Cet article analyse à plusieurs échelles des dynamiques territoriales postconflit liées à l'urbanisation accélérée du Mozambique et de sa capitale, Maputo, pendant la guerre civile (1976-1992) qui opposait la Renamo (Résistance nationale du Mozambique) au Frelimo (Front de libération du Mozambique). Les mobilités forcées transforment et recomposent les liens des hommes à leur territoire d'origine et à leur territoire de refuge et génèrent des dynamiques territoriales spécifiques. Des centaines de milliers de déplacés se sont installés dans ces villes « refuges », y construisant des maisons en matériaux précaires. Leur présence en ville a alors été tolérée, mais considérée comme temporaire. Malgré le souhait des autorités et de la communauté internationale que ces déplacés reviennent dans leurs zones d'origine, la majorité de ceux qui avaient trouvé refuge à Maputo s'y est installée durablement, produisant de nouveaux territoires dans des espaces délaissés de Maputo (zones inconstructibles ou inondables, décharges, etc.). Depuis la fin de la guerre, la libéralisation économique et l'ouverture aux capitaux étrangers, Maputo concentre les investissements étrangers dans un contexte de forte croissance économique. Les terrains urbanisés pendant la guerre, situés à proximité du bord de mer, sont devenus très attractifs pour les promoteurs immobiliers qui souhaitent développer de nouveaux quartiers à destination des élites. Les anciens déplacés redeviennent alors, dans ce nouveau contexte, des populations indésirables et se retrouvent relégués en périphérie.
Dans les études géographiques sur l'Afrique, le terrain occupe une place centrale. Le manque de sources bibliographiques sur certains pays et le problème de fiabilité des données statistiques ont contribué à façonner une approche méthodologique particulière, essentiellement qualitative, centrée sur les entretiens et les analyses de discours, ainsi que sur des formes d'observation participante. La singularité de l'approche méthodologique tient autant à la place du qualitatif qu'à celle des « séjours » de terrain, souvent prolongés, dans des lieux autres, synonyme d'altérité. Pour le géographe, le terrain comporte généralement une dimension affective et émotionnelle, rapport exprimant parfois un véritable sentiment d'appropriation territorial : « son terrain ». « Aller sur le terrain » ou « faire du terrain », représente à la fois l'étape initiatique et indispensable pour répondre à ses problématiques de recherche. Quoi qu'il en soit, « aller sur le terrain » signifie-t-il accéder directement au réel, c'est-à-dire observer une réalité qui s'offre « intacte » au chercheur ? Ou bien le terrain n'est-il qu'un mode d'accès dont il convient de définir les modalités ? En partant de notre expérience sur un terrain commun, ou plutôt un cadre spatial commun, Maputo au Mozambique, sur des thématiques « sensibles », nous cherchons à interroger les principaux biais qui affectent la pratique scientifique du terrain. La confrontation du « je », jeune géographe blanc(he) et occidental(e) à son terrain, à une société autre (forte altérité) ne produit-elle pas toute une série de biais qui entrent en compte dans la production des travaux de recherche ? Pour répondre à ce questionnement, il convient de distinguer les biais structurels de ceux qui sont de nature conjoncturelle afin de s'interroger sur les distorsions engendrées et le rôle de ces dernières dans la mise en place des conditions de production des données et plus particulièrement des discours. Ainsi, être blanc dans une société noire ne constitue-t-il pas le principal biais d'accès au réel dans les sociétés africaines où le blanc détient une place particulière ? Celui qui fut le colon et appartient aujourd'hui à une minorité aisée ; le blanc tour à tour, touriste, missionnaire, expert, membre d'ONG est porteur de représentations complexes qui biaisent discours et interactions ; sans oublier le poids des différences culturelles qui constituent sans nul doute de puissants vecteurs de modification du rapport à l'autre lors du travail d'investigation. Il faut ajouter par ailleurs la question du genre, du sexe, et de l'âge du chercheur qui conditionnent aussi le travail de terrain en termes d'atouts ou d'inconvénients. Il faudrait également évoquer d'autres filtres d'accès au réel comme la présence d'un interprète ou d'un guide, ainsi de celle d'autres tiers (voisins, etc.) qui participent implicitement à la construction du discours. Enfin, la personnalité et l'engagement personnel du chercheur doivent être étudiés. En effet, la question des choix méthodologiques renvoie à la gestion des biais, mais aussi au positionnement du « je » géographe à l'autre : quelle distance pour quelle éthique ? Il faut s'interroger sur l'historicité de la recherche par rapport à un parcours personnel, celui qui se cache derrière la figure du géographe. Dans la géographie française, il existe un important corpus de travaux de recherche sur l'Afrique. Toutefois, les réflexions méthodologiques, préalables indispensables à toute production scientifique, n'abordent ni la question de la couleur ni celle du sexe. Elles demeurent des « impensées géographiques ». Pourquoi constate-t-on un tel désintérêt ? Les biais sont-ils irréductibles et constituent en ce sens un « déterminisme méthodologique », rendant le chercheur impuissant ? Sont-ils tout simplement ignorés ? Soulèvent-ils un certain nombre de questions politiquement incorrectes ? Les hypothèses seront posées et discutées. Evoquer la multiplicité de ces biais et les reconnaître peut apparaître comme une forme de remise en cause de la scientificité de la géographie. C'est en effet remettre au centre de la réflexion toute la dimension sensible, floue, impondérable de la recherche. Qu'on accepte ou que l'on tente de réduire la portée de ces biais, une démarche réflexive est indispensable. En travaillant dans un contexte de « pauvreté », le chercheur est confronté à toute une série d'attentes, de fantasmes ou de craintes de la part des personnes enquêtées. Il convient de s'interroger sur l'éthique du chercheur et son positionnement effectif sur le terrain, sa distance aux autres : l'éthique est-elle une notion universelle dont chacun connaît la forme et le fond ou bien reste-t-elle à définir, en fonction de chacun ? Nous verrons les implications effectives du manque de positionnement disciplinaire sur la question de l'éthique, notamment sur le terrain : comment le chercheur le vit-il ? Enfin, travailler sur le même espace géographique, non seulement sur la ville de Maputo, mais bien souvent dans les mêmes quartiers, amène à questionner la définition du terrain, terme éminemment polysémique qui désigne en même temps le cadre spatial de l'étude, les procédures d'investigation et les objets spatiaux construits. En d'autres termes, avons-nous le même terrain ? Si certains biais et méthodologies d'enquêtes se recoupent, l'influence de nos objets d'enquête sur notre vision de la réalité dessine deux images de la ville différente. L'objet de terrain ne serait-il pas le principal biais, soit une porte à une réalité anamorphosée ?
International audience ; The worldwide spread of gated residential developments (GRDs) reached Southern Africa in the late 1980s, at a time of dramatic political and urban change. Their success has been primarily interpreted as an outcome of the transformations affecting cities, i.e. perceived decreased security and changing racial patterns. Such analyses are embedded in the fragmentation of urban societies and shed light on community or household strategies. Breaking away from this perspective, we argue that, although GRDs fit very well into unequal postcolonial, postwar or post-apartheid societies, they should also be envisioned as polymorphic real estate products tailored to care for the middle classes of the corresponding urban contexts. By focusing on the role of developers, estate agents and international aid networks in spreading this model in Cape Town, Maputo and Windhoek, we highlight the importance of market-related and political processes, as well as the influence of the local urban, political and town planning contexts on the adaptation of this private suburban housing product. The circulation of this model is geographically analysed in terms of scales and local contexts through a comparative approach that allows us to assess how it adapts to or disrupts inherited urban patterns and planning traditions.
International audience ; The worldwide spread of gated residential developments (GRDs) reached Southern Africa in the late 1980s, at a time of dramatic political and urban change. Their success has been primarily interpreted as an outcome of the transformations affecting cities, i.e. perceived decreased security and changing racial patterns. Such analyses are embedded in the fragmentation of urban societies and shed light on community or household strategies. Breaking away from this perspective, we argue that, although GRDs fit very well into unequal postcolonial, postwar or post-apartheid societies, they should also be envisioned as polymorphic real estate products tailored to care for the middle classes of the corresponding urban contexts. By focusing on the role of developers, estate agents and international aid networks in spreading this model in Cape Town, Maputo and Windhoek, we highlight the importance of market-related and political processes, as well as the influence of the local urban, political and town planning contexts on the adaptation of this private suburban housing product. The circulation of this model is geographically analysed in terms of scales and local contexts through a comparative approach that allows us to assess how it adapts to or disrupts inherited urban patterns and planning traditions.
International audience ; The worldwide spread of gated residential developments (GRDs) reached Southern Africa in the late 1980s, at a time of dramatic political and urban change. Their success has been primarily interpreted as an outcome of the transformations affecting cities, i.e. perceived decreased security and changing racial patterns. Such analyses are embedded in the fragmentation of urban societies and shed light on community or household strategies. Breaking away from this perspective, we argue that, although GRDs fit very well into unequal postcolonial, postwar or post-apartheid societies, they should also be envisioned as polymorphic real estate products tailored to care for the middle classes of the corresponding urban contexts. By focusing on the role of developers, estate agents and international aid networks in spreading this model in Cape Town, Maputo and Windhoek, we highlight the importance of market-related and political processes, as well as the influence of the local urban, political and town planning contexts on the adaptation of this private suburban housing product. The circulation of this model is geographically analysed in terms of scales and local contexts through a comparative approach that allows us to assess how it adapts to or disrupts inherited urban patterns and planning traditions.
International audience ; The worldwide spread of gated residential developments (GRDs) reached Southern Africa in the late 1980s, at a time of dramatic political and urban change. Their success has been primarily interpreted as an outcome of the transformations affecting cities, i.e. perceived decreased security and changing racial patterns. Such analyses are embedded in the fragmentation of urban societies and shed light on community or household strategies. Breaking away from this perspective, we argue that, although GRDs fit very well into unequal postcolonial, postwar or post-apartheid societies, they should also be envisioned as polymorphic real estate products tailored to care for the middle classes of the corresponding urban contexts. By focusing on the role of developers, estate agents and international aid networks in spreading this model in Cape Town, Maputo and Windhoek, we highlight the importance of market-related and political processes, as well as the influence of the local urban, political and town planning contexts on the adaptation of this private suburban housing product. The circulation of this model is geographically analysed in terms of scales and local contexts through a comparative approach that allows us to assess how it adapts to or disrupts inherited urban patterns and planning traditions.
AbstractThe worldwide spread of gated residential developments (GRDs) reached Southern Africa in the late 1980s, at a time of dramatic political and urban change. Their success has been primarily interpreted as an outcome of the transformations affecting cities, i.e. perceived decreased security and changing racial patterns. Such analyses are embedded in the fragmentation of urban societies and shed light on community or household strategies. Breaking away from this perspective, we argue that, although GRDs fit very well into unequal postcolonial, postwar or post‐apartheid societies, they should also be envisioned as polymorphic real estate products tailored to care for the middle classes of the corresponding urban contexts. By focusing on the role of developers, estate agents and international aid networks in spreading this model in Cape Town, Maputo and Windhoek, we highlight the importance of market‐related and political processes, as well as the influence of the local urban, political and town planning contexts on the adaptation of this private suburban housing product. The circulation of this model is geographically analysed in terms of scales and local contexts through a comparative approach that allows us to assess how it adapts to or disrupts inherited urban patterns and planning traditions.RésuméL'irrésistible mouvement mondial de propagation des résidences fermées a atteint l'Afrique australe dans les années 1980, à un moment où la sous‐région connaissait des transformations urbaines et politiques spectaculaires (transition post‐apartheid, situation post‐conflit). Le succès de cette option résidentielle a donc été attribué au désir des classes moyennes de s'affranchir des transformations raciales en cours dans ces sociétés urbaines et à la montée du sentiment d'insécurité. Cette lecture renvoie aux débats sur la fragmentation sociale et met l'accent sur les stratégies communautaires ou individuelles des ménages. Or si les résidences clôturées trouvent un terrain d'expansion favorable dans des contextes postcoloniaux et de transition, elles constituent également des produits immobiliers polymorphes, conçus pour s'adapter à la diversité des classes moyennes des villes dans lesquels elles s'implantent. On choisit ici de les considérer sous cet angle en analysant le rôle que jouent les promoteurs, les agents immobiliers et les réseaux internationaux de l'aide au développement dans la diffusion de ce modèle, ainsi que les dynamiques de marché et les processus politiques qui président à leur succès au Cap, à Maputo et à Windhoek. A travers une lecture géographique et comparative du phénomène dans ces trois villes, on étudie la manière dont ce produit immobilier suburbain s'adapte aux structures urbaines et aux traditions de planification urbaine de ces villes (ou au contraire les bouleversent), comment il circule à plusieurs d'échelles dans la sous‐région (intra‐urbaine, interurbaine et régionale), ainsi que le poids des contextes locaux dans la réception et les déclinaisons de ce modèle.
International audience ; The worldwide spread of gated residential developments (GRDs) reached Southern Africa in the late 1980s, at a time of dramatic political and urban change. Their success has been primarily interpreted as an outcome of the transformations affecting cities, i.e. perceived decreased security and changing racial patterns. Such analyses are embedded in the fragmentation of urban societies and shed light on community or household strategies. Breaking away from this perspective, we argue that, although GRDs fit very well into unequal postcolonial, postwar or post-apartheid societies, they should also be envisioned as polymorphic real estate products tailored to care for the middle classes of the corresponding urban contexts. By focusing on the role of developers, estate agents and international aid networks in spreading this model in Cape Town, Maputo and Windhoek, we highlight the importance of market-related and political processes, as well as the influence of the local urban, political and town planning contexts on the adaptation of this private suburban housing product. The circulation of this model is geographically analysed in terms of scales and local contexts through a comparative approach that allows us to assess how it adapts to or disrupts inherited urban patterns and planning traditions.
International audience ; The worldwide spread of gated residential developments (GRDs) reached Southern Africa in the late 1980s, at a time of dramatic political and urban change. Their success has been primarily interpreted as an outcome of the transformations affecting cities, i.e. perceived decreased security and changing racial patterns. Such analyses are embedded in the fragmentation of urban societies and shed light on community or household strategies. Breaking away from this perspective, we argue that, although GRDs fit very well into unequal postcolonial, postwar or post-apartheid societies, they should also be envisioned as polymorphic real estate products tailored to care for the middle classes of the corresponding urban contexts. By focusing on the role of developers, estate agents and international aid networks in spreading this model in Cape Town, Maputo and Windhoek, we highlight the importance of market-related and political processes, as well as the influence of the local urban, political and town planning contexts on the adaptation of this private suburban housing product. The circulation of this model is geographically analysed in terms of scales and local contexts through a comparative approach that allows us to assess how it adapts to or disrupts inherited urban patterns and planning traditions.
International audience ; Nous souhaitons questionner les notions de justice et d'injustice spatiale en étudiant les déplacements forcés de citadins, nous les désignerons sous le terme, utilisé en Afrique de l'Ouest francophone, de « déguerpissements ». Nous analysons des déguerpissements actuels et passés dans l'optique d'interroger différentes échelles de temps. Communs à de nombreuses villes du Sud, les déguerpissements sont décidés par des autorités étatiques ou municipales et/ou des investisseurs privés, en raison de la valeur symbolique et marchande de certains lieux notamment centraux (dans quatre villes caractérisées par une forte croissance spatiale et démographique). Ces déguerpissements concernent des catégories de citadins vulnérables car considérés « indésirables » (étrangers, minorités, déplacés de guerre, pauvres, etc.). L'objectif est ici de traiter de localisation injuste et du traitement inégal de certains groupes territorialisés, rejoignant l'idée d'Edward Soja : « les discriminations liées aux localisations (discriminations localisationnelles), résultat du traitement inégal fait à certaines catégories de population en raison de leur localisation géographique, s'avèrent fondamentales dans la production d'injustice spatiale et dans la production de structures spatiales pérennes, fondées sur privilèges et avantages. » (Soja, 2009) Nous proposons ainsi d'interroger les injustices spatiales produites par les rapports de force encadrant chaque déguerpissement en envisageant les processus dans la durée : le temps précédant le déguerpissement, accompagné de possibles négociations, le moment de la prise de décision et des éventuelles compensations, et le temps suivant le déguerpissement, de la relocalisation. Ces différents temps, imbriqués les uns dans les autres, interrogent diverses dimensions des injustices dans le processus de territorialisation/déterritorialisation des citadins déguerpis. Pour cerner les différentes formes d'injustices, nous partirons des discours produits par les acteurs qui ...