Le « mauvais sujet » de l'aide humanitaire en Haïti : relance de l'imaginaire social
In: Politique et sociétés, Band 34, Heft 3, S. 59-79
ISSN: 1703-8480
Le séisme a fait s'imposer en Haïti l'ordre disciplinaire des organisations non gouvernementales. Tout en apportant de façon plus ou moins satisfaisante du secours aux populations de l'immense zone affectée, l'urgence humanitaire, épurant d'affects l'expression de la souffrance, est parvenue à atteindre la capacité collective d'imaginer de la société haïtienne. Cependant, ce n'est pas tout le monde qui a répondu à l'interpellation « Eh ! toi qu'on est venu aider ». L'objet de cet article est de voir, à travers la parole recueillie lors d'entrevues de terrain à Jacmel, à Léogâne et à Port-au-Prince en 2012 et 2013, comment la figure du « mauvais sujet » qui ne réagit pas à cette interpellation réactive l'imaginaire social. Le « mauvais sujet » n'est pas une catégorie sociologique. C'est plutôt un cliché auquel on associe une certaine connivence ou qu'on pointe du doigt. Colle à cette figure la réputation de « ne pas faire comme il faut », d'être à la limite de l'acceptable. En même temps, elle renvoie à une certaine fierté, une certaine débrouillardise ; on ne se voit pas comme un démuni. Cette fierté du « mauvais sujet » est une expression de la souffrance. Elle ne débouche pas nécessairement sur des protestations collectives, mais secoue l'imaginaire social.