Résumé Longtemps étrangère à toute rationalité de type managérial, l'institution judiciaire est aujourd'hui de plus en plus sensibilisée aux notions de coût, d'efficacité et de qualité de la production. Ceci s'explique notamment par l'inscription de la justice dans les transformations de l'action publique (obligation accrue de rendre des comptes, changements dans les modes de légitimation), ainsi que par des facteurs spécifiques à l'institution judiciaire (confrontée à une demande en forte hausse et dont l'activité est désormais davantage influencée par la production de standards juridiques et managériaux européens, voire internationaux). Mais surtout, l'introduction d'une rationalité managériale correspond à une « technicisation » des débats sur la justice et à une euphémisation de leur dimension politique.
Fondé sur une recherche comparative, cet article vise à analyser les conditions dans lesquelles les réformes de la justice sont inscrites à l'agenda politique, puis menées à terme. Les situations de crise politique suscitées par des événements politiques ou des problèmes judiciaires sont des conditions propices quand elles sont saisies comme des opportunités par des « entrepreneurs de politiques ». L'expertise mobilisée est principalement l'œuvre de professionnels de la justice, inégalement présents dans les trois pays. Le processus est ensuite fortement structuré par les paramètres de la vie politique – logiques de décision, clivages sociaux et politiques ainsi que contraintes institutionnelles.
À partir d'entretiens collectifs, l'article montre que la récurrence des inégalités économiques, sociales et culturelles face au droit et à la justice rend visible leur caractère structurel. C'est pourquoi les enquêté·e·s les critiquent unanimement en tant qu'instrument de domination. Par contraste, l'influence du genre fait l'objet d'interprétations genrées contradictoires ; les traitements différenciés en matière familiale sont attribués au manque de temps et de moyens, et aux pratiques des professionnel·le·s du droit, qui seraient en partie façonnées par des stéréotypes. Contrairement au pénal, les enquêté·e·s identifient peu d'effets de l'appartenance à une minorité visible, excepté en l'absence de maîtrise du français. Enfin, certain·e·s, pas seulement parmi les plus favorisé·e·s, mobilisent le droit comme instrument individuel ou collectif de défense.
Comment les citoyennes et citoyens se représentent-ils la justice et son fonctionnement ? Alors que les justiciables constituent un angle mort des études actuelles sur la justice, cette recherche, conçue par une équipe pluridisciplinaire associant politistes, sociologues et juristes, rend compte de la pluralité des expériences, des représentations de la justice, et des rapports au droit, à la justice et à la police.Premier enseignement : les enquêté·es font part d'un attachement ambivalent à l'égard de la justice. Considérée comme une condition du vivre ensemble, l'autorité de la justice est globalement reconnue et acceptée. Les attentes à son égard sont toutefois idéalisées et entraînent des déceptions et sentiments négatifs : justice trop rapide par exemple dans le cas des comparutions immédiates ou trop lente lorsqu'il s'agit de décider des modalités de garde d'un enfant. Les entretiens montrent un fort décalage entre ce que le droit permet (la résolution de litiges par une technique juridique parfois complexe) et les attentes des justiciables qui veulent que l'humain, l'individu, sa singularité soient pris en compte et demandent des marques d'empathie et d'écoute. Celles et ceux qui ont eu affaire à la justice se sont sentis plus spectateurs qu'acteurs de leur procès - objets et non sujets de droit. Cette critique vise magistrat·es et avocat·es. Enfin, il est reproché à l'institution judiciaire de reproduire, voire d'aggraver les inégalités sociales. Si la confiance dans l'institution est globalement satisfaisante, les inégalités d'accès au droit et au système judiciaire sont relevées.Les représentations de la justice pénale offrent un net contraste entre les conceptions abstraites qui dénoncent une clémence excessive et les attitudes adoptées face à des cas concrets qui marquent par la moindre punitivité des citoyen·nes.S'inscrivant dans le cadre des travaux sur les legal consciousness studies (études sur la conscience du droit), quatre types de rapport au droit et à la justice sont identifiés : les ...
Comment les citoyennes et citoyens se représentent-ils la justice et son fonctionnement ? Alors que les justiciables constituent un angle mort des études actuelles sur la justice, cette recherche, conçue par une équipe pluridisciplinaire associant politistes, sociologues et juristes, rend compte de la pluralité des expériences, des représentations de la justice, et des rapports au droit, à la justice et à la police.Premier enseignement : les enquêté·es font part d'un attachement ambivalent à l'égard de la justice. Considérée comme une condition du vivre ensemble, l'autorité de la justice est globalement reconnue et acceptée. Les attentes à son égard sont toutefois idéalisées et entraînent des déceptions et sentiments négatifs : justice trop rapide par exemple dans le cas des comparutions immédiates ou trop lente lorsqu'il s'agit de décider des modalités de garde d'un enfant. Les entretiens montrent un fort décalage entre ce que le droit permet (la résolution de litiges par une technique juridique parfois complexe) et les attentes des justiciables qui veulent que l'humain, l'individu, sa singularité soient pris en compte et demandent des marques d'empathie et d'écoute. Celles et ceux qui ont eu affaire à la justice se sont sentis plus spectateurs qu'acteurs de leur procès - objets et non sujets de droit. Cette critique vise magistrat·es et avocat·es. Enfin, il est reproché à l'institution judiciaire de reproduire, voire d'aggraver les inégalités sociales. Si la confiance dans l'institution est globalement satisfaisante, les inégalités d'accès au droit et au système judiciaire sont relevées.Les représentations de la justice pénale offrent un net contraste entre les conceptions abstraites qui dénoncent une clémence excessive et les attitudes adoptées face à des cas concrets qui marquent par la moindre punitivité des citoyen·nes.S'inscrivant dans le cadre des travaux sur les legal consciousness studies (études sur la conscience du droit), quatre types de rapport au droit et à la justice sont identifiés : les ...
How do citizens represent justice and its functioning? While litigants are a blind eye to current justice studies, this research, designed by a multidisciplinary team involving politicians, sociologists and lawyers, reflects the plurality of experiences, representations of justice, and links to law, justice and politic.First teaching: the interviewees express an ambivalent attachment to justice. Seen as a condition of living together, the authority of justice is generally recognised and accepted. However, expectations towards him are idealised and lead to negative disappointment and feelings: justice is too quick, for example in the case of immediate or too slow trials when deciding how to take custody of a child. Interviews show a great mismatch between what the law allows (the resolution of disputes by means of a sometimes complex legal technique) and the expectations of litigants who want the human, the individual and his/her singularity to be taken into account and ask for empathy and listening marks. Those who have been dealing with justice have felt more spectative than those involved in their trial — objects and not subjects of law. This criticism is directed at the magistrate and lawyer. Finally, the judicial institution is criticised for replicating, or even exacerbating, social inequalities. While trust in the institution is generally satisfactory, inequalities in access to the law and the judicial system are noted. The representations of criminal justice offer a clear contrast between abstract perceptions of excessive leniency and attitudes towards concrete cases where citizens are less punitive. In the context of the work on legal Consciousness studies, four types of relationship to law and justice are identified: 'defiant' people who have mostly experienced and mistrust the judicial system; people who perceive themselves as 'illegitimate', in the sense that they express relative trust but do not feel competent to pronounce themselves; 'distressing trusted' who declare themselves satisfied with the ...
Comment les citoyennes et citoyens se représentent-ils la justice et son fonctionnement ? Alors que les justiciables constituent un angle mort des études actuelles sur la justice, cette recherche, conçue par une équipe pluridisciplinaire associant politistes, sociologues et juristes, rend compte de la pluralité des expériences, des représentations de la justice, et des rapports au droit, à la justice et à la police.Premier enseignement : les enquêté·es font part d'un attachement ambivalent à l'égard de la justice. Considérée comme une condition du vivre ensemble, l'autorité de la justice est globalement reconnue et acceptée. Les attentes à son égard sont toutefois idéalisées et entraînent des déceptions et sentiments négatifs : justice trop rapide par exemple dans le cas des comparutions immédiates ou trop lente lorsqu'il s'agit de décider des modalités de garde d'un enfant. Les entretiens montrent un fort décalage entre ce que le droit permet (la résolution de litiges par une technique juridique parfois complexe) et les attentes des justiciables qui veulent que l'humain, l'individu, sa singularité soient pris en compte et demandent des marques d'empathie et d'écoute. Celles et ceux qui ont eu affaire à la justice se sont sentis plus spectateurs qu'acteurs de leur procès - objets et non sujets de droit. Cette critique vise magistrat·es et avocat·es. Enfin, il est reproché à l'institution judiciaire de reproduire, voire d'aggraver les inégalités sociales. Si la confiance dans l'institution est globalement satisfaisante, les inégalités d'accès au droit et au système judiciaire sont relevées.Les représentations de la justice pénale offrent un net contraste entre les conceptions abstraites qui dénoncent une clémence excessive et les attitudes adoptées face à des cas concrets qui marquent par la moindre punitivité des citoyen·nes.S'inscrivant dans le cadre des travaux sur les legal consciousness studies (études sur la conscience du droit), quatre types de rapport au droit et à la justice sont identifiés : les ...