Si l'Ukraine avait déjà tiré des leçons du fiasco de 2014, la Russie a été confrontée à des difficultés en septembre 2022 avec une mobilisation partielle mal conduite. La question reste posée après deux ans de guerre avec des pratiques et des questionnements très différents entre les deux pays, entre gestion démocratique pour Kiev et gestion autoritaire pour Moscou.
L'article interroge l'impact de la guerre dans le Donbass sur un groupe spécifique : les vétérans ukrainiens de la guerre soviétique en Afghanistan. Comment un groupe ayant construit sa légitimité sur une expérience armée fait-il face à une nouvelle guerre, plusieurs décennies plus tard ? Après une présentation de l'insertion des vétérans d'Afghanistan dans la société ukrainienne, l'article cherche à répondre à trois questions : les anciens combattants ont-ils une place spécifique dans la guerre dans le Donbass ? La guerre transforme-t-elle le réseau solidaire et structuré des vétérans ? Quelle est la profondeur des clivages sociaux introduits par la guerre ?
À partir de récits collectés auprès des combattants de bataillons de volontaires pro-ukrainiens et prorusses, l'article dresse le portrait sociologique de ces engagés, en mettant en exergue des similitudes et des différences de leurs trajectoires. Il rend aussi compte de leurs sentiments d'appartenance respectifs, entre un attachement profond à l'Ukraine pour les premiers et des identifications floues et régionales pour les seconds. Il reconstitue également les représentations de la guerre du Donbass dans les deux corps armés ayant motivé la décision de s'engager. Ainsi, si les combattants pro-ukrainiens partagent l'image de la Russie comme pays agresseur, les combattants prorusses appréhendent la guerre en termes géopolitiques d'une confrontation globale entre l'Occident et la Russie où cette dernière était « forcée » à intervenir en Ukraine. Enfin, si les membres des deux groupes ont tendance à décrire leur propre participation comme l'accomplissement d'un devoir patriotique, dans une veine proprement idéaliste, ils disqualifient la participation d'autres membres de leur propre groupe, mais surtout des combattants du groupe d'en face, en l'occurrence déshumanisés et présentés comme aveuglés par la propagande, et l'attribuent à des motifs économiques.
Observatrice attentive du conflit russo-ukrainien depuis l'annexion de la Crimée en 2014, la politologue évoque la manière dont les sociétés ukrainienne et russe se sont inscrites dans l'horizon de la guerre et dont elles peuvent tenir dans la durée.