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À partir d'un examen des programmes et manuels d'histoire-géographie en vigueur dans les lycées français depuis les années 2000, des contextes d'enseignement et des débats au sein de la communauté scolaire et dans l'espace public, cet article vise à éclairer les usages publics de l'histoire de l'Europe à partir du cas yougoslave. En examinant les récurrences et a contrario les ellipses dans l'évolution des références à la Yougoslavie, en particulier au sein des problématiques de l'Europe, du communisme et des conflits du xx e siècle, il est possible de documenter les liens – interactions, dépendances, influences, passages – entre fabrique de l'histoire scolaire, circulation des références et construction des savoirs, au regard des débats sur le rôle traditionnel en France de l'histoire-géographie dans la formation du citoyen et de la nation. Cet article entend questionner les enjeux mémoriels et historiographiques touchant la Yougoslavie socialiste dans une perspective transnationale en offrant la possibilité de comparer des évolutions concernant les usages publics de l'histoire de l'Europe.

L'éclatement de la Yougoslavie et les conflits qui l'ont accompagné en Croatie, en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo (1991-1999) ont donné lieu, en France en particulier, à une mobilisation protéiforme d'individus, de groupes et d'intellectuels qui ont pris position face à ce qui était considéré comme une véritable crise de l'Europe. Novatrice dans ses formes mais assez impuissantes en ce qui concerne ses résultats, elle a porté la volonté de comprendre les mutations du système international et surtout l'espoir de faire de la solidarité internationale une nouvelle base pour l'action politique. Après avoir retracé les caractéristiques de ces moments militants aujourd'hui oubliés, cet article propose d'en analyser les effets sur les transformations des références pour penser le monde contemporain et ses crises. En effet, si elle a peu influencé la position du gouvernement français de l'époque et la situation en général, cette mobilisation de citoyens a eu un impact sur l'évolution des formes d'engagement politique. De plus, son examen permet d'analyser la façon dont se reformulent au tournant des années 1990 certaines questions, comme les identités ethniques et les formes contemporaines de la guerre.

This Ph.D. dissertation looks at the perceptions, representations, and questioning generated in France by the upheavals and crises occurring in the Balkan Peninsula between 1989 and 1999, especially by the "humanitarian" crisis in Romania after the fall of Nicolae Ceausescu and the bloody collapse of Yugoslavia. These events created the opportunity for new types of foreign political, military, media, and humanitarian operations, in which France was a major participant. Their observation and treatment produced breakdowns in intelligibility, discernible in the proliferation of pejorative, stereotyped, and structured discourses essentializing the Balkans and their violence, but also in the mobilization, particularly in France, of individuals and associations who saw European causes to defend.The analysis of the temporal and conceptual frameworks of this experience in the 90's shows that the continuities that have durably influenced the perception and knowledge of the Balkan region, such as a lack of familiarity, militant and ideological filters, and an interest in Balkan folk culture, can be explained by a French past marked by a unitary conception of the State and by a republican and universalistic culture. Using the Balkan crises of the 90's as a case study, this dissertation examines the national and transnational frameworks within which a discourse on nationhood, ethnicity, and political commitment was being reconstructed in the context of a Europe upended by the fall of Communism. Finally, it examines the relationship between experience and knowledge at a time when these connections were profoundly called into question. ; La thèse a pour objet les perceptions, les représentations et les questionnements produits en France par les crises que traverse la péninsule balkanique entre 1989 et 1999, en particulier par la crise « humanitaire » en Roumanie après la chute de Nicolae Ceausescu et par l'éclatement sanglant de la Yougoslavie. Ces évènements ont été l'occasion d'interventions politiques, militaires, ...

Vingt ans après la fin des conflits qui ont accompagné l'éclatement de la Yougoslavie, cet État commun reste une donnée importante sinon décisive du passé pour définir le présent dans les anciennes républiques fédérées. La Yougoslavie est un « autre » idéal, par rapport auquel il est aisé de construire l'identité des États contemporains qui en sont issus. L'étude de son image telle qu'elle est produite par les systèmes éducatifs des différents États successeurs permet une analyse particulièrement révélatrice, tant ce domaine relève encore aujourd'hui, dans une large mesure, du contrôle étatique. Nous distinguons trois dimensions principales : la façon dont la relation à la Yougoslavie sert à construire l'identité nationale actuelle ; le rôle de cet État dans la construction de la légitimité des États actuels et les usages de l'histoire yougoslave dans l'explication des conflits des années 1990. Enfin, nous présentons un récent projet d'histoire partagée dans lequel une soixantaine d'historiens issus des pays balkaniques offrent une approche multi-perspectiviste et comparative de la période, dans le but de tenter de dépasser les interprétations existantes.