D'un point de vue épistémologique, les visions théoriques du toponyme qu'ont la linguistique et l'analyse littéraire tendent à s'opposer. Les linguistes, qui sont sous l'influence des thèses logiciennes depuis le début du xx e siècle, affirment généralement que les noms propres sont des étiquettes vides, alors que le poids sémantique de ces mêmes noms est un sujet bien plus ouvert à la discussion dans le domaine littéraire. Il existe toutefois la tentation de se rapprocher de l'approche linguistico-logique dominante chez Pavel (1979) ou Corblin (1983) en intégrant la notion de désignateur rigide dans l'analyse des œuvres littéraires. Cette importation cause sans doute plus de problèmes qu'elle n'en résout. Les toponymes de l'œuvre de Tolkien permettront d'en donner la preuve : par leur caractère construit, ils soutiennent et éclairent l'architecture mythologique et historique de la Terre du Milieu.