La Maison centrale d'Embrun (1800-1815) : la naissance d'un modèle carcéral français ?
In: Parlement(s): revue d'histoire politique, Band 36, Heft 2, S. 23-37
ISSN: 1760-6233
Au lendemain de la Révolution française, l'immense majorité des prisons ne parviennent pas à concrétiser les plus élémentaires exigences du nouveau système carcéral (classification des détenus, salubrité, labeur carcéral). Pour y remédier, le gouvernement consulaire encourage la création de vastes établissements – les maisons centrales de détention – où sont centralisés les détenus de plusieurs départements, et dont la gestion du travail est confiée à des entrepreneurs privés. Inspiré par ce programme, le préfet des Hautes Alpes installe, dès 1804, une manufacture carcérale dans l'ancien séminaire jésuite d'Embrun. Industrie, hygiène, ordre public, sédentarisation des populations flottantes : la première maison centrale de détention française doit permettre de remédier aux maux sociaux du département. Livré à lui-même en raison du désengagement du gouvernement, l'établissement est confronté à d'innombrables difficultés qui portent en germe les dérives du système carcéral contemporain. En dépit de sa finalité, Embrun demeure en pratique un lieu privatif de liberté hybride – entre dépôt de mendicité, hôpital général, maison de correction et prison d'État – que les pouvoirs publics utilisent sans véritable discernement pour garantir la stabilité sociale. Rationalité économique, carcérale ou sécuritaire : la manufacture pénale est ainsi traversée par des logiques contradictoires qui révèlent toutes les difficultés inhérentes à la spécialisation des lieux d'enfermement au début du xix e siècle.