Sciences sociales et société, histoire d'un malentendu
In: Actes de la recherche en sciences sociales, Band 243-244, Heft 3, S. 36-45
Le débat récurrent sur le statut des sciences sociales est entré, semble-t-il, dans une phase critique depuis quelques années. Si la sociologie a été surtout mise en cause dans les polémiques, on ne peut comprendre ce débat sans le resituer dans l'ensemble du champ des sciences sociales (économie, histoire, ethnologie, anthropologie, science politique, psychologie sociale, géographie humaine), dont certaines fournissent régulièrement des arguments contre la sociologie réutilisés par les idéologues d'autres horizons (politiques, journalistes, porte-parole des disciplines humanistes) et, plus largement, dans l'ensemble des disciplines universitaires, y compris les sciences non sociales qui prétendent, dans leurs développements les plus récents, traiter les mêmes questions ou apporter des réponses alternatives à la sociologie ou aux sciences sociales plus anciennes. Cet article esquisse une histoire de ces transformations et de ces débats en lien avec la divergence croissante entre les demandes sociales et politiques et l'autonomisation des objectifs des sciences sociales par rapport à elles. Une des difficultés structurelles des sciences sociales réside dans leurs divisions multiples, leur concurrence, l'émiettement des spécialisations et des productions, conséquence logique de la division croissante du travail et de l'augmentation du nombre des chercheurs et chercheuses, si l'on compare aux époques initiales où leur fonction était beaucoup mieux reçue. Ne proposant plus de grands « modèles » ou schémas simples de connaissance assimilables pour un public plus large, elles laissent de fait le champ libre à tous les essayistes ou bricolages intellectuels dont sont friands les médias contemporains. Ces constats soulignent la fragilité accrue de leur position dans le champ universitaire et intellectuel général et la nécessité de refonder leur légitimité dans la société contemporaine désemparée qui tourne de plus en plus le dos aux rationalités savantes.