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En moins d'un siècle, le Maroc et la Tunisie auront été confrontés à deux défis majeurs : la colonisation et la mondialisation. Les sociétés profondément bouleversées par les protectorats ont connu, depuis les indépendances, des évolutions politiques et sociales différentes. Si de grands progrès ont été accomplis, de nombreuses faiblesses existent dangereusement accentuées par la logique du libre-échange. L'exigence d'une redéfinition des rapports États-sociétés est désormais posée aussi bien avec l'émergence de nouvelles couches urbaines que par une mouvance islamiste – voix des sans voix, refuge et recours des laissés-pour-compte du processus de mondialisation –, mouvance avec laquelle dialoguent les États-Unis.

Le développement des relations entre les «sociétés civiles» du nord et du sud de la Méditerranée s'inscrit tout à la fois dans le cadre du processus euro-méditerranéen de Barcelone dont le contenu est nettement néo-libéral et dans les trajectoires plus ou moins démocratiques propres à chacune des sociétés des deux rives.
On retrouve là comme ailleurs les questionnements que nourrit le concept de «société civile», notamment dans son rapport avec l'État ou la vie démocratique.

L'Algérie post indépendance connut pendant vingt-six ans une situation qui oscilla en matière associative entre instrumentalisation et, au mieux, tolérance relative. Il fallut, en effet, attendre les événements d'octobre 1988 et l'adoption d'une nouvelle Constitution le 23 février 1989 pour que la liberté associative devienne enfin effective avec la loi 90-31 du 4 décembre 1990. La création de la Ligue des Droits de l'Homme et celle du Mouvement des Journalistes Algériens furent deux moments emblématiques de l'émergence de la vie associative. Né à partir de revendications citoyennes dans les dernières années du régime du parti unique, le phénomène associatif, dans toute sa diversité, constitue aujourd'hui en Algérie, avec la presse indépendante, un des principaux acteurs de l'autonomisation de la société par rapport à un pouvoir qui n'a jamais renoncé sans luttes à une approche unanimiste et autoritaire de la réalité sociale.

Du Caire à Alger, au cœur des bidonvilles comme avec les sinistrés des tremblements de terre ou des catastrophes naturelles, les islamistes se mobilisent pour venir en aide à des populations déshéritées, abandonnées par les pouvoirs en place dans des domaines aussi variés que la santé, l'alphabétisation ou les cours du soir.
Face aux carences des pouvoirs nationalistes ou socialisants usés et progressivement déligitimés avec l'arrivée massive d'une jeunesse née après les indépendances et subissant de plein fouet la crise sous toutes ses formes, le discours islamiste, aussi flou soit-il, mais épaulé par un réseau très dense de fondations et d'institutions bancaires, apparaît souvent comme la seule alternative crédible.
Les islamistes sont, paradoxalement, les produits retardataires et dangereux d 'une modernité non assumée. A ce titre, en raison des tergiversations voulues ou subies des États, de l'insuffisante présence sur le terrain de partis démocratiques sans projets alternatifs et de sociétés civiles encore fragiles, ils serait risqué de parler de «post-islamisme» ou de «déclin».