Le système scolaire haïtien souffre de deux injonctions paradoxales : a) l'école est gratuite est obligatoire, mais l'État haïtien n'a ni les moyens de garantir cette gratuité ni les moyens de faire respecter cette obligation ; b) l'enseignement doit se faire en français alors que le créole est majoritairement la langue du quotidien. Un gain en expression scolaire implique souvent une perte de confiance dans sa langue maternelle. Cet article veut donner une vue de cette double insécurité quand elle est vécue par celles et ceux qui y sont soumis (y compris l'auteur de ces lignes, qui est aussi soumis aux injonctions paradoxales qu'il décrit). C'est une invitation à rencontrer l'école en Haïti avec toutes celles et tous ceux qui la font tous les jours. La description des déterminismes sociaux et linguistiques se situe à la bonne hauteur de sa réalité ordinaire : sur le fil des jours.
Cet article aborde le problème de la subjectivité de la voix dans l'apprentissage du français langue étrangère. Deux exemples d'apprentissage de la lecture à haute voix, en langue 1 puis en langue 2, montreront que mon expression dans une langue qui n'est pas la mienne ne consiste pas à m'approprier cette langue, mais à accepter de me laisser traverser par elle. L'expression de soi se tisse dans les expressions d'autrui. Je ne m'approprie donc pas une langue, c'est elle qui s'empare de moi. Puis-je supporter cette altération de mon expression par les mots des autres ? Cela dépendra de ma capacité à me rendre intelligible dans des rythmes et des musiques que je ne maîtrise pas encore. Cette intelligibilité sera fragile parce qu'elle impliquera toujours que je me reconnaisse moi et que je me fasse reconnaître dans un paysage sonore qui ne m'est pas encore bien familier. L'apprentissage d'une langue étrangère me demande un effort qui s'apparente à de la patience : vis-à-vis des autres, d'abord, vis-à-vis de moi-même, ensuite. Cette vision de la subjectivité dans une langue étrangère met en évidence que l'apprentissage d'une confiance en soi se construit symétriquement à l'apprentissage d'une confiance en autrui, d'une confiance en soi comme un autre.
Cet article entend tirer parti de ce que Wittgenstein nous apprend de la perception de l'aspect dans la deuxième partie des Recherches philosophiques et de ce que Cavell nous enseigne du rôle des films dans la sensibilisation à notre expérience dans La projection du monde . Dans une conversation sur des exemples vidéos d'enfants à qui on transmet le langage, il est question de notre difficulté à reconnaître ce que nous avons toujours eu sous les yeux et de notre capacité à apprendre de l'autre. Ce refus de ça-voir a besoin d'une provocation qui seule peut transformer notre manière de voir l'autre et le monde. Passer volontairement d'un voir comme à un autre voir comme s'avère être une éducation du regard dans ce qui ressemble à une interprétation de ce qui importe à mes yeux.
La figure de l'enfant traverse la dernière philosophie de Wittgenstein et imprègne toute celle de Cavell. Les grands yeux que l'enfant pose sur son nouveau monde viennent interroger notre usage adulte des mots et du monde. Cavell pense que les réponses que donne la philosophie doivent être très attentives aux questions que nous adressent l'acquisition du langage. L'enfant n'apprend pas à parler en accumulant du vocabulaire. Cavell, comme Wittgenstein, nous met en garde contre cette fausse image que nous nous faisons de la transmission de nos mots et à laquelle nous succombons trop facilement, mais de manière plus intime puisque la figure de l'enfant s'incarne dans ses propres enfants. Cet article traite de cette confusion scolastique et de la réflexivité critique qu'impose toute réflexion sur le langage ordinaire pour montrer combien nous n'échappons pas aux pièges qu'il nous tend et que ce « nous » n'a rien de personnel. Les doutes que nous entretenons à l'égard de nos mots de tous les jours sont des doutes sérieux. Pas un doute méthodique, mais un scepticisme vécu dont l'aspect apparaît dans la figure de l'enfant pour peu qu'on apprenne à le voir.
Résumé Dans une société du consentement, chacun devrait pouvoir exprimer sa voix. Mais tout enfant apprend à parler en faisant usage de la parole des autres. Dans quelle mesure ce que dit le nouveau venu n'est-il pas une pure reproduction de ce que disent ses aînés ? Si chacun a la voix de sa communauté, qu'est-ce que peut bien vouloir dire «liberté d'expression» ? J'aimerais montrer qu'une voix n'est pas quelque chose que l'on a, mais quelque chose que l'on fait entendre au cours d'un apprentissage. Le problème est politique : ma voix est liée à ma place dans une communauté.
Cet essai a pour objectif d'interroger la manière dont le livre Little Did I Know (2010), que Stanley Cavell décrit comme une autobiographie philosophique, est imprégné de la voix de l'enfant, une voix constitutive de la découverte que fait Cavell des enjeux de la pratique de la philosophie. En effet, la question de savoir si quelqu'un comme lui a le droit de faire de la philosophie est liée à celle de savoir comment l'existence peut être revendiquée. Parce que l'apprentissage d'une « menace mortelle » qu'une telle proximité avec la mort constitue le point de départ de son écriture : se donnant à lui-même la permission de s'en aller, il se donnerait ainsi les moyens de trouver les mots qui seront, d'une certaine façon, les mots justes. Au travers de la voix de l'enfant, la question relative au fait de devoir apprendre à absorber un savoir démesuré, qui est aussi celle de savoir comment les blessures et les injustices accumulées dans l'enfance peuvent être reconnues à l'âge adulte, se pose avec acuité. Quelles sont les tragédies des enfants ? Et peut-on faire de la philosophie depuis la région féminine de soi-même ? Cet essai a pour ambition de lire le texte de Cavell comme un texte qui révèle comment la mémoire et l'oubli peuvent être équilibrés dans un texte qui revendique de faire de la philosophie en faisant une autobiographie.
Dans « Time and place for Philosophy », Cavell (2008) discute de la « lecture politique » de Wittgenstein (attribuée à Kripke) et illustrée par ce qu'il appelle la « scène d'instruction » des Recherches philosophiques (Wittgenstein 2005 : §217) et par « des épisodes dans la vie de Wittgenstein qui semblent accréditer une telle lecture ». Cavell fait référence à « l'histoire bien connue de Wittgenstein qui frappe un élève », dans laquelle le pouvoir est exclusivement du côté de l'enseignant. Wittgenstein a suivi une formation d'enseignant à Vienne en 1919 et a enseigné dans une école d'un village rural en Autriche jusqu'en 1926. Il a démissionné brusquement après l'incident qui l'a impliqué dans un cas de maltraitance sur un enfant et qui a débouché sur un procès qui s'est tenu à Gloggnitz dès le 17 mai 1926, et qui a duré plusieurs mois. Le juge a demandé une expertise psychiatrique de Wittgenstein dont le rapport a disparu. « L'incident Haibauer », comme on a fini par l'appeler, constitue un épisode central et toujours brûlant dans la propre constitution psychologique de Wittgenstein et son évolution éthique — un incident sur lequel il est revenu des années plus tard comme un des fondements pour sa « confession ». En me distinguant aussi bien de la lecture romantique de la figure de l'enfant par Cavell, que de la philosophie de l'enfant de Matthews (2006), j'adopte une lecture historique de Wittgenstein sur la figure de l'enfant. Ma ligne argumentative tente d'éviter une essentialisation de l'enfant et une forme d'adultocentrisme, en historicisant la subjectivité de l'enfant. Le développement de l'argumentation entend se centrer sur et explorer l'incident biographique auquel Cavell réfère de manière plus détaillée du fait de la lumière qu'il jette sur la sensibilité didactique de Wittgenstein et son état d'esprit (en particulier ses pensées suicidaires) durant la période où il a été instituteur et durant laquelle il a été en relation avec les enfants autrichiens à qui il enseignait. Cette approche historique a pour effet de mettre en relation autant la didactique que « la discipline » de son enseignement avec le contexte culturel de son époque, c'est-à-dire l'Autriche des années 20 en prise avec la réforme éducative de Glöckel qui introduisait une pédagogie inspirée de principes socio-démocrates. Cet article aimerait aussi imaginer ce que pouvait bien contenir de pertinent le rapport psychiatrique suggérant le diagnostique d'un Wittgenstein souffrant, durant son enfance, d'autisme et du syndrome d'Asperger, pour comprendre ses difficultés à apprendre à parler durant sa phase « solipsiste », son combat pour soutenir une vie sociale satisfaisante, et son intérêt philosophique pour l'acquisition du langage.
Dans cet entretien mené par A.Wiser, coordinateur de ce numéro et organisateur du cycle de conférences sur la traduction proposé aux étudiant-e-s du Cours de vacances (Université de Lausanne) en été 2015, il est question de l'importance de la traduction pour des personnes qui apprennent le français comme langue étrangère. La traduction y est conçue comme un point de passage dans l'apprentissage d'une langue entre le moment où elle m'est complètement étrangère et le moment où elle me parle et où je la parle. Les traducteur-trice-s sont ici vu-e-s comme des passeur-e-s qui nous aident à voir que la traduction est un aller-retour, pas un exil. Être de bon ton dans une traduction ou dans une autre langue que la nôtre exige une précision dont la recherche s'avère aussi heureuse qu'une belle rencontre.