«Notre civilisation est si matérialiste qu'elle détruit paradoxalement les bases matérielles de notre vie commune, dans une indifférence quasi générale. Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Comment rendre compte de notre capacité de destruction sans égale ? On tente de répondre à partir de l'époque qui nous échoit : celle de l'Anthropocène (qui marque les dommages irréversibles introduits dans l'environnement), celle aussi de l'envolée du numérique et d'un délitement parallèle et conjoint de nos démocraties. Ce parcours permet de dégager les racines spirituelles de la violence que nous nous infligeons à nous-mêmes comme à notre environnement. Or la spiritualité est une donnée fondamentale de toute société, où se rejoignent un dépassement de soi et un certain rapport à la nature. Affirmer cela, c'est découvrir que la pensée émane du monde, plus que d'un sujet isolé : l'esprit se voit libéré de sa frénésie transformatrice et s'ouvre à une forme de contemplation. Apparaît alors la promesse d'une autre civilisation, d'une nouvelle Terre.»--
L'écologie politique semble aujourd'hui à un tournant : elle a progressivement conquis l'opinion comme l'ont notamment confirmé les municipales françaises de 2020 (avec l'élection de maires écologistes dans plusieurs grandes villes) et les débats suscités par l'après-crise Covid, mais tiraillée entre divers courants, elle peine à proposer une synthèse claire et fédératrice aux citoyens. Or, pour qu'une société véritablement écologique puisse voir le jour, ses promoteurs doivent commencer par se rassembler autour de fondements éthiques solides. Quels pourraient être ces fondements ? Les écologistes sont-ils à même de se rassembler pour accéder au pouvoir à l'échelle nationale ? Ces questions sont au centre d'une série d'articles lancée par Futuribles , à l'initiative de Jean Haëntjens. Dominique Bourg, philosophe et militant de longue date de la cause écologique, revient ici sur les évolutions qui ont conduit nos sociétés à un point de rupture avec la nature, sur fond d'hyperconsumérisme. Il montre combien la dynamique écologiste connaît une accélération depuis quelques années, en direction d'un changement de paradigme de civilisation et mue par une prise de conscience accrue des citoyens. Ceux-ci semblent de plus en plus disposés à modifier leurs modes de vie ; reste à leur donner les bonnes directions et les moyens de le faire. Et c'est aux responsables et autorités économiques, politiques et éthiques de s'y atteler, en prenant soin d'imposer une « exemplarité écologique » en Europe et dans le monde, d'inciter voire contraindre sans pénaliser les plus précaires, le tout dans le respect d'une démocratie s'exerçant à la bonne échelle décisionnelle. Dominique Bourg formule ici diverses propositions en ce sens. S.D.
La démission, fin août 2018, du ministre français de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, a tragiquement pointé les limites de la capacité d'un gouvernement à agir de façon concertée en vue d'un changement systémique et de long terme pour la société qu'il a la charge de représenter. « Je ne comprends pas, disait-il, que nous assistions les uns et les autres à la gestation d'une tragédie bien annoncée dans une forme d'indifférence. La planète est en train de devenir une étuve, nos ressources naturelles s'épuisent, la biodiversité fond comme neige au soleil. Et ce n'est toujours pas appréhendé comme un enjeu prioritaire. » Il est difficile pour l'heure d'estimer dans quelle mesure cette démission spectaculaire a ou aura pour effet de réveiller les consciences, mais l'année 2018, particulièrement chaude et marquée par de nombreuses catastrophes climatiques, est venue confirmer l'urgence qu'il y a à se mobiliser pour tenter de limiter le réchauffement climatique. Parmi les options régulièrement mises en avant, le modèle de l'économie circulaire suscite une attention croissante. Système économique d'échange et de production qui, à tous les stades du cycle de vie des produits, vise à augmenter l'efficacité de l'utilisation des ressources et à diminuer l'impact sur l'environnement, il se présente comme une alternative au modèle économique actuel, qualifié lui de linéaire car caractérisé par l'extraction de matières premières qui sont transformées puis mises sur le marché économique et peu recyclées en fin de vie au niveau mondial. Comme le montre ici Dominique Bourg, ce système vertueux constituerait un pas dans la bonne direction, mais au regard de la gravité de la situation environnementale actuelle, il faudrait sans aucun doute aller encore plus loin. C'est ce qu'il préconise en plaidant pour la mise en œuvre d'une écologie « intégrale », véritable remise en cause de notre système de production-consommation et de nos modes de vie, mais qui nécessite d'être portée par les pouvoirs publics, seuls à même d'imposer aux citoyens les changements requis en vue de préserver l'intérêt général de l'humanité à long terme. S.D.
RÉSUMÉ Ce texte dénonce en matière environnementale l'emploi récurrent d'un lexique inadéquat, recourant à des euphémismes. Sont analysés l'expression « crise » écologique, l'usage du mot « risques » pour désigner les dommages susceptibles de découler du changement global en cours, et le terme « pollutions ». Sont ensuite étudiées les conditions d'un bon usage du terme « catastrophe » eu égard à ce qu'on appelle l'anthropocène.