De Paris à Harvard : Pierre d'Ailly et l'éthique du commandement divin
Paul Vignaux (1935) et Reinhold Weier (1976) avaient étudié l'influence du commentaire des Sentences de Pierre d'Ailly sur Martin Luther. Dans cette étude, reprenant des hypothèses formulées par Francis Oakley (1961) sur la tradition « volontariste », on démontre l'influence à la fois explicite et implicite de Pierre d'Ailly sur une autre tradition réformée, celle du calvinisme puritain qui s'est épanouie en Hollande (surtout à Franeker) et dans la Nouvelle Angleterre coloniale. Cette transmission s'est faite par des voies inattendues, à savoir par la scolastique espagnole du XVIe siècle, dont William Perkins (1558–1602), William Ames (1576–1633) et surtout William Twisse (1578–1666) et John Strang (1584–1654) étaient des lecteurs assidus. L'enquête se poursuit en révélant la reprise de ces thématiques chez les premiers théologiens puritains de la Nouvelle Angleterre, en particulier John Norton (1606–63) et Samuel Willard (1640–1707). On montre que cette interprétation espagnole et puritaine a conduit à interpréter la pensée de Pierre d'Ailly comme une éthique du commandement divin, en défendant comme valable de fait ce que ce dernier ne concédait que de droit : à savoir le caractère absolument premier et unique de la volonté de Dieu comme règle de justice. C'est ainsi qu'a pu émerger à la fois l'image historiographique d'un Pierre d'Ailly « volontariste » mais aussi une véritable théologie politique moderne qui accorde un primat absolu au pouvoir judiciaire, expression des lois de Dieu, qui est un élément méconnu de la pensée constitutionaliste américaine pré-révolutionnaire.