Qu'est-ce qu'une relecture de quelques travaux en sciences sociales et politiques peut nous apprendre sur la "crise des partis politiques" au Maroc ? Comment interpréter la démultiplication des discours sur "la crise de partis politiques" ? Une contribution au débat public, précédée par un avant-propos de Younes Benmoumen, dans le cadre de la première édition du Courrier de Tafra, en partenariat avec The Asfari Institute for Civil Society and Citizenship.
Français L'observation ethnographique des politisations différentielles pendant une campagne électorale en contexte autoritaire changeant est un analyseur privilégié de plusieurs processus. Sur un plan empirique, elle donne à voir les modalités diversifiées d'appropriation du moment électoral par les acteurs, les tentatives d'ajustement d'une partie de la gauche marocaine à la perte de son électorat de granit et aux transformations du marché électoral, mais également un mouvement de fond : celui de l'inversion ponctuelle du principe censitaire, en lien avec la désertion des urnes par les plus dotés culturellement et matériellement et avec la mutation du vote urbain populaire. Sur un plan théorique, l'examen des tâtonnements en oeuvre - avant leur naturalisation - permet de poursuivre le dialogue entre les travaux sur le clientélisme politique et sur la politisation, au croisement des approches socio-historiques et de sociologie politique, en contextes autoritaires et démocratiques. Il montre l'intérêt de dépasser les oppositions entre conceptions restrictives et extensives de la politisation, pour se saisir processuellement et in situ des politisations différentielles des acteurs, des registres et des pratiques. English Differential Forms of Politicization and Mutual Acculturation in an Authoritarian ContextThe ethnographic observation of differential forms of politicization during an electoral campaign in a changing authoritarian context is an ideal means of analyzing a number of processes. Empirically, it enables us to observe the actors' diverse ways of appropriating the electoral moment, a Moroccan leftist party's attempts to adjust to the loss of its electoral base and the transformations of the electoral market. It also enables us to observe a one-time reversal of the symbolic voting restrictions, in correlation with the desertion of the polls by the those best equipped to participate, both culturally and materially, and with the transformation of the urban popular vote. In theoretical terms, examination ...
Cet article s'interroge sur les caractéristiques du personnel partisan marocain, à partir d'un protocole d'enquête inédit et d'une base de données sur 4 127 congressistes de dix organisations politiques marocaines, sondées entre 2008 et 2012. D'après les premiers traitements, l'espace partisan marocain est un petit monde dominé par les citadins, les hommes d'âge mûr, les plus dotés scolairement et économiquement ; mais, loin d'être coupé des citoyens ordinaires, il est travaillé par les dynamiques en oeuvre dans la société. Irréductible à une clientèle segmentée, il n'en demeure pas moins façonné par une opposition idéal-typique entre partis de notables et partis de militants. Using an original investigative protocol and a data base of 4,127 national delegates from ten Moroccan political organizations, surveyed between 2008 and 2012, this article examines the characteristics of party members in Morocco. Initial results indicate that the field of Moroccan political parties is a small world dominated by city dwellers, mature men, and the most highly educated, wealthiest individuals. However, far from being isolated from ordinary citizens, there are social dynamics at work. While it cannot be reduced to a segmented clientele, it is, nonetheless, shaped by an ideal-typical opposition between parties of notables and parties of activists.
Using an original investigative protocol and a data base of 4,127 national delegates from ten Moroccan political organizations, surveyed between 2008 and 2012, this article examines the characteristics of party members in Morocco. Initial results indicate that the field of Moroccan political parties is a small world dominated by city dwellers, mature men, and the most highly educated, wealthiest individuals. However, far from being isolated from ordinary citizens, there are social dynamics at work. While it cannot be reduced to a segmented clientele, it is, nonetheless, shaped by an ideal-typical opposition between parties of notables and parties of activists.
Suivre le parcours de quelques membres des bureaux de trois associations de quartier à Casablanca, notamment via les qualifications que les acteurs donnent eux-mêmes de leurs actions, révèle les intrications de l'espace associatif et de la sphère politique au Maroc. À travers un jeu de miroir, les frontières entre ces deux univers font l'objet de luttes continuelles. L'action associative se construit tantôt en dissociation avec « la politique », tantôt en connexion avec elle. Elle est alors investie comme « activité sociale », substitut à la participation politique, tribune pour des acteurs marginalisés ou tremplin à l'échelle locale, et peut conduire à une renégociation du rapport au politique. Du fait même des points de jonction entre scènes associative, partisane, électorale, syndicale et protestataire, l'action associative expose les primo-engagés à plusieurs types de participations. Elle les dote de compétences praxiques et cognitives, les projette encore davantage dans un terrain propice aux interactions avec diverses agences de gouvernementalité, favorise dans un va-et-vient la reconversion circulaire de ressources et de savoir-faire. Il peut arriver également qu'elle éveille des appétences pour « la politique », pour la compétition électorale, ou qu'elle produise de l'empowerment. D'une situation à l'autre, elle fait l'objet d'une palette de définitions, d'investissements et de (micro)stratégies aussi vastes que variables, diachroniquement et synchroniquement.
Négocier le lancement pour la première fois une enquête par questionnaires et à grande échelle, sur les membres de 8 partis politiques marocains en plein congrès national, est une voie d'accès ethnographique privilégiée pour comprendre les modalités de prise de décision au sein de ces organisations. Cet article se penche sur les circonstances qui favorisent ou entravent l'ouverture du terrain. L'insertion dans des cercles de confiance, la « scientificité » du projet, la création d'un précédent par le premier parti à autoriser l'enquête semblent être les clés du succès. Toutefois, un refus révèle que tolérer une telle recherche revient pour les dirigeants à accepter avec plus ou moins d'enthousiasme une production « démocratisée » et hors contrôle de l'image de leur parti.
Au-delà du discours vantant « l'exception marocaine », un large mouvement de protestation s'est développé dès le mois de février 2011 dans l'ensemble du pays. Loin d'être le produit d'un effet domino, le Mouvement du 20 février est notamment tributaire d'un processus d'attribution de similarité, de la réactivation de relais organisationnels et de réseaux plus ou moins dormants. Une large coalition s'est constituée au sein d'un champ d'alliance et d'opposition à la jonction entre scène politique instituée et espace protestataire, par-delà les clivages entre réseaux de gauche et islamistes. Dans un jeu d'échelles entre le local, le national, le régional et l'international, un faisceau d'actions, d'interactions et d'événements a contribué autant à l'enracinement de la coalition qu'à sa désagrégation.