs études doctorales, postdoctorales ou des stages de recherche-enseignement dans les institutions étasuniennes et, de l'autre côté, force est de constater qu'il est implicitement admis qu'au moment de l'évaluation menant à la permanence, les publications – livres, chapitres, articles, etc. – en langue française valent moins que les publications en anglais. Or, bien qu'il puisse nous sembler adéquat de valoriser des publications internationales en anglais dans les revues les plus prestigieuses et rigoureuses, reste que nous sommes là en présence d'une situation profondément inquiétante. Pourquoi ? Parce qu'il convient d'attirer l'attention sur une réalité poussée dans l'ombre par cette quête effrénée du « publish or perish », en anglais, évidemment : les universitaires, les intellectuels et les chercheurs jouent un rôle très important dans la société du moment qu'ils façonnent la culture de la nation par leurs actes de création comme d'interprétation. Ainsi, en se rapportant et en s'alignant au spectre intellectuel anglo-états-unien, ces sculpteurs de notre culture vont dès lors avoir tendance à s'appuyer sur une littérature et même privilégier des thèses développées dans un contexte diffèrent du nôtre. Forcément, cela va avoir des effets sur les idées explorées – et l'orientation des recherches –, sans oublier les impacts sur le grand imaginaire collectif. À ce titre, force est d'admettre que ce n'est pas uniquement par le biais du contenu, mais aussi par le biais de la forme – c'est-à-dire la structure linguistique de l'anglais – que l'influence s'exerce. En somme, il n'est certainement pas question de rejeter tout usage de la langue anglaise – l'ouverture vers cette dernière peut tout à fait enrichir notre espace culturel –, mais plutôt d'asseoir une telle ouverture sur le monde sur une véritable reconnaissance et valorisation de la langue française. C'est pourquoi il convient de ne pas aborder notre problématique comme un jeu à somme nulle : l'avantage qualitatif – via l'impact sur le développement de notre culture québécoise – de faire de la recherche et publier en français peut compenser pour un potentiel désavantage quantitatif en ce qui concerne un plus petit nombre de publications en anglais. Au final, ce n'est donc pas par des mesures restrictives que la (re)valorisation de la place de la langue française dans notre université devrait passer, car contreproductives : la mise en place de solutions proactives peut certainement encourager la recherche en français et, par extension, la contribution au développement de la culture québécoise et aussi la qualité même de la recherche se faisant en français.