Alberti passe à bon droit comme « l'homme universel de la première Renaissance ». Cela ne dispense pas mais au contraire oblige à essayer de comprendre ce qui fait l'unité et l'originalité de son œuvre, et comment ce théoricien de l'organisation et de la construction a pu parallèlement écrire le Momus , satire violemment destructrice des dieux antiques et des pouvoirs en place.
Le seul point commun réel entre Marx et Feuerbach est la volonté, un temps partagée, de donner à la philosophie de Hegel un dépassement matérialiste. Feuerbach se place délibérément dans une perspective ontologique, passant du « savoir absolu » à « l'être absolu », divinisation de l'homme qui de proche en proche le conduira à un matérialisme naturaliste sommaire. Marx au contraire se gardera bien d'entrer dans des controverses métaphysiques et ne cherchera pas à se débarrasser de la dialectique hégélienne. Il s'emploiera à la retravailler pour se donner les moyens de penser la Tätigkeit , activité par laquelle les hommes réels, dans le cadre des rapports sociaux, produisent leurs conditions d'existence.
Il y a lieu de distinguer deux versants dans l'œuvre de Louis Althusser. Le « premier Althusser » constitue un retour salutaire à la lettre des textes de Marx, par-delà les affabulations idéalistes et affadissantes. Mais cette lecture, en se radicalisant dans le contexte du structuralisme, a conduit Althusser sur un autre versant : celui de la constitution d'un « Marx imaginaire » et d'un « matérialisme aléatoire », de plus en plus éloigné des enjeux centraux du marxisme, la reproduction simple prenant le pas sur la reproduction élargie et aussi sur la production. Cette régression, accompagnée d'un rejet de plus en plus fort de toute approche dialectique, caractérise le « second Althusser ».
L'article souligne en quoi l'œuvre de Thompson, au-delà de son intérêt proprement historique, est susceptible d'éclairer et de rendre réellement rigoureuse l'approche de ce que peut être une classe sociale, qui ne renvoie pas à une opération de classification opérée après coup de l'extérieur, mais à un processus réel de différenciation . L'appartenance de classe n'est pas un construit théorique mais une construction historique complexe, patiente et vécue par des millions d'hommes et de femmes. Une construction qui dépasse la simple opposition d'un « nous » et d'un « eux ».
L'œuvre de Pasolini intéresse aussi la philosophie. Les contradictions y abondent. Beaucoup attribuent ces contradictions à la complexité de l'homme et renvoient à sa biographie. Solution un peu facile. Je prétends pour ma part qu'elles sont inhérentes au réel lui-même, et que Pasolini a fait preuve de probité en embrassant ce réel dans sa totalité, sans se donner les facilités d'une approche unilatérale. Il nous laisse une œuvre sous tension, à l'image de ce monde qui se faisait et se défaisait devant lui, et qui est encore, et même de plus en plus, le nôtre.
Les textes religieux seraient responsables des crimes que certains commettent en leur nom. C'est là une confusion catégorielle que cet article se propose de dissiper. Il s'attache d'abord à distinguer, en rappelant les analyses de Spinoza et de Kant, l'ordre de la lettre et celui du réel. Kant a établi que « l'être n'est pas un prédicat réel », et qu'entre les idées et les actions, il y a un écart qualitatif que seule peut combler une décision d'ordre pratique, dont la responsabilité est toute entière imputable aux individus et aux institutions. C'est ce qu'illustre, dans l'histoire du christianisme, l'usage de la référence au « Compelle intrare » (Luc XIV 21-23) pour justifier les conversions forcées. L'idée qu'une pratique politique se trouverait en germe dans un texte a pour effet, et parfois pour fonction, de disculper les vrais coupables et de culpabiliser les vrais croyants. Elle est un avatar ultime de la sacralisation des textes dans les religions du Livre.