L'histoire des politiques de développement économique et social au Maghreb a fortement marqué l'évolution des systèmes agropastoraux des zones arides. En l'espace de 50 ans, on est passé de systèmes d'élevage pastoraux à des systèmes mixtes combinant différents élevages, la céréaliculture, l'arboriculture et une ou plusieurs activités extra-agricoles. Dans ce contexte, le changement induit par l'innovation technologique a du mal à émerger, notamment lorsque l'innovation s'intéresse à la durabilité de la ressource qui assure aujourd'hui une part minime de l'alimentation du troupeau. Ces innovations induites par la recherche, mais coproduites avec les agents du développement et les éleveurs, se heurtent à des dynamiques sociétales largement orientées vers la modernité des modes de vie, les profits de court terme pour la consommation. Les processus d'introduction de ces technologies se heurtent également à la nouvelle configuration sociale et spatiale des populations agropastorales.
Dans la vallée du fleuve Sénégal, l'agriculture vit d'importantes mutations avec la mise en service des barrages de Diama et Manantali (extension des superficies irrigables et développement de la double culture) et le démarrage de la Nouvelle Politique Agricole (NPA) marqué par le désengagement de l'état de la filière rizicole. Cette étude présente la méthodologie et les premiers résultats de l'ISRA pour étudier, évaluer et simuler l'évolution des systèmes mécanisés dans le delta, en s'appuyant sur la situation agricole entre 1985 et 1987. En 1991, ces travaux montrent qu'en mécanisation, le relais SAED a été rapidement pris par les paysans et les privés, grâce en partie au CNCAS, que les matériels sont trop puissants pour le parcellaire, que les prix des prestations sont rémunérateurs.En résumé, les enquêtes donnent une situation précise de la mécanisation et les suivis, des informations de base pour l'élaboration de référentiels sur l'utilistion des matériels. Sur les aspects méthodologiques, l'ISRA a acquis des "savoir-faire" transférables au développement sur la réalisation et le traitement informatique (logiciel LISA) d'enquêtes, sur l'équipement agricole et sur le suivi et l'appui à la gestion du matériel agricole par les organisations paysannes,.
Les modèles d'évolution des sytèmes agricoles sont fréquemment utilisés pour identifier des systèmes considérés comme "proches" et, par là même, susceptibles d'intégrer des innovations similaires. On examine ici la pertinence d'un concept de proximité ou à l'inverse de distance entre systèmes de production ou entre systèmes agraires régionaux pour tenter d'expliquer une dynamique d'innovation. Sur l'île d'Anjouan, aux Comores, les agriculteurs de la région de Niumakélé ont transformé leurs systèmes de production à la fin des années 60 en clôturant leurs parcelles de haies vives et en modifiant profondément les systèmes de culture et d'élevage à l'intérieur des parcelles encloses. Dans une autre région de l'île, Koni, aux caractéristiques agroécologiques proches, les systèmes de production sont restés inchangés jusqu'au milieu des années 80, malgré des échanges nombreux avec le Niumakélé. A partir de 1985, une dynamique d'embocagement est née à son tour à Koni, reproduisant le modèle de Niumakélé. L'application à cet exemple précis d'un raisonnement en termes de proximité-distance explique fort bien les évolutions des systèmes agraires régionaux. La pression démographique apparaît comme le premier facteur de distance entre les deux ensembles régionaux
L'agriculture biologique offre plusieurs options pour documenter les transitions technologiques vers de nouveaux modèles de production, même si elle présente des aspects controversés : faiblesse des rendements, accessibilité aux normes, valeurs des écobilans ou accroissement du travail. En mobilisant différentes situations en Afrique subsaharienne, ce numéro thématique des Cahiers Agricultures contribue à illustrer ces controverses. Les articles constitutifs montrent comment l'agriculture biologique définie par les normes des pays industriels ne peut rendre compte de la diversité des réalités agricoles africaines. Il s'ensuit l'émergence de nouvelles certifications et demandes des sociétés locales. Cette émergence reste contrainte par l'insuffisance des bases de connaissances comparatives des réalités productives entre l'agriculture biologique et conventionnelle. Des innovations méthodologiques pour réduire les asymétries de connaissances sur la comparaison des performances sont alors proposées. Les résultats interrogent la nécessité de nouveaux indicateurs intégrant les questions de sécurité nutritionnelle et sanitaire. Ils montrent que l'agriculture biologique peut aussi être un levier de l'accroissement des rendements quand la rente forestière a été consommée par l'agriculture d'exportation. Tout en éclairant les controverses, ce numéro thématique pose l'hypothèse, que sous certaines conditions, l'agriculture biologique est une opportunité de rupture de paradigme technologique qui répond aux enjeux de développement en Afrique. Il invite à ne pas confondre cette rupture avec les mécanismes de transition incrémentaux portés par l'agroécologie.
Les travaux sur l'innovation dans l'agriculture sont relativement récents, mais s'inscrivent dans une histoire plus longue des approches du progrès technique et des transformations du secteur agricole. Ce chapitre revient sur l'histoire de l'usage de la notion d'innovation dans l'agriculture et sur les travaux dans ce domaine, en se centrant sur les contributions de l'économie et de la sociologie. Trois périodes marquent cette histoire : jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, la notion d'innovation n'est pas utilisée dans la littérature, mais la question du progrès technique, progressivement évacuée par les économistes, s'affirme dans les sciences agricoles ; sur les 40 années qui suivent, les approches diffusionnistes de l'innovation concernent tous les secteurs, notamment l'agriculture, dont la modernisation est accompagnée par les sociologues et les économistes ; enfin, à partir des années 1980, les critiques du modèle de développement agricole antérieur sont croissantes et s'accompagnent d'un renouvellement de la pensée sur l'innovation, donnant de nouvelles perspectives pour les recherches sur l'innovation dans l'agriculture et les domaines associés.
Involving farmers in identifying the constraints to rural agriculture and in designing measures to alleviate them is the subject of this publication, which resulted from a meeting, held in Ouagadougou, Upper Volta, 20-25 September 1983. Agronomists, economists, anthropologists, and others seeking to get the most from research efforts discussed the pitfalls of assembling packages that are sound technically but have some essential flaw because the developers have overlooked some crucial constraint at the farm level. The subject is one that is receiving much attention currently as agriculture in developing countries has failed to net major increases in production despite thousands of dollars invested in research and optimistic claims that improved varieties, techniques, equipment, etc. have been developed. The gaps between results on research stations and those on farms in the Third World have prompted some researchers to view the farmers' conditions as the real laboratories. Why, how, where, and when to get farmers involved in research are the focus of this document, and the degree to which researchers and the agencies they represent have been able to listen and work with their new partners varies, as is clear from the 11 papers and the commentary that follows them.
The food security challenges faced by populations in sub-Saharan Africa and the fact that extensive production systems are reaching their limits in the food-producing agricultural chain have increased the need to accelerate technological innovation toward the ecological intensification of agricultural production systems. Here, a review of the research conducted on plantain bananas (Musa paradisiaca) in Cameroon since 1988 revealed how institutional innovation has enabled the hybridization of different research forms- such as fundamental, systems, and action research-and reinforced the organizational innovation required for technical change. We found that impact evaluation underlined the complementarity between the increases in productivity and income in rural areas, as well as the production of human and social capital and the protection of forest resources.
The development of smallholder irrigation is a policy priority in Ethiopia, yet little consideration has been given to the role state interventions play in enabling or constraining effective self-governance in farmer-managed schemes. To address this gap in evidence, research was conducted in Tigray, northern Ethiopia, in two irrigation sites. Focus group discussions and semi-structured interviews with key informants were the primary means of collecting data on local institutional arrangements, government interventions and management challenges. An opinion poll provided additional insights. Our case studies indicate that effective self-governance cannot easily be crafted by external actors. The introduction of modern irrigation technologies and formalized management arrangements has fostered dependency on external support and increased state influence in key decision-making processes, whilst traditional water user associations remain largely autonomous but have little access to financial resources. State interventions have also been poorly tailored to local context with negative consequences for performance, although there have been some successes where traditional arrangements for water management have been integrated into new institutions. The incorporation of farmer perspectives into performance assessments could facilitate more responsive interventions, and remains an important area of irrigation research and practice.
Si les débats sur l'élevage d'herbivores sont largement posés à l'échelle planétaire (réduction des gaz à effets de serre, alimentation mondiale, biodiversité), l'élevage contribue aussi au développement durable des territoires ruraux : il s'y présente comme une activité ancrée dans des sociétés, des filières et un espace local où il fournit des produits et services multiples. Nous proposons une revue bibliographique visant à préciser comment les chercheurs abordent les relations entre élevage et territoire. Elle a été menée sur des moteurs de recherche des sciences biotechniques et sociales. Les mots-clés utilisés sont issus du champ des systèmes d'élevage et du champ du territoire, avec un accent sur ses dimensions spatiales et sociales. Trois grands domaines d'étude des liens entre " élevage " et " territoire" ressortent. Ils traitent respectivement : 1) des liens entre les activités agricoles (dont l'élevage) et le territoire réduit à sa dimension spatiale, support de ressources localisées. Par exemple, les " land use and land cover studies " développent des modèles des dynamiques spatiales des utilisations du sol sous l'effet de grands moteurs de changement (politiques agricoles, marchés). Les implications de ces dynamiques spatiales sur les processus écologiques font partie des fronts de recherche actuels. 2) de la diversité et la complémentarité des systèmes d'élevage au sein d'un territoire délimité. Sont alors mises en évidence les fonctions productives et non productives de l'élevage (sécurité alimentaire, gestion du risque), ainsi que les articulations entre activités d'élevage et autres activités (agricoles ou non). La diversité des fonctions, mais aussi les façons de produire, sont souvent vue comme un facteur de résilience. 3) des systèmes d'élevage vus comme des systèmes techniques imbriqués dans des groupes humains. Les dynamiques sont alors analysées à travers (i) les changements de normes et d'identités d'une société locale et (ii) les ressorts des actions collectives, au croisement des enjeux de filière et d'environnement. L'association de ces trois domaines demeure rare. Elle apparaît cependant comme un enjeu scientifique interdisciplinaire majeur pour produire des connaissances sur l'élevage et sur ce vers quoi il peut aller, en tant que ressource pour le développement durable des territoires.
La croissance du marché international des produits horticoles se réalise par la globalisation d'un mode de production intensif en produits de synthèses qui mobilise une main d'oeuvre salariée. Dans les Antilles des changements de trajectoires technologiques permettent d'envisager d'autres modes de production. Cet article met en évidence comment l'innovation technique permettant de diminuer le recours aux pesticides est tributaire d'une adaptation des coordinations dans la mobilisation du travail salarié. Pour cela nous caractérisons les systèmes d'emploi de la main d'oeuvre salarié entre différentes origines et leurs impact sur des indicateurs de performance des filières de banane et d'adaptation des changements techniques.
L'histoire de l'évolution de l'agriculture au lac Alaotra, grenier à riz de Madagascar, région à forte immigration et zone de prédilection de l'aide publique au développement, s'alimente de diverses temporalités. Pour le montrer, les auteurs s'appuient sur un cadre d'analyse qui met en perspective l'instabilité des politiques agricoles, le temps compté des projets de développement et de recherche qui appuient le changement technique, le cheminement aux durées variables de l'adoption des propositions techniques, de l'innovation et au final de l'évolution des pratiques agricoles. Malgré la déconnexion de ces temporalités, s'est façonné un capital technique riche de savoirs et de savoir-faire qui, par sa diversité, donne aux exploitations agricoles de cette région une capacité d'adaptation à divers risques.
Pour analyser le changement technique en matière d'élevage - et ses effets sur l'organisation et la gestion des espaces locaux - dans la région semi-aride du Nordeste du Brésil, les auteurs s'intéressent aux dynamiques des systèmes de production. L'étude est conduite à l'échelle de l'exploitation agricole, grâce à des observations et à des enquêtes portant sur les pratiques des éleveurs. La typologie des systèmes d'élevage proposée distingue cinq idéo-types, caractérisés par des formes d'organisation et de gestion des productions et un ensemble de pratiques spécifiques. Les transitions entre les types d'élevage sont autant d'étapes d'un processus portant en particulier sur les modes d'appropriation et de mise en valeur des ressources foncières. L'interprétation des stratégies individuelles et collectives s'appuie sur la modélisation de l'évolution des petites régions. L'analyse met également en évidence l'importance des cycles de vie et d'accumulation foncière et de capital. La composition du troupeau, l'aménagement et la gestion des espaces pastoraux, la diversification des productions et l'ensemble des choix techniques sont étroitement liés aux trajectoires d'évolution. La plasticité fonctionnelle des activités d'élevage est fondamentale.
Au Nordeste du Brésil, la rareté de l'eau et la répartition foncière ont perpétué une situation de dépendance des agriculteurs familiaux. L'impact des sécheresses a suscité l'intervention des pouvoirs publics associant l'irrigation à la modernisation agricole. Celle-ci, concentrée autour de grands barrages et périmètres irrigués, a conduit à une centralisation de la gestion de l'eau sans parvenir à satisfaire les besoins de la population rurale. Le texte analyse diverses pratiques et stratégies de gestion de l'eau mise en oeuvre par les agriculteurs, en particulier les innovations en matière d'utilisation productive des eaux superficielles. Les problèmes d'adaptation de ces propositions montrent combien les changements techniques sont intimement liés aux changements sociaux et institutionnels.
En Argentine au début des années 2000, le monde de la recherche agronomique publique s'est attelé au développement d'un machinisme approprié pour l'agriculture familiale. L'agriculture familiale, devenue une catégorie d'action publique et scientifique à cette même époque, renvoie aux agriculteurs travaillant leurs terres sans employer de main d'oeuvre salariée. Ce modèle se différencie de celui de l'agronégoce, centré sur la production de matières premières destinées à l'exportation, qui a connu depuis les années 1990 un essor considérable en Argentine. La thèse revient d'abord sur l'installation des activités de développement de machinisme pour l'agriculture familiale au sein de la recherche agronomique argentine, autour de la création de nouveaux instituts spécialement dédiées à la recherche et au développement technologique pour l'agriculture familiale (Ipaf). Ces institutions ont notamment la particularité de se fonder sur la référence au concept de " technologies appropriées ". Né en Europe dans les années 1960, ce concept est ancré dans une critique forte des technologies conventionnelles, tout en proposant le développement de technologies simples, locales, de petites échelles, et décentralisées. Après avoir observé la trajectoire de circulation, faite d'hybridations, du concept de technologies appropriées dans l'espace latinoaméricain, nous présentons la manière dont il a été mobilisé par la recherche agronomique publique argentine dans le contexte spécifique des années 2000. Ce contexte, politiquement marqué par le Kirchnérisme, a vu l'instauration d'un mandat visant à mettre les sciences et les technologies au service de l'inclusion sociale. La thèse s'intéresse ensuite en détail au travail mené par les ingénieurs chargés de développer des machines appropriées à l'agriculture familiale. Nous revenons sur deux cas concrets, que sont la conception et la fabrication de machines de post-récolte de quinoa, et le développement d'un prototype de vendangeuse semi-mécanisée. Nous présentons la manière dont les ingénieurs interviennent sur différents fronts. Ils ont ainsi conçu des modèles, trouvé des fonds pour les prototyper, participé à la fabrication, mais également cherché des financements publics pour permettre aux petits producteurs de faire l'acquisition des machines. Nous analysons ce mode d'intervention spécifique, tourné vers l'accomplissement d'une mission, qui est d'assurer que les innovations parviennent jusqu'aux petits producteurs. Enfin, nous présentons la manière dont les agents de la recherche agronomique publique ont, au coeur de ce projet porté par l'Etat, interagi avec le secteur privé, et tenté de construire un secteur de fabricants de machines pour l'agriculture familiale. Cette dernière thématique est d'autant plus complexe dans le contexte des technologies pour l'agriculture familiale, où il s'agit d'envisager le développement de marchés pour des acteurs pauvres, ou du moins ayant un faible, voire très faible, pouvoir d'acquisition. Cette thèse propose une analyse détaillée du rôle de la recherche agronomique publique dans le soutien à l'agriculture familiale, et des relations mouvantes en sciences, techniques et politiques dans un pays périphérique comme l'Argentine.
Le cocotier et ses produits jouent un rôle important en Indonésie, tant dans l'économie domestique que nationale, contribuant à ces deux échelons à la satisfaction des besoins de consommation, mais aussi à la création d'un revenu monétaire régulier. Suite à une conjoncture économique défavorable des échanges nationaux en huile alimentaire, un vaste programme de développement de la cocoteraie villageoise a été initié en 1979. Les résultats décevant obtenus à ce jour témoignent des difficultés rencontrées pour sa réalisation. La recherche en terme d'analyse méthodologique des acteurs et facteurs de l'organisation économique et sociale de la production met en évidence la dynamique de la relation adoption de l'innovation-rapports sociaux communautaires et explicite les comportements individuels et collectifs observés.