Romantisme : pro et contra Qu'est-ce que le romantisme ? Le titre de l'ouvrage d'Henri Peyre pose en 1971 une question qui n'a cessé d'agiter les critiques tout au long du XXe siècle et à laquelle aucune réponse n'a jamais fait consensus. Plutôt que d'ajouter aux essais de définition et aux tentatives de description exhaustive, nous souhaiterions ici proposer un autre regard sur ces interrogations et nous demander, au miroir de la critique française et étrangère du siècle passé, non pas ce qu'est le romantisme, mais, dans la lignée du renversement proposé par Raymond Immerwahr, ce qui se passe quand on appelle un objet « romantique » ou quand l'on donne une définition à « romantisme » . Ce volume invite donc à une réflexion historique sur la manière dont les différents courants de critique et de théorie littéraire ont lu et appréhendé le romantisme dans le courant du XXe siècle. Pourquoi se pencher sur la réception critique du romantisme en particulier ? D'abord parce que, parmi les différents courants littéraires, le romantisme s'est régulièrement trouvé au cœur des débats théoriques tout au long du XXe siècle, et que les principaux paradigmes critiques l'ont érigé tour à tour en modèle et en contre-modèle. On trouve aux deux extrémités du siècle des moments de valorisation du romantisme : au début du XXe siècle, il constitue le corpus par excellence des premières approches comparatistes formalisées, destinées chez un Fernand Baldensperger ou un Paul Van Tieghem à dégager des traits littéraires transversaux communs à l'ensemble des littératures européennes . Vers la fin du siècle, le romantisme est également remis à l'honneur : dans le contexte français actuel, le paradigme critique qui invite à relire les textes littéraires à la lumière de l'histoire culturelle s'est développé à partir de l'étude du Zeitgeist romantique, et considère le corpus romantique comme un lieu privilégié pour penser les processus littéraires et esthétiques. Mais entre les deux, c'est une vaste zone troublée qui se déploie à une époque considérée comme l'âge d'or de la critique française : dans les courants théoriques des années 1960 et 1970, le rapport au romantisme se fait plus ambivalent et les différents paradigmes critiques sont amenés à se définir par rapport à lui – souvent par rejet radical. Le structuralisme, par exemple, avec son approche formelle et sa conception du texte autotélique, qui se réclame ouvertement de la double tradition flaubertienne et mallarméenne, discrédite l'aspiration des « mages romantiques » à faire de l'art la relève de la philosophie et de l'écrivain le dépositaire d'un sacerdoce moral. Et ce n'est que lorsque son emprise commence à se relâcher un peu qu'un Barthes revient à Balzac pour mesurer jusqu'à quel point il ouvre déjà partiellement vers le pluriel du « Texte », ou qu'un Todorov s'intéresse aux « théories du symbole » des premiers romantiques allemands, rompant ainsi avec l'arbitraire du signe saussurien cher à Lévi-Strauss et à l'ensemble du structuralisme . En revanche, le poststructuralisme tel que défini entre autres par une Julia Kristeva affiche d'abord une méconnaissance offensée du romantisme, et ne fait commencer les « révolutions du langage poétique » que passé le temps de son hégémonie . Enfin, si elle se place en théorie dans la lignée de la polysémie romantique, tout un pan de la théorie de la « déconstruction » française continue de manifester une certaine méfiance pour le courant : ainsi, la « déconstruction » tend parfois à condamner la littérature romantique, héritière des théories du langage de Rousseau et Herder, en la soupçonnant d'une foi naïve en la « métaphysique de la présence » qui la confinerait dans une posture nostalgique et aveuglée. Jacques Derrida reconnaît par exemple de sa part un rapport « un peu raide » à certains romantiques allemands et français, pour qui le sacre de l'écrivain ne semble pouvoir se faire que dans une fétichisation de la voix charismatique de l'auteur, ce qui pour le penseur français est l'aveu d'une croyance erronée dans le caractère secondaire de l'écrit par rapport à la parole vive. Un objet critique sensible : archaïsme ou modernité ? Ce statut ambivalent met en lumière l'enjeu particulier que constitue l'interprétation du romantisme pour la théorie littéraire du XXe siècle. En effet, beaucoup de critiques s'accordent pour le considérer comme une ligne de partage entre archaïsme et modernité en littérature, mais sans pour autant trancher si l'avènement d'une littérature dans laquelle les contemporains se reconnaissent se fait avec le romantisme, ou au contraire après lui. Le romantisme fait-il partie de cette modernité dont il serait l'avant-poste, ou constitue-t-il au contraire la dernière étape avant les « révolutions du langage poétique » ? La question reste plus ouverte qu'on ne le soupçonnerait. Dès la fin des années 1940, un Jean-Paul Sartre garde le romantisme en point de mire quand il récrit sous le nom d'« engagement » une nouvelle partition de la « fonction du poète » ; et il l'a toujours en vue lorsque, plus tard, il remonte aux « frères aînés » de « l'idiot de la famille » pour mieux comprendre la radicale rupture que signifie la tentation flaubertienne de l'impersonnalité. De même, à l'époque même où le structuralisme paraît dénier aux romantiques un rôle dans la production de la littérature moderne en faisant de Flaubert et Mallarmé les fondateurs d'une littérature de l'intransivité, d'autres penseurs tout aussi importants estiment que c'est au romantisme que l'on doit cette révolution. Lorsque Foucault traque dans Les Mots et les choses la métaphore de la transparence qui dévoile la grande utopie d'un « langage […] où les choses elles-mêmes seraient nommées sans brouillage », il valorise par contre-coup une littérature qui « s'enferme dans une intransivité radicale » et « devient pure et simple affirmation d'un langage qui n'a plus pour loi que d'affirmer […] son existence escarpée » : or, pour Foucault, « le mode d'être moderne du langage », amené à lutter tout au long du XIXe siècle avec une forme de réalisme cratylien, s'inaugure bien avec « la révolte romantique contre un discours immobilisé dans sa cérémonie ». Chez Maurice Blanchot, toute la littérature moderne trouve sa source dans le romantisme, moment où le rêve d'une adéquation parfaite du langage cède la place à la recherche d'une intransivité radicale : pour ce critique, l'art de l'époque romantique est marqué par une perte externe de souveraineté, mais se trouve compensée par la conquête d'une nouvelle fonction interne, celle de « l'art comme recherche ». De Hölderlin à Kafka, c'est un autre modèle littéraire qui s'impose alors, celui d'une œuvre toujours à la recherche de sa propre origine. Avant même le retour de l'auteur dans les « biographèmes » du Barthes tardif ou la préférence accordée au « figural » par Jean-François Lyotard au détriment des signes discursifs , le romantisme est loin d'être le mouton noir de la critique des années 1960 et 1970 : il apparaît comme un objet profondément pluriel, dont l'appréciation varie en fonction des romantiques et des romantismes que l'on sélectionne. On constate ainsi que l'influence méthodologique et certains modes concrets d'appropriation du romantisme diffèrent parfois du discours critique global porté sur lui : dans la critique du XXe siècle, le romantisme est souvent là où on ne l'attend pas. Pourrait-on même voir, à la suite de Jean-Marie Schaeffer ou Denis Thouard, des généalogies secrètes qui iraient des romantiques allemands à Bakhtine et au structuralisme ou des héritages cachés du romantisme dans les pensées contemporaines ? « Situations » des lectures du romantisme : moments et espaces de la réception critique Au-delà de l'interprétation du romantisme en lui-même, c'est donc une lecture de ses lectures qui devient possible. En replaçant les réceptions critiques dans leur cadre conceptuel, on fait en effet apparaître des effets de perspective, qui permettent de situer dans le temps et dans l'espace les différentes lectures du romantisme, mais aussi de mettre en relief les éventuelles lacunes ou mésinterprétations qu'ont pu engager des analyses pourtant devenues canoniques. Ainsi, plusieurs ouvrages récents soulignent que l'appropriation du romantisme par toute une tradition critique au nom du principe d'intransivité repose en réalité sur une lecture biaisée par des préoccupations propres au contexte dans lesquelles elle se fait jour : ainsi des tenants d'une littérature close sur elle-même, qui revendiquent la tradition de « l'art pour l'art », mais sans reprendre la conception romantique qui lie autonomie et efficacité et veut que l'œuvre sublime conquière de fait un pouvoir renforcé sur le monde . Le même type d'appropriation subjective paraît à l'œuvre dans la théorie de « l'Absolu littéraire », qui s'inspire des premiers romantiques allemands et de leur art clos sur lui-même comme un hérisson, mais laisse de côté le programme politique et social présent dans la philosophie de Fichte ou la « nouvelle mythologie » des frères Schlegel . Dans les deux cas, le romantisme se trouverait promu autour d'un malentendu, ou au moins d'une vision partielle, qui évacuerait une ambition messianique jugée surannée à l'époque du Nouveau Roman ou un programme politique qui investit les notions de Nation et de race devenues profondément suspectes. L'idée que les moments de la lecture romantique sont profondément informés par leur contexte historique se prolonge avec les nuances en termes d'espace que la réception critique du romantisme fait apparaître. Si, pour les déconstructionnistes français, le romantisme apparaît comme une littérature périmée, l'école de Yale d'un Paul de Man et aujourd'hui d'un Harold Bloom a totalement renouvelé l'étude des romantiques britanniques, à laquelle elle se consacre presque exclusivement. De même, dans le monde anglo-saxon, la littérature romantique, loin d'être exclue de la modernité, s'est trouvée au cœur de la constitution des principaux paradigmes critiques contemporains, des postcolonial studies qui prennent naissance dans les analyses d'Edward Said sur l'image de l'Orient chez les romantiques , à la notion de world literature qui revendique l'héritage de la Weltliteratur de Goethe et des romantiques allemands , en passant par la critique féministe dont la figure tutélaire, la « folle du grenier », est empruntée à un roman de Charlotte Brontë . Pour revenir à notre point de départ, on notera également que la promotion initiale du romantisme par les premiers spécialistes de littérature comparée est l'œuvre d'universitaires issus de la tradition allemande de la romanistique : le Belge Paul Van Tieghem, le Français Fernand Baldensperger, créateur en 1928 du Cours Universitaire de Davos (Davoser Hochschulkurse), et plus tard le Suisse Albert Béguin voient dans le romantisme un signe de l'unité de la culture européenne, à une époque où déjà, en France, l'accent mis sur l'aspect poétique d'une littérature qui, selon Paul Valéry, « est et ne peut être autre chose qu'une sorte d'extension et d'application de certaines propriétés du langage », lance une tradition critique de soupçon envers le romantisme. La réception souvent heurtée du romantisme dans la critique du XXe siècle nous incite donc à proposer une historicisation du regard critique. Cet ouvrage, issu d'une journée de réflexion menée en février 2015 dans le cadre hospitalier du Musée de la Vie romantique, que nous remercions pour son généreux accueil, ne vise pas à dégager une vision synthétique du romantisme – on s'est souvenu que le titre du premier numéro de la revue Romantisme, « L'Impossible unité » – et il ne prétend pas non plus à l'exhaustivité : il propose une série de perspectives dans cette histoire complexe et gigantesque, que d'autres livres auront soin de venir compléter . Le chemin qu'il propose s'articule en plusieurs temps : d'abord, on reviendra aux commencements du problème romantique dans la critique européenne – les articles de Matthieu Vernet et de Victoire Feuillebois montrent ainsi que, de manière très différente et avec des visées critiques diverses, les années 1900 voient l'entrée en scène du romantisme comme problème critique fondamental, que l'on cherche à en donner une vision historicisée ou qu'il fonctionne comme un miroir des problématiques de l'esprit du temps. On soulignera ensuite le caractère fatalement kaléidoscopique des réceptions du romantisme à travers l'exemple du romantisme allemand : Patrick Marot, Philippe Forget et Éric Lecler soulignent à la fois le caractère productif de ces appropriations, leur éloignement relatif par rapport à l'original et les résultats très différents auxquels amène la lecture d'un même texte. Mais au-delà des lectures individuelles, ce sont bien des tentatives d'interprétation générales du romantisme qui caractérisent le siècle – soit, comme le montre José-Luis Diaz pour la génération 1970 et Mark Sandy dans son riche panorama des études romantiques ango-saxonnes, qu'elles tentent de dégager une image structurée et conceptualisée du romantisme, soit, ainsi que le souligne Yvon Le Scanff, qu'elles tendent à isoler des concepts pour penser le romantisme, comme celui de sublime qui apparaît paradoxalement opératoire. On se proposera enfin de clôre cette réflexion en mettant en valeur la place du romantisme dans les questionnements à la frontière entre le littéraire et le culturel : Serge Zenkine, Michael Löwy et Robert Sayre rendent sensibles le caractère singulier de la notion, qui excède de loin la dimension purement poétique, tout en continuant de porter une interrogation théorique forte, ce qui explique à la fois la variété de ses échos et la pérennité de la sensibilité dans d'autres espaces et d'autres temps. Nous espérons que ce panorama puisse contribuer à préciser le statut et la place des études sur le romantisme dans le champ intellectuel contemporain et à réfléchir aux outils épistémologiques légués par ces différentes approches pour penser le romantisme au début du XXIe siècle. José-Luis DIAZ et Victoire FEUILLEBOIS
The title of the Part I is "the history of limnological research about Lake Baikal and the Lake of Geneva". Studies about Lake Baikal and the Lake of Geneva have begun since the Antiquity but the 18th century was decisive. The two first scientists working about the Lake of Geneva were Fatio de Duillier and de Saussure, whereas only travelers, soldiers and exiles could write about Lake Baikal. Due to scientific progress and new political and economic conditions, the work of limnologists and other world-renowned scientific figures emerged at the end of the 19th century, Forel and Delebecque in the Lake of Geneva, Dybovskij, Čerskij, Obručev and Driženko in Lake Baikal. During the interwar period, the biologist Vereščagin was the leader of the new limnological station of Lake Baikal, whereas Collet was the great geologist of the Lake of Geneva. Since 1945, team work in the limnological institutes of the two lakes has taken over isolated researchers. The technologies are very high, especially on Lake Baikal, where oceanographic ones are used. The boundaries between France and Switzerland and between Russia and Mongolia, the differences between capitalism and communism had a great influence on the research about the two lakes. Today biologists and geologists working about the Lake of Geneva count in tens and especially study pollution and eutrophication. Geologists, biologists and geographers working about Lake Baikal count in thousands and especially study systematic, structure of the rift and conservation of the environment in the hydrographic basin. For our purposes, the main difference between the two lakes is the lack of geographic research in the case of Lake Geneva, while 250 researchers of the Institute of Geography in Irkutsk study Lake Baikal. The title of the Part II is "Geography of Baikal and the Lake of Geneva, analytic and synthetic lake-scale cartography". Since geography describes, lake-scale cartography squares with observer-scale cartography. Some forty analytic maps describe lake basins, waters and organisms. In a second time, two synthetic maps define the geographical problematic of the two lakes, i.e. their geographical individuality (fig. 46 and 47). The geomorphological, hydrological and biogeographical characteristics of Lake Baikal are of planetary importance because the ratio between the rate of formation of the lake basin and the rate of sedimentary filling-up is very high. The geographical individuality of the Lake of Geneva is based on the intersection of its medium horizontal dimensions, its young age and its great relative depth. The title of the Part III is "Geography of Baikal and the Lake of Geneva at different scales". The world-scale study of Lake Baikal and of the Lake of Geneva includes the influence of latitude and longitude on the climate and on the hydrological cycle of the two lakes, the plate tectonics, the biological evolution and endemism, the development of human technologies. The hydrographic basin – scale study includes hydrological balances, sedimentary filling-up, pollution and eutrophication. But both lakes provide feedback, they have an influence on the climate, the geomorphology and the biogeography of a small part of the continent. The region – scale study confirms the definition of the geographical individuality of each lake. The regionalization of Lake Baikal in five parts and of the Lake of Geneva in three parts is based on the criterion of the geographical individuality of the whole lake (fig. 67 and 74). ; Dans le livre I, « le temps et la recherche limnologique sur le Léman et le Baïkal », l'étude de l'histoire des recherches limnologiques sur le Léman et le Baïkal permet de mieux appréhender ce qu'on attend de nouveau de la part du géographe qui s'intéresse à des lacs examinés depuis des siècles. Les premières allusions écrites au Léman et au Baïkal datent de l'Antiquité, mais les études précises n'ont pas commencé avant le XVIIIème siècle. Les conditions de peuplement étaient cependant fort différentes. Fatio de Duillier et de Saussure furent les deux premiers savants s'intéressant au Léman, tandis que des voyageurs, des militaires et des exilés du tsar donnaient des renseignements sur le Baïkal. Les progrès scientifiques croissants et de nouvelles conditions politiques et économiques favorisèrent le travail de limnologues et autres personnalités scientifiques de renommée mondiale à la fin du XIXème siècle, Forel et Delebecque pour le Léman, Dybovskij, Čerskij, Obručev et Driženko pour le Baïkal. Pendant l'entre-deux-guerres, le biologiste Vereščagin, à la tête de la nouvelle station limnologique fondée sur les bords du Baïkal, mena des recherches dans tous les domaines et fit faire un bond aux connaissances qu'on avait du grand lac sibérien. Depuis Genève, Collet fut à l'origine des études géologiques de la cuvette lémanique. Depuis 1945, les travaux en équipe dans les instituts de limnologie des deux lacs ont pris le relais de ceux des chercheurs isolés. Les techniques mises à leur disposition sont devenues imposantes, surtout sur le Baïkal, où des moyens océanographiques sont constamment utilisés. Les différends, ou au contraire les coopérations, entre la France et la Suisse, la Russie et la Mongolie, le système capitaliste des premiers, communiste des seconds, finançant et orientant les recherches, ont été à l'origine d'une riche variété de possibilités dans l'étude des deux lacs et de leur bassin d'alimentation. L'optique des travaux récents et actuels n'est pas la même. Les chercheurs du Léman, quelques dizaines de biologistes et géologues, étudient en premier lieu l'eutrophisation et la pollution. Ceux du Baïkal, plusieurs milliers de biologistes, géologues et géographes, ont une prédilection pour la systématique, la structure du rift, ainsi que la protection du milieu naturel du bassin versant. Pour notre propos, la grande différence entre les deux lacs est l'absence de recherche géographique dans le cas du Léman, alors que 250 chercheurs de l'Institut de Géographie d'Irkoutsk étudient le Baïkal. Il s'avère finalement que l'attente principale est de cerner la personnalité de chaque lac. Cela doit être le but de la thèse. Il s'agit pour y parvenir de mettre à profit les qualités de la géographie, la cartographie, la globalité, les changements d'échelle. La mise au point d'une méthode géographique pour embrasser l'individualité de chaque lac demande d'être validée par son application sur des lacs très différents, comme le sont les Léman et le Baïkal. Dans le livre II, « géographie du Baïkal et du Léman, cartographie analytique et synthétique à l'échelle du lac », le lac est abordé à l'échelle de l'observateur, du géographe, qui commence par décrire. Une quarantaine de cartes analytiques sur la cuvette, l'eau et les organismes vivants permettent de prendre un premier contact avec le Baïkal et le Léman. Dès que cela est nécessaire, des éléments d'explication sont intégrés à cette étude à l'échelle du lac, conduisant ainsi par exemple à la construction de deux cartes géomorphologiques (fig. 17 et 18). Dans un second temps, la cartographie est utilisée pour définir la problématique géographique de chacun des deux lacs (fig. 46 et 47). Cette synthèse répond à la nécessité de déterminer la personnalité géographique de chaque individu lacustre. Les caractères géomorphologiques, hydrologiques et biogéographiques du Baïkal sont tous d'importance mondiale parce que le rapport entre la vitesse de formation de la cuvette lacustre et celle de son comblement est particulièrement grand relativement aux autres lacs. Le plus grand volume d'eau douce et la plus grande profondeur de tous les lacs du monde, et les innombrables conséquences de ces deux qualités, bref tous les records liés aux dimensions du Baïkal, en découlent. La plus grande ancienneté lacustre de la planète, et son influence déterminante sur l'endémisme biogéographique unique du Baïkal, c'est-à-dire tous les caractères liés à l'évolution dans le temps de ce lac, en dérivent aussi. Les deux ensembles de caractères sont en outre corrélés à un échelon supérieur. C'est parce que le Baïkal est si ancien qu'il est si profond et volumineux ; c'est parce qu'il est si profond et volumineux qu'il a pu traverser les glaciations sans bouleversement et être ainsi si ancien. La problématique du Léman, celle qui lui forge sa personnalité géographique, est fondé sur le mélange de ses dimensions petites à moyennes, de son origine dans le temps récente et de sa durée de vie éphémère, avec son seul caractère de grand lac, soit sa profondeur importante (non pas sa profondeur absolue mais sa profondeur relative à la superficie, celle-ci étant ramenée à une valeur d'exposant un par un calcul mathématique simple). Le Léman est ainsi à la fois un lac soumis à son bassin versant et tenté par l'indépendance, et c'est sur ce subtil équilibre que s'appuie toute son originalité. Le livre III s'intitule « géographie du Baïkal et du Léman, changements d'échelle ». La machine lacustre mérite, dans le but de saisir les mécanismes généraux qui en régissent le fonctionnement, d'être étudiée à l'échelle mondiale. Ce terme est entendu dans le sens large de la prise en compte d'un espace d'une taille telle que le Baïkal et le Léman peuvent être considérés comme des points. C'est l'échelle de la zonalité, de l'influence de la longitude sur le caractère océanique ou continental du climat, du cycle de l'eau, de la tectonique des plaques, de l'évolution des espèces vers l'endémisme, de l'évolution des techniques humaines. L'étude à cette échelle spatiale est menée en tenant particulièrement compte du rôle des différentes échelles de temps. L'influence des 100° de longitude séparant les deux lacs est énorme sur l'hydrologie du Baïkal et du Léman, faisant du premier un lac dimictique, donc remarquablement oxygéné sur toute sa tranche, pourtant très épaisse, et recouvert par une épaisse banquise chaque année pendant cinq mois, et du second un lac monomictique chaud, voire, près d'une année sur deux, méromictique, provoquant ainsi un déficit en oxygène dans les couches profondes, accentué par les conséquences de l'eutrophisation. La cuvette lacustre du Baïkal est un grand volume structural et une forme géomorphologique durable, à l'échelle de la dizaine de millions d'années. C'est un rift dont l'ouverture serait liée à la collision des plaques lithosphériques indienne et eurasiatique. La cuvette lacustre lémanique est au contraire une forme de détail du modelé et une forme éphémère, à l'échelle de la dizaine de milliers d'années. C'est un héritage morphoclimatique de la dernière glaciation, en train d'être comblé. La très longue évolution isolée du Baïkal a permis le développement de plus d'un millier d'espèces végétales et animales endémiques, comme la nerpa, l'omul' ou la golomjanka. Puis le Baïkal a vu arriver l'Homme, exploitant depuis peu ce lac vierge. C'est au contraire l'Homme qui a vu arriver le Léman, participant dès l'origine à ses caractères biogéographiques. La plupart des rouages de la machine lacustre fonctionnent en étant alimentés par les apports du bassin versant en eau et en sédiments. Les variations des bilans hydrologiques et des volumes des deux lacs sont étudiés à plusieurs échelles de temps. L'étude à l'échelle du bassin d'alimentation permet en outre d'intégrer le rôle de l'Homme, dont l'influence sur l'activité du lac est croissante. L'eutrophisation et la pollution du lac proviennent des rejets anthropiques dans le bassin versant. Le Baïkal est de ce point de vue un lac en sursis, que la fermeture, depuis si longtemps annoncée et reportée, du combinat de papier et cellulose guérirait définitivement. Le Léman est un lac au littoral construit, en convalescence depuis l'interdiction par la Suisse de l'utilisation des lessives à phosphates. Le lac agit en retour, de manière beaucoup plus réduite, sur une petite portion du continent. Nous essayons de délimiter une sorte de bassin de réception à cette influence. Elle concerne le microclimat lacustre, les héritages morphoclimatiques, comme les terrasses lacustres, la biogéographie de la partie aval des affluents du lac. L'étude à l'échelle régionale permet de conclure sur l'objectif de cette thèse, la tentative de cerner l'individualité géographique de chaque lac. Elle ne se contente pas de servir de toutes les données précédentes pour les appliquer à l'étude locale des paysages lacustres. Elle cherche à approfondir la réflexion sur la problématique du Baïkal et celle du Léman. La personnalité de chaque région lacustre doit en effet être déterminée par celle du lac tout entier. Le découpage régional est chargé de valider le critère qui avait été choisi dans le livre II pour définir une problématique lacustre. L'idée directrice du rapport, favorable à la grandeur et à la durée du Baïkal, entre la vitesse de la formation de la cuvette et celle de son remplissage sédimentaire conduit à distinguer cinq régions : le bassin septentrional, le seuil tectonique, le bassin central, le seuil sédimentaire et le bassin méridional, qui répondent de façon différenciée à ce critère (fig. 67). L'idée directrice de la soumission, légèrement nuancée par quelques velléités d'indépendance, du Léman au continent aboutit à un découpage régional du lac en trois régions, le Léman du grand affluent, le Rhône valaisan, le Léman des affluents moyens et le Léman de l'effluent, le Rhône genevois (fig. 74).
Beninese rice production has a major challenge: produce quality rice in sufficient quantity to meet national needs and thus reduce the quantity of imported rice. There are two weaknesses in achieving these objectives: low productivity and low quality of finished products. Both of these weaknesses are closely linked to the use of quality seeds. Seed is a productivity factor that alone could contribute to 40% of yield improvements (FAO 2008). Seed carries the genetic potential of the variety and largely determines the effectiveness of other inputs and production conditions. Therefore, the seed is one of the essential factors for any plant production system. Other factors such as: adaptation of the variety to the production ecosystem, respect of the production schedule, quality of inputs, production conditions, etc. also largely influence production results. After more than fifty years of extension of certified seed, 'the adoption rate of these seeds remained generally low in Benin, with only 22%' (Kinkingninhoun-Medagbe, 2013). Benin has a significant potential in terms of natural resources that can enable it to ensure its self-sufficiency in rice. Benin's rice production has experienced a significant quantitative increase over the last two decades, from 13 686 tonnes of paddy in 1994 to 281 428 tonnes in 2016 (FAOSTAT, 2018) This significant increase in rice production by more than 20 times in 22 years, is largely due to an increase in cultivated area (8 736 ha to 82 351 ha). The devaluation of the CFA franc in 1994 and the 2008 food crisis were the triggers. Average yields have also increased, but to a lesser extent. They rose from 1.7 t/ha in 1994 to 3.4 t/ha in 2016. This level of yield, however, remains below the world average, which now exceeds 4.6 t/ha but above the average of West Africa which is at 2.09 t/h in 2016, Senegal at 3.9 t/ha and Mali at 3.3 t/ha (FAOSTAT, 2018). There is still room for improvement. The varietal mixture that is observed from the production fields is the main problem that arises through the accessibility of small producers (less than 1 ha) to quality seeds. «96% of rice farmers in Benin have areas of less than one hectare» (Allodehou et al., 2013). This thesis carried out an integrated analysis of seed issues in the value chains of finished products. The general objective of this thesis is to analyze the dynamics within the existing seed systems and to identify improvement options that will facilitate access to quality seeds by small producers. More specifically, this thesis has: i- carried out an analytical inventory of the rice sector of Benin; ii make a thorough diagnosis of the formal seed system of rice; iii- identified seed production and distribution mechanisms in the informal system and the reasons for their persistence; iv- proposed an integrated model for improving the efficiency of the rice seed system in Benin. This research was conducted using a participatory and transdisciplinary approach. It also used a systemic approach based on a holistic analysis approach. Data collection took place in several phases and according to the main objectives of the research. It began with the document overview phase which continued throughout the hall research. An exploratory study of the whole rice sector led us to a diagnosis of the main difficulties or constraints to the development of the different value chains of local rice in Benin. This exploratory study was carried out in 2013 in all the rice-growing basins in Benin. It shows that seed quality (germination rate, varietal purity, adaptation to ecological conditions, drought, disease and yield) is mentioned by producers as one of the main factors of productivity. Processors also identified mixed paddy, including several varieties, as a factor in low milling yield (high break rate). The traders judge the quality of the hulled grain through a visual observation, based on the homogeneity and coloring of the grains, which according to them is largely determined by varietal purity. The varietal mixture gives a bad result in cooking and an unpleasant taste to consumers. Thus, the quality of rice seed affects the entire local rice sector. The participatory diagnosis was conducted in 15 communes distributed in the various rice-growing areas in Benin with the aim of better understanding the functioning of local rice value chains. The results of these investigations show that the measures that have been taken by the government, including the subsidy on seeds, fertilizers and the development of production perimeters, in response to the 2008 food crisis, have boosted paddy production. (73,000 tons in 2008 to 220,000 tons in 2012) and the development of local rice value chains. Several local rice labels have thus emerged. Since 2014, government measures aiming production increase have run out of steam and production is stagnating again. The in-depth studies focused on the operational modes of the seed systems in force and also on specific themes with well-targeted groups of actors in the three departments where research focused on Collines, Zou and Couffo departments. It is the government structures that dominate the formal seed system (SSF) in Benin. Private companies are struggling to establish themselves and prosper in a policy-interventionist environment that subsidizes seeds and creates non-competitive conditions. However, financial analyzes have shown that seed production is twice as profitable as paddy production in lowland and irrigated rice systems, and three times as much in the rainfall system. Seed producers are generally responsible for rice producers organizations. The low use of quality seed continues to find its reasons under conditions of low accessibility. The costs of disposal, the physical availability of seeds, the delay and flow of information on new varieties are often the factors involved. The formal seed system does not adequately meet the expectations of small-scale rice producers in Benin, whereas small-scale producers account for the bulk of domestic production. The modes and conditions of access to informal seeds are more varied (donation, exchanges, loans, purchases) and more adapted to the situations of smallholders. The quality of the peasant varieties meets local social and cultural norms, on the understanding that production is often used for self-consumption. The type of seed used in rice production should, in fact, be determined by the objectives pursued by the consumer rice producer and hence according to the requirements of the target market. The point is that the seed sector does not function as a real value chain serving the key players, the paddy producers and processors, as well as consumers or end users of grain. The development of the contract farming of rice production by rice mills is a condition that evolves towards a seed system integrated into value chains. The integration of seed systems into value chains is the approach that improves the use of quality seed by small producers. The proposed seed model is based on the strengths of the informal seed system, which is supported by a dynamic action-research service that regularly feeds good quality genetic material. This material will be reused for a few years (2 to 3) according to the rules of informal systems before being renewed. ; La riziculture béninoise a un défi majeur : produire du riz de qualité en quantité suffisante pour couvrir les besoins nationaux et réduire ainsi les importations. Deux faiblesses s'opposent à l'atteinte de ces objectifs : la faible productivité et la faible qualité des produits finis. Ces deux faiblesses ont un lien étroit avec l'utilisation des semences de qualité. La semence constitue un facteur de productivité qui à lui seul pourrait contribuer à 40% des améliorations des rendements (FAO, 2008). La semence porte le potentiel génétique de la variété et détermine en grande partie l'efficacité des autres intrants et conditions de production. Par conséquent, la graine est un des facteurs essentiels pour tout système de production végétale. D'autres facteurs comme l'adaptation de la variété à l'écosystème de production, le respect du calendrier de production, la qualité des intrants, les conditions de production, etc. influencent aussi largement les résultats de la production. Après plus de cinquante années de vulgarisation des semences certifiées, « le taux d'adoption de ces semences est resté en général très faible en Afrique, avec seulement 22% au Bénin » (Kinkingninhoun- Medagbe, 2013). Le Bénin dispose d'un potentiel non négligeable en ressources naturelles pouvant lui permettre d'assurer son autosuffisance en riz. La production rizicole béninoise connaît depuis ces vingt dernières années une progression quantitative sensible passant de 13 686 tonnes de paddy en 1994 à 281 428 tonnes en 2016 (FAOSTAT, 2018) Cette importante augmentation de la production rizicole de plus de 20 fois en vingt-deux ans, s'est faite en grande partie grâce à une augmentation des superficies (8 736ha à 82 351 ha). La dévaluation du franc CFA en 1994 et la crise alimentaire de 2008 ont été les déclics. Les rendements moyens ont aussi progressé mais dans une moindre mesure. Ils sont passés de 1,7 t/ha en 1994 à 3,4 t/ha en 2016. Ce niveau de rendement reste cependant inférieur à la moyenne mondiale qui dépasse aujourd'hui 4,6 t/ha mais supérieur à la moyenne de l'Afrique de l'Ouest qui est à 2,09t/h en 2016, Sénégal 3,9 t/ha et Mali 3,3 t/ha (FAOSTAT, 2018). Une réelle marge de progression existe encore. Le mélange variétal qui s'observe depuis les champs de production est la problématique principale qui se pose à travers l'accessibilité des petits producteurs (moins d'1ha) aux semences de qualité. «96% des riziculteurs du Bénin ont des emblavures de moins d'un hectare » (Allodehou et al., 2013). Cette thèse a réalisé une analyse intégrée des questions semencières dans les chaînes de valeur des produits finis. L'objectif général de cette thèse est d'analyser les dynamiques au sein des systèmes semenciers existants et d'identifier des options d'amélioration pour faciliter l'accès des petits producteurs aux semences de qualité. Plus spécifiquement, cette thèse a : i- réalisé un état des lieux analytique de la filière rizicole du Bénin ; ii- fait un diagnostic approfondi du système semencier formel du riz ; iii- identifié les mécanismes de production et de distribution des semences dans le système informel et les raisons de leur persistance et ; iv- proposé un modèle intégré pour une amélioration de l'efficacité du système semencier du riz au Bénin. Cette recherche a été conduite suivant une approche participative et transdisciplinaire. Elle a suivi une démarche systémique fondée sur une approche d'analyse holistique. La collecte des données s'est déroulée en plusieurs phases et suivant les principaux objectifs de la recherche. Elle a commencé par la phase de revue documentaire qui s'est poursuivi tout au long de cette recherche. Une étude exploratoire de toute la filière rizicole nous a conduit à un diagnostic des principales difficultés ou contraintes au développement des différentes chaînes de valeur du riz local au Bénin. Cette étude exploratoire a été menée en 2013 dans tous les bassins rizicoles au Bénin. Il en ressort que la qualité des semences (taux de germination, pureté variétale, adaptation aux conditions écologiques, sécheresse, maladies et rendement) est évoquée par les producteurs comme un des principaux facteurs de productivité. Les transformateurs ont aussi identifié le paddy mélangé, comprenant plusieurs variétés, comme facteur de faible rendement à l'usinage (taux de brisure élevé). Les commerçants, jugent la qualité du grain décortiqué à travers une observation visuelle, basée sur l'homogénéité et la coloration des grains, qui selon eux est en grande partie déterminée par la pureté variétale. Le mélange variétal donne un mauvais résultat à la cuisson et un goût désagréable aux consommateurs. Ainsi, la qualité des semences de riz influe sur tout le secteur de la riziculture locale. Le diagnostic participatif a été conduit dans 15 communes réparties dans les divers bassins rizicoles au Bénin dans le but de mieux appréhender le fonctionnement des chaînes de valeur du riz local. Les résultats de ces investigations montrent que les mesures qui ont été prises par le gouvernement, notamment la subvention sur les semences, les engrais et l'aménagement de périmètres de production, en réponse à la crise alimentaire de 2008, ont stimulé la production du paddy (73.000 Tonnes en 2008 à 220.000 Tonnes en 2012) et le développement des chaînes de valeur du riz local. Plusieurs labels de riz local ont ainsi vu le jour. Depuis 2014, les mesures gouvernementales destinées à booster la production se sont essoufflées et la production stagne à nouveau. Les études approfondies ont porté sur les modes opérationnels des systèmes semenciers en vigueur et aussi sur des thématiques spécifiques avec des groupes d'acteurs bien ciblés dans les trois départements où la recherche s'est focalisée à savoir les Collines, le Zou et le Couffo. Ce sont les structures étatiques qui dominent le système semencier formel (SSF) au Bénin. Les entreprises privées ont du mal à s'établir et à prospérer durablement dans un environnement de politique interventionniste qui subventionne les semences et qui crée de ce fait des conditions non-compétitives. Cependant, les analyses financières ont révélé que la production de semences est deux fois plus rentable que la production du paddy dans les systèmes de riz de bas-fond et de riz irrigué, et l'est trois fois plus dans le système pluvial. Les producteurs semenciers sont généralement des responsables des organisations de producteurs du riz. La faible utilisation des semences de qualité, continue de trouver ses raisons dans les conditions de faible accessibilité. Les coûts de cession, la disponibilité physique des semences, le délai et la circulation des informations sur les nouvelles variétés sont les facteurs souvent mis en cause. Le système semencier formel ne répond pas convenablement aux attentes des petits producteurs de riz du Bénin, alors que ce sont les petits producteurs qui assurent l'essentiel de la production nationale. Les modes et conditions d'accès aux semences informelles sont plus variés (don, échanges, emprunts, achats) et plus adaptés aux situations des petits producteurs de riz. La qualité des variétés paysannes obéit à des normes sociales et culturelles locales étant entendu que la production sert souvent à l'autoconsommation. Le type de semences utilisé dans la production rizicole devrait, en effet, être déterminé par les objectifs poursuivis par le producteur de riz de consommation, et donc selon les exigences du marché visé. Le constat est que le secteur semencier ne fonctionne pas comme une véritable chaîne de valeur au service des acteurs clés, c'est-à-dire les producteurs et transformateurs de paddy, ainsi que les consommateurs ou utilisateurs finaux des grains. Le développement de la contractualisation de la production du riz par les rizeries est une condition qui fait évoluer vers un système semencier intégré aux chaînes de valeur. L'intégration des systèmes semenciers aux chaînes de valeur est l'approche qui améliora l'utilisation des semences de qualité par les petits producteurs. Le modèle semencier proposé se fonde sur les points forts du système semencier informel qui reçoivent l'appui d'un service recherche-action dynamique qui réinjecte régulièrement du matériel génétique de bonne qualité. Ce matériel sera réutilisé pendant quelques années (2à3) suivant les règles des systèmes informels avant de se faire renouveler.
Minority and community are concepts that have dominated the analysis of Christians in the Arab world, leading to a perception of Middle-Eastern societies as confessional or sectarian mosaics. This paradigm posits that religious and political identities and dynamics are closely intertwined in countries where the dominant culture is Islam, and that religious and ethnic groups live side by side, maintaining limited interactions while their immutable identities offer a strong potential for conflict. This work questions the paradigm of the mosaic by focusing on identity formation and interaction across religious boundaries over a period that extends from the later decades of Ottoman rule in Transjordan (1870) to present Jordan (1997). It asks whether confessionnal identities are by nature conflictual and if the 'minority' concept is the only relevant one to evaluate the degree of social, political and economic participation of non-Moslems in countries where Islam is the dominant culture. The approach is inductive and historical but mobilises concepts from the disciplines of social and political anthropology and political sociology. The dissertation comprises of 10 chapters set chronologically and covering the period 1870 to 1997. Taking a historical approach, it focuses on the modalities of exchanges, transactions, cooperation and communication (looking at kinship, mariage patterns, the role of women, economic cooperation, and various aspects of local and national politics) between Christians and Moslems and between several Christian denominations in Jordan (Orthodox and Roman Catholic, or Latin, in particular), more particularly in the town of Madaba however set within a broader national and international context. These broader contexts (that encompass the politics of states and of transnational Church actors over time) allow to bridge between the local and other levels to document how institutions regulate identity formation and cross-communal interactions. Over a century, Madaba provides the background, widely open to the rest of the country and the world, of a social, religious and political history of Arab Christian families. The work combines historical and anthropological approches and sources (in particular so far unexploited parish and Vatican archives, together with other archival sources). It questions the nature and the maintenance of the social and political link between Christians and Moslems in Madaba and in Jordan, and the changes that have affected identity boundaries between groups: both as Christians and Moslems, but equally as members of different Christian denominations, particularly in the context of missionary activities. The thesis defended here is that it is time to 'break the mosaic' so as to cast light from the inside on the societies and polities within which Christians in the Arab world are inserted. The title of the dissertation refers both to this paradigm and to the Byzantine mosaics that have made Madaba famous as an archaeological site. In place of the static image of the mosaic, the dissertation offers successive episodes of a moving picture where political powers, Churches (missionary or not), those local families that transfer their assets to Amman, the Jordanian capital, and the national arena, negotiate the organisation of local social interactions. One important contribution of the dissertation is to document how the tribe, over more than a century, remains a central social form to express identities, regulate economic and political interactions, and manage conflict both between Christians and between Christians and Moslems. Communal identities, however central they have become since the inception of the modern state, do not appear to threaten the cohesion of the society and the polity, either at the local or national levels. The maintenance of tribal identities is dealt with throughout the dissertation as a dynamic process in which both successive states, regimes, social actors at the national and local levels play a part, in particular in the historical context of the arrival of the Palestinians in Jordan and in the town of Madaba. At another level, the dissertation deals extensively with the institutional relations between the Greek Orthodox and the Roman Catholic Churches and the Jordanian state, bringing a new insight into a previously under-studied domain. Finally, this work offers an argument about the relationships between state and society in contemporary Jordan by interrogating the changing nature of the social pact between the Hashemite regime and local constituencies, more specifically with non-Moslems but also with Transjordanians as opposed to Palestinians. This work is therefore not a mere monograph about Christians in the town of Madaba: looking at a 'marginal' and local phenomenon, it enlightens broader social, political and historical dynamics. ; En partant d'un phénomène observé 'à la marge' afin de mieux illustrer ce qui se passe au centre, ce travail aborde des questions fondamentales pour la compréhension des sociétés du Moyen-Orient en déconstruisant notamment la catégorie de 'minorité', en s'interrogeant sur la nature du lien social entre chrétiens et musulmans dans l'agglomération de Madaba et au-delà dans la Jordanie contemporaine et en analysant la construction des identités collectives sur plus d'un siècle (1870-1997). Sont proposés d'autres paradigmes que ceux des traditions orientaliste et développementaliste pour l'analyse des minorités en pays musulmans. Ces traditions postulent la primauté du facteur religieux dans la formation et l'expression des identités sociales et envisagent les sociétés arabes comme des 'mosaïques' formées de groupes ethnoconfessionnels homogènes, relativement hermétiques les uns aux autres et inscrits dans une hiérarchie de statuts. On s'est plutôt inspiré ici de l'approche sur les frontières et les interactions entre groupes ethniques proposée par F. Barth en lui adjoignant une certaine profondeur historique et en intégrant une analyse des rapports entre le pouvoir politique et les groupes sociaux. Il s'agit de poser les affiliation religieuses et confessionnelles comme des constructions sociales et historiques dont on peut étudier le développement, les méandres et les interactions avec d'autres types d'affiliation. S'inspirant de tous les travaux récents portant sur la construction des identités collectives, qu'il s'agisse de nations ou d'ethnies, l'approche choisie défend une conception plurielle et mouvante des identités décrites en termes de processus dynamiques et interactionnels en s'interrogeant sur les temporalités et les facteurs de continuité/changement et en montrant des continuité beaucoup plus longues que celles qui posent la période coloniale comme période charnière de fixation des identités collectives. En plus d'une méthodologie d'observation anthropologique du terrain et des acteurs, quatre types principaux de sources ont été exploités : la littérature des voyageurs occidentaux, les archives paroissiales et missionnaires (en particulier celles de la Propaganda Fide à Rome), les témoignages oraux, la littérature d'histoire locale produite à Madaba. On a adopté un plan chronologique découpé en trois périodes principales. A l'intérieur de chaque partie, l'analyse thématique a été privilégiée en suivant, dans l'agglomération de Madaba depuis sa fondation en 1880, les alliances matrimoniales, politiques et économiques entre chrétiens et musulmans et entre groupes de différents rites chrétiens (essentiellement orthodoxes et latins) afin de déterminer où passent les frontières de l'identité et comment elles changent. Une variété d'acteurs institutionnels et individuels, dont certains apparaissent à un moment historique donné, influent sur la forme de ces frontières : les administrations des États qui se succèdent et leur personnel, les hiérarchies ecclésiastiques, les prêtres, les Grandes Puissances occidentales et leurs représentants locaux, les intellectuels de formation moderne, les partis politiques, les notables traditionnels et modernes, les organisations de la société civile, les émigrés et les immigrés, les tribus et leurs membres. Centré sur l'agglomération de Kérak, dont sont issus les chrétiens qui fondent Madaba en 1880, le prologue fait apparaître que, dans la Syrie du Sud (Transjordanie) du milieu du XIXe siècle, les institutions ecclésiastiques (grecques orthodoxes) et impériales (ottomanes) n'ont que très peu d'influence sur ce territoire situé à l'extrême périphérie de l'empire. Minoritaires sur le plan démographique et dispersés sur le territoire, les chrétiens ne sont pas marginalisés du fait de leur appartenance religieuse car l'ordre tribal des relations sociales assure différents niveaux d'intégration sociale et de coopération politique et économique entre lignages chrétiens et musulmans en fonction d'autres critères que ceux de l'appartenance religieuse. Les chrétiens sont fragmentés en plusieurs clans et tribus sans que l'on puisse repérer de cohésion confessionnelle. Sur le plan de la pratique religieuse, c'est une forme de syncrétisme qui prévaut. L'impossibilité des échanges matrimoniaux entre chrétiens et musulmans n'est pas nécessairement perçue comme témoignant d'un frontière religieuse infranchissable mais s'inscrit dans le contexte plus vaste des règles qui régissent les alliances matrimoniales entre tribus. L'appartenance religieuse est avant tout un marqueur d'identité tribale. La première partie analyse comment l'ordre communautaire religieux apparaît dans les dernières décennies du XIXe siècle, sous l'action conjuguée des organisations missionnaires (protestantes et catholiques) et de l'administration alors que les Ottomans entreprennent de rétablir leur autorité sur la Syrie du Sud. Autour de la fondation du village de Madaba par des lignages chrétiens immigrés de Kérak sous l'impulsion des missionnaires latins, on montre comment de nouveaux acteurs religieux et civils entreprennent d'imposer un ordre communautaire des relations sociales à travers l'éducation missionnaire, le marquage d'espaces chrétiens, le contrôle des alliances matrimoniales, de nouvelles pratiques cultuelles, l'accès aux instances de représentation administratives et juridiques ottomanes. Les modalités d'insertion des tribus chrétiennes qui fondent Madaba dans leur environnement permettent de mettre en lumière les résistances à l'ordre communautaire par l'établissement de partenariats économiques et d'alliances politiques avec les tribus musulmanes du lieu selon des logiques lignagères persistantes où les acteurs instrumentalisent à leur profit les nouvelles ressources communautaires fournies par les Églises ou les consulats européens. Au cours du XXe siècle, la Transjordanie, d'abord sous mandat britannique, accède à l'indépendance. Malgré ce changement politique, le régime monarchique se perpétue sans que les modalités d'insertion sociale des chrétiens ne soient bouleversées au niveau du pays dans son ensemble ou au sein de l'agglomération de Madaba. La deuxième partie se penche alors sur la manière dont l'État hachémite et les Églises majoritaires (grecque orthodoxe et romaine catholique) négocient les frontières des espaces communautaires à travers la législation sur les communautés confessionnelles et leurs prérogatives religieuses, éducatives et caritatives. Le traitement différencié accordé par l'État aux différentes Église en présence ainsi que des relations diverses entre les hiérarchies ecclésiastiques et les laïcs des communautés sont deux dimensions qui contribuent à empêcher la cohésion des chrétiens pris comme un ensemble. Le statut politique des chrétiens est ensuite étudié non en isolation mais en parallèle avec celui d'autres groupes sociaux, Circassiens, bédouins, réfugiés palestiniens, familles musulmanes transjordaniennes du nord et du sud, etc. afin de poser question quant à la réalité d'un statut minoritaire et à l'existence d'une majorité politique dans le royaume hachémite. Il ressort que le régime octroie aux communautés chrétiennes et aux familles chrétiennes de notables (anciens ou modernes) un espace privilégié d'expression et de représentation qui leur permet d'occuper une place centrale, et non marginale, dans la société. Dans le même temps, il est difficile d'identifier une norme identitaire autre qu'hachémite et il apparaît qu'une des modalités d'exercice du pouvoir monarchique repose sur la cooptation d'individus et de familles appartenant à tous les groupes de la société. Dans un second temps, recentrer l'analyse sur l'agglomération de Madaba permet d'observer comment les acteurs locaux relaient les efforts de l'État qui visent à maintenir une fragmentation sociale selon des clivages communautaires et lignagers afin de résister à la formation d'identités politiques transversales qui mettraient en danger sa stabilité. La modernité politique et économique n'en engendre pas moins un système de relations multiples entre chrétiens et musulmans que l'on peut repérer à travers les alliances politiques lors d'épisodes électoraux, dans les mouvements associatifs, dans les partenariats économiques, dans les partis politiques ou lors d'épisodes de conflit aigus tels celui de Septembre noir. En parallèle, les logiques tribales continuent à ordonner conflit et coopération entre groupes de religions différentes qui se définissent d'abord selon leur affiliation lignagère. C'est le cas, en particulier, dans les domaines de l'économie agricole et pastorale traditionnelle, dans les épisodes de règlement de conflits de sang ou d'honneur où prévaut encore le droit coutumier, parfois à l'encontre des prescription du droit musulman. La fragmentation des chrétiens en groupes lignagers est ainsi préservée sans que ne s'effectue une communautarisation incluant une dimension politique. De même, les valeurs qui permettent aux chrétiens de participer pleinement à l'échange social, telles l'honneur individuel ou collectif, le prestige familial, la limitation de l'autonomie des femmes, ne sont pas menacées par l'imposition de normes islamiques. A partir des années 1970, la polarisation de la population du royaume hachémite entre Jordaniens 'de souche' et Jordaniens 'd'origine palestinienne' amène un processus de différenciation identitaire dans lequel l'organisation tribale en vient à symboliser l'identité jordanienne. Dans le même temps, les islamistes deviennent la principale force d'opposition que le régime tente d'endiguer en réaffirmant son propre caractère musulman et en islamisant de nouveaux espaces de la vie publique. Ces changements de paradigmes de la société politique jordanienne touchent Madaba, ville mixte où cohabitent Jordaniens des tribus et Palestiniens réfugiés, chrétiens et musulmans. De plus, les équilibres démographiques et politiques de la ville penchent de plus en plus en faveur des musulmans. Les chrétiens, autrefois majoritaires, entreprennent alors de défendre leur position de prééminence dans la ville. Les stratégies qu'ils mettent en place pour combattre une double logique de minorisation (en tant que chrétiens et Jordaniens 'de souche') font l'objet de la dernière partie de ce travail. On montre tout d'abord comment les chrétiens résistent sur le terrain à un recul de la neutralité religieuse de l'espace public et à leur mise en minorité démographique et politique (conseil municipal) dans l'agglomération et comment ils se redéploient dans l'espace urbain, créent des réseaux de soutien financier avec les immigrés, amorcent un rapprochement entre Églises, compensent dans le champ politique national la perte de leur hégémonie locale. Dans un second temps, on se penche sur la littérature d'histoire locale que produisent les chrétiens de Madaba afin d'analyser comment ces derniers, en reformulant leur histoire ancienne et récente, se construisent à la fois des identités confessionnelles, ethniques et lignagères et comment elles sont rendues compatibles afin de lutter contre une marginalisation symbolique. Le dernier chapitre se penche sur les élections législatives de 1997 afin d'illustrer la manière dont les chrétiens utilisent leurs imaginaires identitaires comme vecteurs de mobilisation politique à l'occasion des élections législatives, nouvelle arène de compétition depuis la libéralisation de la vie politique intervenue en 1989. Malgré l'existence d'un siège chrétien réservé pour la circonscription de Madaba, ce n'est pas la mobilisation communautaire qui apparaît comme efficace mais bien plutôt le discours des solidarités tribales, éventuellement (mais non nécessairement) en conjonction avec l'appartenance partisane ou confessionnelle. On peut alors avancer que les chrétiens participent pleinement aux dynamiques de la société dans son ensemble. Tout au long de la période étudiée, la parenté joue un rôle central comme vecteur essentiel de l'identification des groupes, que ceux ci soient dans un espace rural ou urbain. Les chrétiens de Madaba mobilisent les mêmes ressources symboliques que les autres groupes avec lesquels ils sont en contact. Comme l'ensemble de la société, les chrétiens participent à une multitude d'échanges et d'interactions et se positionnent en fonction de ces interactions. Au-delà de l'étude de cas qui s'ancre dans une ville moyenne de la Jordanie centrale, ce travail s'interroge en conclusion sur le système politique jordanien et sur les modes de légitimation de sa monarchie. Les analyses en termes de construction nationale sont critiquées, le terme de 'minorité' est mis en question tout comme le présupposé classique d'une imbrication nécessairement étroite du religieux et du politique dans les pays dits, ou qui se disent, musulmans.
.The subject of my thesis has as its starting point a didactic aim: that of the qualitative improvement of the teaching/learning of French to/from an audience of Reunionese children. In pursuit of this goal, I have set myself the goal of developing a benchmark for assessing the morphosyntactic skills of children in Reunion Island's large kindergarten section. Enriched in particular by recent research related to the theme of the contact of languages in Creolo-French-speaking lands, my work as a didactician has tried to reconcile, or at least to confront, a sociolinguistic variationist posture with that, classically more structuralist, of a grammarian "standard-setter" in a school setting. I thus deal, from a theoretical and pragmatic point of view, with the problem of a binarized grammatical evaluation, in a diglostic context of close language contacts, where interlectal practices are legion. By considering, from a holistic perspective, questions relating to the development of reference standards and the collection of oral data from small non-reading schoolchildren, my research is actually at the crossroads of sociolinguistics, language didactics, educational sciences but also psycholinguistics and descriptive linguistics. The report of my work is divided into four parts. PART 1: Following a general introduction, the first part of my typed text shows the need for an assessment of the linguistic skills of Réunionese pupils at the end of nursery school. It also describes the general objectives, postures and intentions underlying this evaluation. The gap between the language of the school and the language of the home is considered on Reunion Island as an aggravating factor in the educational difficulties encountered by many Reunionese pupils from the very beginning of their schooling. It would seem that to become good readers, many of them do not have sufficient skills as speakers of the French language. Among the remediation proposals proposed so far by researchers who have dealt with the subject, it is often recommended that the skills acquired by students in Creole, considered their L1, be used as a basis from kindergarten onwards to compose a strategy for teaching French as a second language. Recently, the educational policies officially posted for the Academy also suggest, in a more or less vague way, the need to take into account Creole. In this perspective, which is certainly commendable if one refers to the work of didacticians and psycholinguists on strong forms of teaching in a bilingual context (e.g. Baker, Hamers and Blanc, Cummins), two central questions nevertheless appear which should therefore be raised, but which until now have hardly been asked: -What is the quality of Creole spoken by "Creole" children today? Do the little schoolchildren from Reunion, and especially those who encounter difficulties in French, really master Creole? The analysis of recent sociolinguistic works relating to language contacts and the expansion of the use of interlecte in the Reunionese community (Prudent, Ledegen, Watin, Souprayen-Cavery, Rapanoël.).), taking into account the remarks of local primary school teachers on the shortcomings of young pupils not only in French but also in Creole, and the results of surveys declaring an increase in the "transmission" of French by Reunionese mothers, led me to think that doubt on this subject is permitted or at least that the assumption "Creole L1" is to be qualified. In order to better situate the purpose and goal of my work, I therefore began by demonstrating that the situation in terms of language practices is complex and, consequently, that the didactic orientations would become more sensitive and anchored in the local situation if they were based on concrete points of reference concerning the actual degree of mastery of the two codes in question by the students. How, in fact, can we claim to be able to exploit the knowledge acquired in one language (a priori L1-créole) in order to better appropriate the other (a priori L2-français), without having taken full measure of the degree of mastery of the two languages involved? While work has begun on the communicative skills of kindergarten students (Fioux and Marimoutou), my research on local "assessments" conducted so far reveals that researchers have no relatively detailed assessment of the current language skills of Reunionese children, on the one hand in French, before the transition to written French, after three years of schooling explicitly focused on acquiring the basics of oral French, and on the other hand in Creole. Equally disconcerting, given the educational challenges, it appears that there are also no assessment tools designed for the local situation, and therefore adapted for the collection and analysis of these oral language skills among young children, whereas we are in a former French colony with a sociolinguistic situation rooted in diglossia. On what basis can we then rely to affirm that the Reunionese students of today, who are referred to en masse as "Creolophones", possess solid language skills in Creole and gaps in French when they engage in the systematic process of learning to read? It is on the basis of these questions and observations that I draft a first constituency of the objective of my work. It is a question of asking the prolegomena of an assessment assessment, linguistic, comparative, in Creole and French, whose methodological foundations would be explained, argued, but also contextualized and updated for a public of learners at the end of a large nursery section in Reunion. The aim is to provide teachers of languages working for and with small schoolchildren in Reunion with a tool that is sufficiently detailed to enrich reflection on French teaching/learning strategies, "possibly" based on the knowledge of these pupils in Creole. Although the delimitations I am proposing to establish are an integral part of the evaluation process, they are upstream of the act of evaluation. More specifically, it is a question of building an operational evaluation frame of reference presenting evaluation criteria, reference standards and pre-tested tests with a sample of children of large section, in French and Creole. Once this purpose has been clarified, I set the initial parameters of this evaluation process. Understanding it above all as "a reflection on relationships to values", I then position myself, after an epistemological approach to this not insignificant act, in favour of an evaluation that makes sense. Following in particular Hadji, Lecointe, Bonniol and Vial or Ardoino and Berger on their questioning of the technicality of docimology in search of an illusory objectivity, I undertake, like them, to shift the priority of the correctness of the results towards the logic and transparency of an objectivized process, leading to a relevant result that can be understood, located, relativized according to a transparent reading grid and the intentions underlying it. To do this, I then borrow from the educational sciences, and in particular G. Figari, the concept of referentialization, with its triple status, operational, methodological and scientific. If they were originally designed to carry out evaluations of systems (schools, training systems, curricula, etc.), I show that the general principles of referentialisation are in fact entirely transposable to the study I am conducting. Having this common thread, my referentialization begins, in a first step, with a work of reflexivity, to try to explain and situate my own posture as an evaluation designer, which engages me in an ethical responsibility. It is above all a question of taking a step back from the power held and to which I am subjected in this work of gathering and using information of social value. I therefore strive to pose and understand the social and individual issues related to this act, but also, in reference to the subjectivity inherent in any research in the humanities (de Robillard), to self-position myself in relation to my own representations and inclinations regarding the choice of a referentialization activity. A second step arising from the first also allows me to clarify my intentions in this evaluation. After a review of the pathways available to me, I conclude that in relation to the objectives, they are closer to evaluation-appraisal than evaluation-measurement and lead me to favour a qualitative approach. PART 2: The second part of my thesis, which relates the exploratory phase of my referentialization, is entirely dedicated to the modelling stage of my evaluation object. First, I report on the theoretical investigations I conducted in order to define the object to be evaluated, namely the object language. The first step is to position myself in the debate on the (im)possibility(s) of delimiting boundaries between Creole and French, which opposes structuralists and variationists, and even variationists between them. To do this, I approach the history of the contact of the languages of Reunion, from the plantation society to the departmentalized society, and compare the concepts that served as filters to describe the contact of Creole/French languages (diglossia, continuum, interlecte, macrosystem). Finally, I come to find in de Robillard's arguments, in his broader reflection on the definition of a language, the bases that push me to adopt, for the precise needs of the evaluation I am aiming for, a solid conception of the language, leading me to see Creole and French from a binarized angle. For all that, I do not abandon the study of the phenomena of mixtures noted by the Reunionese teachers among their pupils and that some (didacticians and pedagogues) praise as an asset or, on the contrary, criticize as a handicap, or even associate with the manifestation of a "semi-linguism", compared to the speeches of monolinguals. If my inclination for sociolinguistics leads me to see mixtures as some kind of discursive mode in their linguistic repertoire and to refute a treatment of mixtures from the point of view of parasitages, the question I ask myself as a didactician seeking to improve the teaching/learning process of French is the following: in the end, how can evaluators be allowed to determine, independently of recognition of the linguistic and pragmatic ability of these young pupils to "juggle" with two codes to arrive at communicating, whether the mixtures made are indicative of a) tactics of "compensating" for gaps in one language and/or the other (the skills then being better in one language than the other or insufficient in both languages), or b) relatively good "mastery" of the two codes (the skills being good in one language as well as the other), which calls for different remediation and/or teaching methods? With this in mind, I have decided to draw up an inventory of research focused on the language and linguistic evaluation of "bilingual" people. I am particularly interested in the treatment of the problem of mixtures, from the most "closed" (cf. the works of Titone, Fioux, Genelot et al.), to the most "open" (cf. the works of Moore, Cavalli, Stubbe and Peña.). By weighing them against my objectives, it seems to me that, for my type of comparative assessment, requiring quite distinct target languages, the binarized approach that can answer my initial questions proves to be relevant. Continuing my theoretical investigations, I refine my research framework by determining what a good speaker of a language implies. By approaching the notions of competence vs performance, by reviewing the points of view of language didacticians (Canale and Swain, De Pietro, Cuq, Beacco, Springer, Castellotti,.), interactionists (Hymes, Vasseur), psycholinguists (Lentin, Florin, Gombert.), pedagogues (Boisseau), researchers specializing in language evaluation (Rondal, Comblain, Piérart, Muller.).), but also by taking into consideration the directives concerning the mastery of language (Ministry of National Education) and the recommendations concerning the appropriation of foreign languages (Council of Europe), I decide to focus my reference frame on the evaluation of morphosyntactic skills, and to privilege as well the collection of samples of induced language as of spontaneous language. My exploratory phase also includes field investigations. I begin by describing the places of investigation (located mainly among Benedictine pupils of large nursery section but also at Tampon and Pau), the sampling (choice of schools, classes, children) and the means I used (ethnological approach, filmed interactions, activities carried out, protocols followed). In addition to providing me with a better knowledge of the characteristics of these young witnesses, thanks in particular to a participant observation, and to testing the relevance of different supports, tasks, evaluation approaches and inter-electoral speech transcription systems, I show that this field work allows me to make several observations that corroborate the hypothesis I had formulated during my theoretical investigations. By crossing various salient factors that I was able to identify, such as language practices (which I label without hierarchy "bi-linguisme", "mix-linguisme", "dominance in Creole" and "dominance in French"), linguistic representations, attitudes towards the school norm and the ability to discriminate between the two linguistic codes, both by the witnesses and by myself in the role of evaluator, I was indeed able to measure, in parallel with promising results, the complexity and the limits of a binarized evaluation in terms of data collection and analysis, particularly when the evaluator is faced with certain language profiles of children in this context of close language contact. Indeed, if a binary apprehension, deliberately and "classically" smoothed for teaching purposes seems appropriate for assessing and comparing the quality of children's skills in Creole and French, the local context of contact of close languages, marked by diglossic representations and far from being limited to well delimited and delimitable binary practices, leads me to think that a reference of this type is likely to have a limited scope. It is a hypothesis that it will then be up to me to verify in the continuation of my work. PART 3: Informed by a better knowledge of the potential, limits and concrete constraints of a binarised approach, the next stage of my referentialisation begins with the choice of criteria and indicators that will make it possible to evaluate young children who are not readers, orally, in French and Creole. This is the subject of the third part of my typewriting. Before getting to the heart of the matter, I begin with an indispensable preamble, it seems to me, on the balance of power at stake in normative activity (between prescription and description, priorities, relativity and arbitrariness, legitimacy(ies).). On this sensitive subject, subject to strong polemics, as well in the scientific community in general as among speakers evolving in the Reunionese community, I present in a double posture of sociolinguist and didactician, my own positioning in relation to the notion of "norm(s)". In order for my approach to be better understood and because I consider it essential to step back from a concept that often marginalizes those who use it (outside practitioners), I explicitly state the relative, constructed and yet necessary character, in my case, of the standard for this frame of reference. I also explain my legitimacy as a designer of normative references from a variationist point of view, within the theoretical framework chosen for this evaluation work. To construct the normative references of my tool, the methodological protocol that I decide to borrow is the following: 1. from already recorded descriptions of uses, - in Creole (then exist only scientific articles, grammars, dictionaries that describe only the norms of adult use (Staudacher, Watbled, Chaudenson, Ramassamy, Cellier.)), - and in French (including work on standard French (Riegel et al., Arrivé et al.)), Wagner and Pinchon.), spoken French (Gadet, Blanche-Benvéniste, Sauvageot.), regional French (Carayol, Ledegen, Béniamino and Baggioni), French spoken by children (Florin, Boisseau, Comblain.), 2. synthesize and compare these works, not only with each other but also with my own research and native speaker skills on the morphosyntactic items in question, 3.in order to be able to then proceed to a choice of criteria, whose relevance will be justified each time, for the language provoked and the spontaneous language, 4. to propose reference standards (indicators) making it possible to evaluate these criteria. For Creole, at this stage it is a question of provisional standards, 5. adjusting and updating the latter for an audience of young children, by analysing the spontaneous speech in Creole of Reunionese kindergarten children ("reference informants"), dominant in Creole or in two languages. A little more than three hundred pages of my typewriting report on the development and choice of these criteria and indicators. They quickly reveal a clear qualitative and quantitative imbalance between the state of knowledge in Creole and French. In a grammatical work, descriptive but also prescriptive, which must sort and complete, for Creole, existing descriptions certainly interesting but often contradictory, relieved of emerging varieties and completely incomplete as regards child forms, I approach the updating of the verbal theme (flexional system, analytical system, index i, truncation rules), personal pronouns, the valence of verbal themes, interrogative modality and negative modality. PART 4: The fourth and last part of my referentialization is first devoted to measuring the general parameters of designing assessment tasks and collecting data for and from children. Following a review of the literature on the subject (notably the work of Rondal, Moreau and Richelle, Khomsi, Florin, Brédart, Gombert, Marquillo.), I then put forward two considerations relating to relevance and validity criteria in an evaluation, when collecting data. They concern the types of activities generally proposed in language assessments (comprehension, production, detection and correction of statements), and the tasks making it possible to collect observable behaviours (with a focus on their scope, bias, supports and instructions). I close this review with my own remarks, criticisms and impressions on the experience of developing data collection tools that I was able to develop on the ground in Réunion. In a second step, I present and comment on the pilot tests I pre-tested with a hundred children of large section, during individual evaluation sessions, filmed and analyzed. This test bank is composed of 39 sheets classified according to whether it is a question of assessing competencies in Creole, competencies in French or "bilingual" competencies (translation, codic discrimination). These sheets present the evaluation tasks I have developed and pre-tested for feasibility, relevance and sensitivity. They detail, for each syntactic item evaluated, the criteria taken into consideration, the type of activity chosen, the expected performances, the supports of the test, the indications on its organisation, the instructions, but also the primer statements possibly provided for the evaluator, an analysis of examples of "correct" and "incorrect" answers collected from the pre-tested witnesses, and finally general comments on the test in question (difficulties, variants, precautions.). CONCLUSION: my typewriting ends with a general conclusion. First of all, it summarizes the different steps of my referencing as well as their results, and comes back on the improvements that could be made. It then presents the contributions of this research work, which also raises questions and allows proposals to be made. The contributions include in particular : -Theoretical but also field research with a hundred Reunionese children which allows the provision of an operational assessment tool, adapted to the characteristics of small Reunionese schoolchildren of large nursery section and proposing detailed tasks, tested and concrete normative benchmarks. These cards can be used as they stand, in the end as much by researchers in language didactics as by practitioners, who assess the oral grammatical skills of young children in Reunion Island. - In general, a methodological perspective concerning the collection and analysis of oral data from young non-reading schoolchildren in a diglostic context, and in a situation of contact with nearby languages. - An enrichment of the work of synchronic description of the peripheral French morphosyntax, but especially of the Creole of Reunion Island, in particular, a) by taking into account the intrasystemic and intersystemic variations (the current emerging forms due to the internal dynamics of Creole and to the contact with French, the childlike forms, the language of the young people), b) by the synthetic approach adopted (comparative analysis of work, elaboration of summary tables). But this work of referentialization also raises questions for research, on several points: On the didactic level : - This study showing the essential consideration of linguistic representations, language practices, pragmatic skills of students during the process of collecting oral data, what validity, what relevance can have smoothed evaluations, hermetic to the situation of contact of close languages and the specificities of children in Reunion, such as academic evaluations in French, duplications of a-contextualized metropolitan evaluations, designed for an already French-speaking monolingual public? What relevance do the proposals of didactic and explicit use, "as is", of Creole "L1" as a springboard to reach French L2, whereas the pre-tests carried out during my research already show a majority of witnesses presenting basic grammatical skills in French deficiencies, but also schoolchildren (even dominant Creolophones), encountering difficulties of expression, even comprehension, in Creole? Wouldn't most of the grammatical descriptions currently available hardly take into account the intra- and intersystemic variations of Creole, have repercussions on the scope of the didactic proposals for teaching French in partnership with Creole?In terms of research on language assessment: -The binary perspective chosen in this work, considered relevant for comparing language skills in Creole and French, has limitations and cannot, in particular, take into consideration, as it stands, all children's language profiles (for example, non-discriminatory mix-linguals). Beyond a Creole/French assessment, what alternative do we have to assess the language skills, especially morpho-syntactic, of these children whose (a)meshed speech and without a target "language" cannot be analysed in this framework? Should these "bilingual" skills be measured for themselves, without reference to Creole and French, as some researchers try to do relatively marginally in other linguistic contexts (e.g. Stubbe and Peña for American-Hispanic bilinguals in the United States)? But is what seems possible for "non collateral" languages possible for genetically and structurally related languages? Indeed, is a bilingual evaluation taking as a normative reference the morphosyntax of the entire Reunion macrosystem, thus a "fluid" language, where the evaluator does not have explicit/explicable reference standards a priori and therefore justified/justifiable, conceivable? Although it allows its pedagogical relevance to be seen, and meets the search for meaning criterion, how would it justify its objectivization when the evaluator only"feels" that it is being said and thus holds within himself "moving" rules, elusive as a native speaker of the interlecte? How can this unavoidable involvement, which derogates from the basis of any evaluation, be managed when normative references are internalized and a priori not externalisable?This research work finally makes it possible to make recommendations and proposals for areas of work concerning the teaching of French in partnership with Creole: - To endeavour to identify the conditions of awareness of codes by currently discriminating children (without school guidance), for the study of ways allowing schoolchildren, from the small section, to discriminate prototypical traits of Creole and French. - To take greater account of the heterogeneity of the language profiles of Réunionese children, who should not be considered as a linguistically homogeneous mass (even in schools in so-called disadvantaged neighbourhoods), and to continue the reflection on taking into account the Reunionese language macrosystem. – To complete the research on Creole currently spoken by the Reunionese population (children, youth, adults) and open these descriptions to all variations. - To make current the grammatical description books and to encourage the publication of scientific works (not purist), "accessible" to the public of students (future teachers) in training but also to that of teachers already in post. – To take more into account and change the negative representations of the local population (especially the parents of pupils) concerning the partnership (direct or indirect) with Creole. This subject being the object of strong tensions on the school ground, to study possibilities of alternative approaches (exploitation of the television medium, creation/exploitation of parallel educational structures as associations of the "ti lékol maron" type or leisure centres), privileging the mastery of language with a playful aspect, in a "calmed" context. ; Le sujet de ma thèse a pour point de départ une visée didactique : celle de l'amélioration qualitative de l'enseignement/apprentissage du français à/par un public d'enfants réunionnais. Dans la poursuite de cette finalité, je me suis fixé pour but l'élaboration d'un référentiel d'évaluation des compétences morphosyntaxiques d'enfants réunionnais en grande section de maternelle à La Réunion. Enrichi notamment des récentes recherches liées à la thématique du contact de langues en terres créolo-francophones, mon travail de didacticienne a tenté de concilier, ou du moins de confronter une posture de sociolinguiste variationniste à celle, classiquement plus structuraliste, de grammairienne « poseuse de normes » dans un cadre scolaire. Je traite ainsi, d'un point de vue théorique et pragmatique, la problématique d'une évaluation grammaticale binarisée, dans un contexte diglossique de contacts de langues proches, où les pratiques interlectales sont légion. En considérant, dans une perspective holistique, des questions relatives à l'élaboration de normes de référence et au recueil de données orales auprès de petits écoliers non lecteurs, ma recherche se trouve en réalité inscrite à la croisée de la sociolinguistique, de la didactique des langues, des sciences de l'éducation mais aussi de la psycholinguistique et de la linguistique descriptive.Le compte rendu de mon travail se scinde en quatre parties.PARTIE 1 : suite à une introduction générale, la première partie de mon tapuscrit montre la nécessité d'une évaluation bilan des compétences linguistiques des élèves réunionnais à la fin de l'école maternelle. Elle décrit également les objectifs généraux, les postures et les intentions qui sous-tendent cette évaluation.L'écart entre la langue de l'école et la langue de la maison est considéré à La Réunion comme un facteur aggravant des difficultés scolaires que rencontrent de nombreux élèves réunionnais dès les débuts de leur scolarisation. Il semblerait que pour devenir notamment de bons lecteurs, beaucoup d'entre eux ne disposent pas de compétences suffisantes en tant que locuteurs de la langue française. Parmi les propositions de remédiation proposées jusqu'à présent par les chercheurs ayant traité du sujet, il est souvent préconisé de prendre appui, dès la maternelle, sur les compétences acquises par les élèves en créole, considéré comme leur L1, pour composer une stratégie d'enseignement du français, qualifiée de langue seconde. Depuis peu, les politiques éducatives officiellement affichées pour l'Académie laissent entendre également à leur tour, de manière plus ou moins floue, la nécessité de prendre en compte le créole.Dans cette optique, certes louable si on se réfère à des travaux de didacticiens et de psycholinguistes sur les formes fortes d'enseignement en contexte bilingue (ex : Baker, Hamers et Blanc, Cummins), apparaissent cependant deux questions centrales qui devraient dès lors être soulevées, mais qui jusqu'à présent n'ont guère été posées : -Quelle est la qualité du créole parlé par les enfants « créolophones » d'aujourd'hui ?-Ces petits écoliers réunionnais, et notamment ceux qui rencontrent des difficultés en français, maîtrisent-ils vraiment le créole ? L'analyse des récents travaux de sociolinguistique ayant trait aux contacts de langues et à l'expansion de l'usage de l'interlecte dans la communauté réunionnaise (Prudent, Ledegen, Watin, Souprayen-Cavery, Rapanoël.), la prise en compte des remarques d'enseignants locaux du premier degré sur les lacunes des jeunes élèves non seulement en français mais également en créole, et celle des résultats de sondages déclarant une augmentation de la « transmission » du français par les mères réunionnaises, m'ont amenée à penser que le doute à ce sujet est permis ou du moins que le postulat « créole L1 » est à nuancer. Afin de mieux situer la finalité et le but de mon travail, j'ai donc entrepris dans un premier temps de démontrer que la donne en matière de pratiques langagières s'avère complexe et par conséquent, que les orientations didactiques gagneraient en sensibilité et en ancrage dans la situation locale, si elles s'appuyaient sur des points de repères concrets concernant le degré de maîtrise effective actuelle des deux codes en question par les élèves. Comment, en effet, prétendre pouvoir exploiter les acquis dans une langue (a priori L1-créole) pour mieux s'approprier l'autre (a priori L2-français), sans avoir pris la pleine mesure du degré de maîtrise des deux langues impliquées? Si des travaux ont été entamés concernant les compétences communicatives des écoliers en maternelle (Fioux et Marimoutou), mes recherches sur les « évaluations » locales menées jusque-là révèlent en effet que les chercheurs ne disposent d'aucun bilan relativement détaillé des compétences linguistiques actuelles des enfants réunionnais, d'une part en français, avant le passage au français écrit, après trois années de scolarisation pourtant explicitement axées sur l'acquisition des bases du français oral, et d'autre part en créole . Tout aussi déconcertant, eu égard aux enjeux scolaires, il apparaît qu'on ne dispose pas non plus d'outils d'évaluation pensés pour la situation locale, donc adaptés pour le recueil et l'analyse de ces compétences linguistiques orales auprès de jeunes enfants, alors qu'on se trouve dans une ancienne colonie française présentant une situation sociolinguistique ancrée dans la diglossie. Sur quelle base peut-on alors s'appuyer pour affirmer que les élèves réunionnais d'aujourd'hui, qu'on qualifie en masse de « créolophones », possèdent de solides compétences linguistiques en créole et des lacunes en français lorsqu'ils s'engagent dans le processus d'apprentissage systématique de la lecture ? C'est à partir de ces questionnements et de ces constats que j'ébauche une première circonscription de l'objectif de mon travail. Il s'agit de poser les prolégomènes d'une évaluation bilan, linguistique, comparée, en créole et en français, dont les soubassements méthodologiques seraient explicités, argumentés, mais aussi contextualisés et actualisés pour un public d'apprenants en fin de grande section de maternelle à La Réunion. Le but est de doter les didacticiens des langues œuvrant pour et auprès de petits écoliers réunionnais d'un outil suffisamment fin pour permettre d'enrichir la réflexion sur les stratégies d'enseignement/apprentissage du français, « éventuellement » à partir des acquis de ces élèves en créole. Bien que s'inscrivant en amont de l'acte d'évaluer, les délimitations que je propose d'établir font partie intégrante du processus d'évaluation. Plus précisément, il s'agit concrètement de construire un référentiel d'évaluation opérationnel présentant des critères d'évaluation, des normes de références et des épreuves pré-testées auprès d'un échantillon d'enfants de grande section, en français et en créole. Une fois ce dessein explicité, je pose les paramètres liminaires de ce processus d'évaluation. Le concevant avant tout comme « une réflexion sur les rapports aux valeurs », je me positionne alors, après une approche épistémologique de cet acte non anodin, en faveur d'une évaluation qui fasse sens. Suivant notamment Hadji, Lecointe, Bonniol et Vial ou encore Ardoino et Berger sur leurs remises en cause de la technicité de la docimologie à la recherche d'une objectivité illusoire, j'entreprends, comme eux, de déplacer la priorité de la justesse des résultats vers la logique et la transparence d'un processus objectivisé, amenant à un résultat pertinent qu'on peut comprendre, situer, relativiser en fonction d'une grille de lecture transparente et des intentions qui la sous-tendent. Pour ce faire, j'emprunte alors aux sciences de l'éducation, et notamment à G. Figari, le concept de référentialisation, au triple statut, opératoire, méthodologique et scientifique. S'ils ont été pensés originellement pour mener des évaluations de dispositifs (établissements scolaires, dispositifs de formation, curricula, etc.), je montre que les principes généraux de la référentialisation s'avèrent en réalité tout à fait transposables à l'étude que je mène. Nantie de ce fil rouge, ma référentialisation commence, dans une première étape, par un travail de réflexivité, pour tenter d'expliciter et situer ma propre posture de conceptrice d'évaluation, qui m'engage dans une responsabilité éthique. Il s'agit avant tout de prendre du recul sur le pouvoir détenu et auquel je suis soumise dans ce travail de recueil et d'utilisation d'une information à valeur sociale. Je m'attèle donc à poser et comprendre les enjeux sociaux et individuels liés à cet acte, mais également, en référence à la subjectivité inhérente à toute recherche en sciences humaines (de Robillard), à m'auto-positionner par rapport à mes propres représentations et inclinations concernant le choix d'une activité de référentialisation. Une deuxième étape découlant de la première me permet par ailleurs de préciser mes intentions dans cette évaluation. Après une revue des cheminements qui me sont offerts, j'en conclus qu'en rapport avec les objectifs visés, celles-ci se rapprochent au final plus de l'évaluation-appréciation que de l'évaluation-mesure et m'amènent à privilégier une approche qualitative.PARTIE 2 : la deuxième partie de ma thèse, qui relate la phase exploratoire de ma référentialisation, est entièrement dédiée à l'étape de la modélisation de mon objet d'évaluation. Je rends tout d'abord compte des investigations théoriques que j'ai menées afin de circonscrire l'objet à évaluer, à savoir l'objet langue. Il s'agit dans un premier temps de me positionner dans le débat sur la/les (im)possibilité(s) de délimitation de frontières entre créole et français, qui oppose structuralistes et variationnistes, et même variationnistes entre eux. J'aborde, pour ce faire, l'histoire du contact des langues de La Réunion, de la société de plantation à la société départementalisée, et confronte les concepts qui ont servi de filtres pour décrire le contact de langues créole/français (diglossie, continuum, interlecte, macrosystème). J'en viens finalement à trouver dans les arguments de de Robillard, dans sa réflexion plus large sur la définition d'une langue, les bases qui me poussent à adopter, pour les besoins précis de l'évaluation que je vise, une conception solide de la langue, amenant à voir le créole et le français sous un angle binarisé.Pour autant, je n'abandonne pas l'étude des phénomènes de mélanges relevés par les enseignants réunionnais chez leurs élèves et que d'aucuns (didacticiens et pédagogues) encensent comme un atout ou, au contraire, fustigent comme un handicap, voire associent à la manifestation d'un « semi-linguisme », comparativement aux discours de monolingues. Si mon inclination pour la sociolinguistique m'amène à voir les mélanges comme un quelconque mode discursif dans leur répertoire langagier et à réfuter un traitement des mélanges du point de vue de parasitages, la question que je me pose en tant que didacticienne cherchant à améliorer le processus d'enseignement/apprentissage du français est la suivante : en fin de compte, comment permettre à des évaluateurs de déterminer, indépendamment d'une reconnaissance de la capacité linguistique et pragmatique de ces jeunes élèves à "jongler" avec deux codes pour arriver à communiquer, si les mélanges effectués sont indicateurs :-de tactiques de « compensation » de lacunes dans l'une et/ou l'autre langue (les compétences étant alors meilleures dans une langue que dans l'autre ou insuffisantes dans les deux langues),-ou d'une « maîtrise » relativement bonne des deux codes (les compétences étant bonnes dans une langue comme dans l'autre), ce qui appelle des remédiations et/ou des pistes pédagogiques différentes ? Je décide dans cette optique d'établir l'état des lieux des recherches axées sur l'évaluation langagière et linguistique de « bilingues ». Je m'intéresse notamment aux traitements de la problématique des mélanges, des plus « fermés » (cf. les travaux de Titone, Fioux, Genelot et al.), aux plus « ouverts » (cf. les travaux de Moore, Cavalli, Stubbe et Peña.). En les soupesant en regard de mes objectifs, il m'apparaît alors que, pour mon type d'évaluation comparée, requérant des langues cibles bien distinctes, l'approche binarisée qui peut répondre à mes questions de départ s'avère pertinente. Poursuivant mes investigations théoriques, j'affine mon cadre de recherche en déterminant ce que sous-entend être un bon locuteur d'une langue. En abordant les notions de compétence vs performance, en passant en revue les points de vue de didacticiens des langues (Canale et Swain, De Pietro, Cuq, Beacco, Springer, Castellotti,.), d'interactionnistes (Hymes, Vasseur), de psycholinguistes (Lentin, Florin, Gombert.), de pédagogues (Boisseau), de chercheurs spécialisés dans l'évaluation du langage (Rondal, Comblain, Piérart, Muller.), mais aussi en prenant en considération les directives en matière de maîtrise du langage (Ministère de l'Education Nationale) et les préconisations concernant l'appropriation des langues étrangères (Conseil de l'Europe), je décide de centrer mon référentiel sur l'évaluation des compétences morphosyntaxiques, et de privilégier aussi bien le recueil d'échantillons de langage provoqué que de langage spontané.Ma phase exploratoire comprend également des investigations de terrain. Je commence par décrire les lieux d'enquête (situés en grande partie auprès d'élèves bénédictins de grande section de maternelle mais également au Tampon et à Pau), l'échantillonnage (choix des écoles, des classes, des enfants) et les moyens dont j'ai usés (démarche ethnologique, interactions filmées, activités réalisées, protocoles suivis). En sus de me fournir une meilleure connaissance des caractéristiques de ces jeunes témoins, grâce notamment à une observation participante, et de tester la pertinence de différents supports, tâches, approches d'évaluation et de systèmes de transcription de la parole interlectale, je montre que ce travail de terrain me permet de faire plusieurs constats qui corroborent l'hypothèse que j'avais formulée lors de mes investigations théoriques. En croisant divers facteurs saillants que j'ai pu relever, tels que les pratiques langagières (que j'étiquette sans hiérarchie « bi-linguisme », « mix-linguisme », « dominance en créole » et « dominance en français »), les représentations linguistiques, les attitudes face à la norme scolaire et la capacité à discriminer les deux codes linguistiques, aussi bien par les témoins que par moi-même dans le rôle d'évaluateur, j'ai pu en effet mesurer, parallèlement à des résultats prometteurs, la complexité et les limites d'une évaluation binarisée en termes de recueil et d'analyse de données, notamment lorsque l'évaluateur est face à certains profils langagiers d'enfants dans ce contexte de contact de langues proches. En effet, si une appréhension binaire, volontairement et « classiquement » lissée pour des besoins didactiques semble convenir pour évaluer, comparer la qualité des compétences d'enfants en créole et en français, le contexte local de contact de langues proches, empreint de représentations diglossiques et loin de se restreindre à des pratiques binaires bien délimitées et délimitables, m'amène à penser qu'un référentiel de ce type est susceptible d'avoir une portée limitée. C'est une hypothèse qu'il m'appartiendra alors de vérifier dans la suite de mon travail.PARTIE 3 : éclairée d'une meilleure connaissance du potentiel, des bornes et des astreintes concrètes d'une approche binarisée, l'étape suivante de ma référentialisation s'engage sur le choix des critères et des indicateurs qui permettront d'évaluer de jeunes enfants non lecteurs, à l'oral, en français et en créole. Ceci fait l'objet de la troisième partie de mon tapuscrit.Avant d'entrer dans le vif du sujet, je commence par un préambule indispensable, il me semble, sur les rapports de force en jeu dans l'activité normative (entre prescription et description, priorités, relativité et arbitraire, légitimité(s).). Sur ce sujet sensible, soumis à de fortes polémiques, aussi bien dans la communauté scientifique de manière générale que parmi les locuteurs évoluant dans la communauté réunionnaise, je présente dans une posture double de sociolinguiste et de didacticienne, mon propre positionnement par rapport à la notion de « norme(s) ». Pour que ma démarche soit mieux comprise et parce que je juge essentielle cette prise de recul face à un concept marginalisant souvent celui/celle qui y a recours (en dehors des praticiens), je pose explicitement le caractère relatif, construit et pourtant nécessaire, dans mon cas, de la norme pour ce référentiel. J'explique par ailleurs également ma légitimité de conceptrice de références normatives d'un point de vue variationniste, dans le cadre théorique choisi pour ce travail d'évaluation. Pour construire les références normatives de mon outil, le protocole méthodologique que je décide d'emprunter est le suivant :1.partir de descriptions déjà consignées des usages,-en créole (n'existent alors que des articles scientifiques, des grammaires, des dictionnaires qui ne décrivent que les normes d'usage d'adultes (Staudacher, Watbled, Chaudenson, Ramassamy, Cellier.)),-et en français (comprenant les travaux sur le français standard (Riegel et al., Arrivé et al., Wagner et Pinchon.), le français parlé (Gadet, Blanche-Benvéniste, Sauvageot.), le français régional (Carayol, Ledegen, Béniamino et Baggioni), le français parlé par les enfants (Florin, Boisseau, Comblain.)), 2.synthétiser et confronter ces travaux, non seulement entre eux mais également à mes propres recherches et compétences de locutrice native sur les items morphosyntaxiques en question, 3.afin de pouvoir procéder ensuite à un choix de critères, dont la pertinence sera à chaque fois justifiée, pour le langage provoqué et le langage spontané, 4. proposer des normes de références (indicateurs) permettant d'évaluer ces critères. Pour le créole, s'agissant à ce stade de normes provisoires,5.ajuster, actualiser ces dernières pour un public de jeunes enfants, en analysant le discours spontané en créole d'enfants réunionnais de maternelle (les « informateurs de référence»), dominants en créole ou bi-lingues.Un peu plus de trois centaines de pages de mon tapuscrit rendent compte de l'élaboration et du choix de ces critères et de ces indicateurs. Elles laissent rapidement voir un déséquilibre manifeste tant qualitatif que quantitatif entre l'état des connaissances en créole et en français. Dans un travail de grammairienne, descriptive mais également prescriptive, qui doit trier et compléter, pour le créole, des descriptions existantes certes intéressantes mais souvent contradictoires, délestées des variétés émergentes et complètement lacunaires en ce qui concerne les formes enfantines, j'aborde l'actualisation du thème verbal (système flexionnel, système analytique, indice i, règles de troncation), les pronoms personnels, la valence des thèmes verbaux, la modalité interrogative et la modalité négative. PARTIE 4 : la quatrième et dernière partie de ma référentialisation est d'abord consacrée à prendre la mesure des paramètres généraux de la conception de tâches d'évaluation et du recueil de données pour et auprès d'enfants. Suite à une revue de la littérature sur le sujet (notamment les travaux de Rondal, Moreau et Richelle, Khomsi, Florin, Brédart, Gombert, Marquillo.), je mets alors en avant deux considérations relatives aux critères de pertinence et de validité dans une évaluation, lors du recueil de données. Elles concernent les types d'activités généralement proposées dans les évaluations langagières (compréhension, production, détection et correction d'énoncés), et les tâches permettant de recueillir des comportements observables (avec un centrage sur leurs portées, biais, supports et consignes). Je clôture cette revue en apportant mes propres remarques, critiques et impressions sur l'expérience d'élaboration d'outils de recueil de données que j'ai pu développer sur le terrain réunionnais.Dans un deuxième temps, je présente et commente les épreuves pilotes que j'ai pré-testées auprès d'une centaine d'enfants de grande section, lors de séances d'évaluation individuelles, filmées et analysées.Cette banque d'épreuves est composée de 39 fiches classées selon qu'il s'agit d'évaluer des compétences en créole, des compétences en français ou des compétences « bilingues » (traduction, discrimination codique). Ces fiches présentent les tâches d'évaluation que j'ai élaborées et dont j'ai pré-testé la faisabilité, la pertinence et la sensibilité. Elles détaillent, pour chaque item syntaxique évalué, les critères pris en considération, le type d'activité choisi, les performances attendues, les supports de l'épreuve, les indications sur son organisation, les consignes, mais également les énoncés-amorces éventuellement prévus pour l'évaluateur, une analyse d'exemples de réponses "correctes" et "incorrectes" recueillis auprès des témoins pré-testés, et enfin des commentaires généraux sur l'épreuve en question (difficultés, variantes, précautions.). CONCLUSION : mon tapuscrit se clôt par une conclusion générale. Celle-ci synthétise tout d'abord les différentes étapes de ma référentialisation ainsi que leurs résultats, et revient sur les améliorations qui pourraient y être apportées. Elle présente dans un deuxième temps les apports de ce travail de recherche, qui soulève aussi des questionnements et permet de faire des propositions.Les apports comprennent notamment : -Une recherche théorique mais également de terrain auprès d'une centaine d'enfants réunionnais qui permet la mise à disposition d'un outil d'évaluation opératoire, adapté aux caractéristiques de petits écoliers réunionnais de grande section de maternelle et proposant des tâches détaillées, éprouvées et des repères normatifs concrets. Ces fiches sont utilisables en l'état, au final autant par des chercheurs en didactique des langues que par des praticiens, amenés à évaluer des compétences grammaticales orales de jeunes enfants à La Réunion.-De manière générale, un éclairage méthodologique concernant le recueil et l'analyse de données orales auprès de jeunes écoliers non lecteurs dans un contexte diglossique, et dans une situation de contact de langues proches.-Un enrichissement des travaux de description synchronique de la morphosyntaxe du français, mais surtout du créole de La Réunion, notamment :»par la prise en compte des variations intrasystémiques et intersystémiques (les formes émergentes actuelles dues à la dynamique interne du créole et au contact avec le français, les formes enfantines, le langage des jeunes), »par l'approche synthétique adoptée (analyse comparée de travaux, élaboration de tableaux récapitulatifs).Mais ce travail de référentialisation soulève également des questionnements pour la recherche, sur plusieurs points :Sur le plan didactique : -Cette étude montrant l'indispensable prise en compte des représentations linguistiques, des pratiques langagières, des compétences pragmatiques des élèves lors du processus de recueil de données orales, quelle validité, quelle pertinence peuvent avoir des évaluations lissées, hermétiques à la situation de contact de langues proches et aux spécificités des enfants réunionnais, comme les évaluations académiques en français, duplications d'évaluations métropolitaines a-contextualisées, conçues pour un public monolingue déjà francophone ?-Quelle pertinence ont les propositions d'exploitation didactique et explicite, « en l'état », du créole « L1 » comme tremplin pour atteindre le français L2, alors que les pré-tests menés lors de ma recherche laissent déjà entrevoir certes une majorité de témoins présentant des compétences grammaticales de base en français lacunaires, mais également des écoliers (même dominants créolophones), rencontrant des difficultés d'expression, voire de compréhension, en créole ?-La plupart des descriptions grammaticales actuellement disponibles ne prenant guère en compte les variations intra- et intersystémiques du créole, n'y aurait-il pas des répercussions sur la portée des propositions didactiques pour l'enseignement du français en partenariat avec le créole ? Sur le plan des recherches sur l'évaluation linguistique : -La perspective binaire choisie dans ce travail, jugée pertinente pour comparer des compétences linguistiques en créole et en français, présente des limites et ne peut notamment prendre en considération, en l'état, tous les profils langagiers d'enfants (par exemple, les mix-lingues non-discriminants). Au-delà d'une évaluation créole/français, quelle alternative avons-nous pour apprécier les compétences linguistiques, notamment morpho-syntaxiques, de ces enfants dont la parole tellement (a)maillée et sans « langue » cible ne peut être analysée dans ce cadre ? Faut-il mesurer ces compétences « bilingues » pour elles-mêmes, sans référence au créole et au français, comme tentent de le faire de manière relativement marginale certains chercheurs dans d'autres contextes linguistiques (ex : Stubbe et Peña pour des bilingues américano-hispanophones aux Etats-Unis) ? Mais ce qui semble possible pour des langues « non collatérales » l'est-il pour des langues génétiquement et structurellement proches ? En effet, une évaluation bilingue prenant comme référence normative la morphosyntaxe de l'ensemble du macrosystème réunionnais, donc une langue « fluide », où l'évaluateur ne dispose pas de normes de référence explicitées/explicitables a priori et donc justifiées/justifiables, est-elle envisageable ? Bien qu'elle laisse voir sa pertinence sur le plan pédagogique, et réponde au critère de recherche de sens, comment justifierait-elle son objectivisation lorsque l'évaluateur ne fait que « « (re)sentir » que ça se dit » et donc détient en lui-même des règles « mouvantes », insaisissables de locuteur natif de l'interlecte ? Comment gérer cette incontournable implication dérogeant aux bases de toute évaluation, lorsque les références normatives sont intériorisées et a priori non externalisables ?Ce travail de recherche permet enfin d'émettre des préconisations et propositions pour des pistes de travail concernant la didactique du français en partenariat avec le créole : -S'attacher à identifier les conditions de conscientisation des codes par des enfants actuellement discriminants (sans guidage scolaire), pour l'étude de pistes permettant aux écoliers, dès la petite section, de discriminer des traits prototypiques du créole et du français.-Prendre davantage en considération l'hétérogénéité des profils langagiers des enfants réunionnais qui ne sont pas à considérer comme une masse linguistiquement homogène (même dans les écoles de quartiers dits défavorisés) et continuer la réflexion sur la prise en compte du macrosystème langagier réunionnais.-Compléter les recherches sur le créole parlé actuellement par la population réunionnaise (enfants, jeunes, adultes) et ouvrir ces descriptions à toutes les variations.-Briser le caractère ésotérique des ouvrages de descriptions grammaticales actuels et encourager la publication d'ouvrages de vulgarisation, non puristes, « accessibles » au public des étudiants (futurs enseignants) en formation mais également à celui des enseignants déjà en poste.-Prendre davantage en compte et faire évoluer les représentations négatives de la population locale (notamment les parents d'élèves), concernant le partenariat (direct ou indirect) avec le créole. Ce sujet faisant l'objet de fortes tensions sur le terrain scolaire, étudier des possibilités d'approches alternatives (exploitation du médium télévisuel, création/exploitation de structures éducatives parallèles comme des associations de type « ti lékol maron » ou des centres de loisirs), privilégiant la maîtrise du langage avec un aspect ludique, dans un contexte « apaisé ».
L'ensemble des travaux présentés, réalisés entre 1990 et 2006, trouve sa cohérence dans un parcours qui se propose d'analyser les traitements, la place et le regard réservés par la société valencienne des XVe-XVIIe siècles à deux catégories de marginaux souvent associés dans les mentalités valenciennes d'alors et désignés conjointement sous le nom d'Innocents (Ignoscents dans l'ancien dialecte valencien): les fous et les orphelins. Nous avons analysé les traitements qui leur étaient réservés, tant en ce qui concerne les réalités historiques que les représentations sociales qui en étaient offertes. Enfin, nous nous sommes intéressée aux représentations littéraires du microcosme de l'hôpital des fous.Nos travaux comprennent quatre volets : -attitudes de diverses institutions face à la marginalité ;-représentations sociales des fous et des orphelins ;-représentations de l'hôpital des fous par Lope de Vega Carpio ;-représentations allégoriques sur le même thème.I.L'assistance aux fous et aux orphelins à Valence aux XVe-XVIIe siècles : les attitudes institutionnelles face à la marginalitéA. Les institutions d'assistanceUn premier groupe de travaux a été consacré à l'étude des deux institutions qui assistaient ces marginaux : d'une part, les fous, pris en charge par l'Hôpital des Innocents, fondé en 1409 et devenu en 1512, lors de la fondation de l'Hôpital général, Maisons des fous et des folles de ce dernier ; d'autre part, les orphelins, éduqués par le Collège des orphelins Saint-Vincent-Ferrier, également fondé au début du XVe siècle.Locura y sociedad, notre premier livre, publié à Valence (Espagne) en 1994, est l'adaptation à l'espagnol de notre thèse de doctorat, soutenue à l'Université de la Sorbonne Nouvelle (PARIS III) sous la direction du Professeur Augustin Redondo le 13 février 1993. Il en va de même pour les deux articles ci-dessous mentionnés. L'un est le texte de la communication que nous avons lue au Colloque qui s'est tenu à Valence en mai 1997 en Hommage à l'historien espagnol de la psychiatrie, le Dr. Vicente Peset Llorca. L'autre est le texte publié dans l'ouvrage collectif paru il y a quelques mois à Valence (2007) sur l'histoire de l'Hôpital des fous de cette ville. Conformément aux recommandations pour la constitution du dossier scientifique qui figurent sur le livret du Conseil scientifique de Paris III (Vade-mecum), nous n'avons inclus ni notre thèse, ni ces trois adaptations, qui en découlent très directement, dans la liste des travaux présentés en vue de l'obtention du diplôme d'Habilitation à Diriger des Recherches. Toutefois, les ayant utilisées pour rédiger notre document de synthèse (qui, toujours selon ces mêmes instructions, doit « retracer le parcours de recherche accompli par le candidat en y incluant par conséquent les recherches engagées dans le travail antérieur de doctorat »), nous les mentionnons également ici. Il s'agit de :Travaux réalisés dans le cadre de notre thèse et directement dérivés de cette dernière :1. LIVREHélène TROPÉ, Locura y sociedad en la Valencia de los siglos XV la XVII: los locos del Hospital de los Inocentes (1409-1512) y del Hospital General (1512-1699) [Traduit par l'auteur de : Folie et société à Valence (XVe-XVIIe siècles): les fous de l'Hôpital des Innocents (1410-1512) et de l'Hôpital général (1512-1699) (thèse de doctorat sous la direction du professeur Augustin Redondo), Paris: Université de la Sorbonne Nouvelle – Paris III, 723 p.], Valencia: Diputación de Valencia, Centre d'Estudis d'História Local, 1994. 433 p.2. ArticleHélène TROPÉ, «Locura y sociedad en la Valencia de los siglos XV al XVII: los locos del Hospital de los Inocentes (1409-1512) y del Hospital General (1512-1699)», en : La locura y sus instituciones (Actas de las II Jornadas de Historia de la Psiquiatría. Homenaje al Dr. Vicente Peset Llorca, Valencia, 9 y 10 de mayo de 1997), Valencia: Diputación de Valencia, 1997, pp. 141-154.3. Participation à un OUVRAGE COLLECTIFHélène TROPÉ, Del Hospital de los Inocentes (1409-1512) a la Casa de los locos del Hospital General (1512-1699), in : Lorenzo Livianos, Conxa Císcar, Ángeles García, Carlos Heimann, Miguel Ángel Luengo, Hélène Tropé, El manicomio de Valencia del siglo XV al XX, Paterna (Valencia) : Ajuntament de Valencia, colección « Científicos valencianos », n° 8, 2006, pp. 13-117.2) Le Collège des orphelinsNous avons consacré un livre et deux articles au Collège des Orphelins Saint-Vincent-Ferrier :LIVRE Hélène TROPÉ, La formation des orphelins à Valence: le cas du Collège Impérial Saint-Vincent-Ferrier de Valence (XVe-XVIIe siècles), Paris: Publications de la Sorbonne, Presses de la Sorbonne Nouvelle, Collection «Textes et documents du Centre de Recherche sur l'Espagne des XVIe et XVIIe siècles (CRES)», vol. VIII, 1998. 416 p.Article«La formation des orphelins au Collège Saint-Vincent-Ferrier de Valence aux XVIe-XVIIe siècles», in: A. REDONDO, [Études réunies et présentées par], La formation de l'enfant dans l'Espagne des XVIe-XVIIe siècles (Actes du Colloque International, Sorbonne-Collège d'Espagne, octobre 1995), Paris: Publications de la Sorbonne Nouvelle, collection «Travaux du Centre de Recherche sur l'Espagne des XVIe et XVIIe siècles» (CRES - Directeur: Augustin REDONDO), vol. XI, 1996, pp. 215-230.Article Hélène TROPÉ, « Le mystère médiéval de saint Christophe, passeur de gué, dans la Fête-Dieu de Valence (Espagne) », in : DELPECH, François [dir.], Imaginaire des espaces aquatiques, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, Collection «Textes et documents du Centre de Recherche sur l'Espagne des XVIe et XVIIe siècles (CRES)» (à paraître).Ce livre, ainsi que le premier des deux articles mentionnés, portent sur la formation des orphelins dans ce Collège. Nous avons commencé par y retracer l'historique de cette institution, exceptionnelle par sa longévité : créée en 1410, elle existe toujours. Par son histoire et ses finalités, elle est l'homologue d'autres institutions semblables de l'Europe moderne. Fondée par des ecclésiastiques, à partir de 1593, elle devient un établissement contrôlé par trois notables de la cité et passe donc dans les faits sous contrôle de la municipalité. En 1624, elle hérite des locaux du Collège impérial destiné jusqu'en 1609 à l'éducation des enfants morisques de la ville. Après l'expulsion de ces derniers, le Collège reprend, avec les biens de cet établissement, ses armes impériales. Le Collège était destiné aux enfants issus de mariages légitimes dont un ou les deux parents étaient décédés. Par contre, les enfants abandonnés, péjorativement dénommés borts (bâtards), dès lors qu'ils étaient présumés illégitimes, devaient se contenter de l'Hôpital général. Le Collège avait clairement pour mission d'intégrer les orphelins qu'il admettait dans l'espace de la cité tout en les protégeant des milieux délinquants. Il s'agissait donc de les récupérer comme main d'œuvre pour le commerce et l'artisanat, alors en pleine expansion. L'éducation religieuse, notamment l'apprentissage de la doctrine, était le moyen de les former aux valeurs dominantes. Le catéchisme était donc au fondement même de leur apprentissage. Seuls les garçons apprenaient à lire. Les filles, reçues en moins grand nombre que les garçons —sans doute parce qu'elles trouvaient à s'employer comme servantes dès leur plus jeune âge—, apprenaient seulement à prier et à réaliser des travaux ménagers. Une fois éduqués et instruits dans la doctrine, les garçons vers l'âge de 12 ans, étaient mis en apprentissage auprès des marchands et des artisans des corporations afin d'apprendre un métier. Quant aux collégiennes, elles étaient placées comme servantes auprès d'un maître. Vers l'âge de 20 ans, considéré comme adéquat pour le mariage, l'apprentissage prenait fin et le maître d'apprentissage des garçons, ou pour les filles, l'employeur, devaient leur verser un salaire, modeste, en général de 7 livres valenciennes, afin que garçons et filles puissent se faire confectionner un habit.Le second article mentionné porte sur le mystère médiéval valencien de saint Christophe qui le représente en passeur de gué. Ce mystère a été mis en scène à Valence depuis des temps très anciens, conjointement à d'autres mystères, dans le cadre de la fête du Corpus Christi. Nous avons effectué cette recherche car nous avions connaissance de la participation des orphelins du collège, au début du XVIIIe siècle, à sa représentation et nous désirions savoir s'ils y avaient participé antérieurement. Il semble que non. Néanmoins nous avons choisi de publier tout de même nos recherches sur ce mystère, qui constitue une autre manifestation théâtrale valencienne, religieuse cette fois, et offre donc un point de comparaison pour étudier l'univers du théâtre valencien examiné dans le versant littéraire de notre dossier. D'autre part, il a trait à la célébration du Corpus Christi et donc à cet aspect des fêtes célébrées dans la ville, également important dans notre dossier.B. La protection des rois et le contrôle de l'Inquisition1. Les rois d'Aragon accordent des privilèges aux fondateurs de l'Hôpital des InnocentsLe second volet de notre étude des attitudes institutionnelles vis-à-vis de ces marginaux a été consacré à l'examen des textes des privilèges accordés aux fondateurs de l'Hôpital des Innocents par les monarques aragonais. Il s'agit du texte de la communication que nous avons lue en septembre 1993 à Jaca au XVe Congrès d'Histoire de la Couronne d'Aragon.Hélène TROPÉ., «Poder real, locura y sociedad: la concepción de los locos en los privilegios fundacionales otorgados al Hospital de Inocentes de Valencia por los monarcas aragoneses (1409-1427)», in: Actas del XV Congreso de Historia de la Corona de Aragón (Jaca, 20-25 de sept. 1993), Zaragoza: Diputación General de Aragón, Departamento de Educación y Cultura, tomo I y volumen 5°, 1996, p. 307-318.Il ressort de cette étude que la première justification donnée par les monarques à l'assistance hospitalière aux fous a trait à l'affirmation selon laquelle ces derniers sont les pauvres du Christ et qu'il convient de leur porter secours. Les assister permet ainsi au chrétien de gagner la miséricorde divine. En second lieu, leur hospitalisation est envisagée comme une mesure d'ordre public destinée à préserver la cité des troubles et des dommages que ces derniers peuvent causer. En troisième lieu, ils sont comparés aux invalides, incapables de pourvoir à leurs besoins. Le Privilège de 1427 s'élève contre la croyance selon laquelle les « insensés » expieraient leurs fautes ou celles de leurs ancêtres et affirme qu'il n'en est rien : leur folie est une manifestation de la puissance divine. 2) Les inquisiteurs du Tribunal de Valence face à la folie des accusésDans un article pour l'Hommage à Pierre Vilar rendu par l'Association des Catalanistes de France à ce très grand historien, nous avons étudié les stratégies mises en œuvre et les enquêtes diligentées par les inquisiteurs valenciens face à a folie alléguée ou présumée des accusés : Hélène TROPÉ, «Folie et Inquisition à Valence (1580-1699)», in : Hommage à Pierre Vilar / Association Française des Catalanistes, Paris: Éditions Hispaniques - AFC, 1994, p. 171-185.Nous y exposons que lorsque la réalité de la folie de l'accusé au moment des faits délictueux était avérée, elle constituait devant les tribunaux inquisitoriaux une excuse absolutoire. Dans ce cas, le procès était suspendu et il était relâché s'il avait été arrêté. Diverses enquêtes étaient donc diligentées auprès de ses proches et des témoins des faits. La folie avérée au moment du délit était très certainement prise en compte comme circonstance atténuante tout simplement parce que les inquisiteurs étaient alors convaincus que l'accusé était irresponsable et donc, qu'il n'avait pas eu l'intention de porter atteinte à la foi. En le discréditant aux yeux des tiers, la folie « annulait » aussi la dangereuse portée des propos hérétiques qu'il avait tenus. L'affaire était dès lors classée : on l'absolvait et on le renvoyait à sa famille ou, lorsqu'il n'en avait pas, on l'adressait à l'hôpital des fous. Lorsque la folie de l'accusé n'était ni évidente ni notoire et qu'il était établi qu'il avait même joui d'un certain crédit auprès de la population, une peine pouvait tout de même être appliquée dans le but de le punir et de le discréditer. Dans les cas où les accusés devenaient fous dans les prisons de l'Inquisition, les faits étaient jugés mais l'on sursoyait à l'application de la peine, on les envoyait à l'hôpital des fous afin qu'ils y soient reclus et pris en charge et l'on attendait qu'ils guérissent afin de pouvoir les punir. Le second volet de nos travaux analyse l'ensemble des efforts réalisés par les Autorités de la ville afin de réintégrer ces marginaux, symboliquement cette fois, dans le corps social en les représentant de façon rassurante à la population comme des assistés pris en charge par la ville. Nous nous sommes donc intéressée aux représentations sociales. II. Les représentations sociales des fous et des orphelins : quêtes et fêtesLes Autorités de la ville, conscientes de l'image négative que ces marginaux —les fous en particulier— pouvaient avoir dans les mentalités, ont mis en œuvre diverses stratégies afin de modifier leurs représentations. Ils ont mis en scène fous, orphelins et, plus rarement, enfants exposés, comme des figures de l'Innocence.Nous avons consacré plusieurs travaux à l'étude de ces représentations. Et d'abord un article :Hélène TROPÉ, «Les relations entre hommes et femmes dans l'univers hospitalier valencien de la folie des XV-XVIIè siècles», in: A. REDONDO, [Études réunies et présentées par], Les relations entre hommes et femmes dans l'Espagne des XVIe-XVIIe siècles, Paris: Publications de la Sorbonne, collection «Travaux du Centre de Recherche sur l'Espagne des XVIe et XVIIe siècles » (CRES - Directeur Augustin REDONDO)», vol. IX, 1996, p. 105-116.Dans celui-ci, nous avons commencé par rappeler que les administrateurs avaient édicté une règle de stricte séparation des hommes et des femmes au sein de l'hôpital. Nous avons ensuite montré que tout au long de la période, cette règle a été transgressée comme le prouvent les enfants mis au monde par des folles depuis longtemps hospitalisées. Enfin, nous avons étudié les diverses mises en scène que les administrateurs de l'hôpital eux-mêmes ont effectuées des relations entre fous et folles à l'extérieur de l'établissement dans le cadre des processions festives, au XVIIe siècle en particulier. Puis, dans notre contribution à l'Hommage que le CRES a rendu au Professeur Augustin Redondo, nous avons analysé les représentations sociales des fous et des orphelins, d'abord à l'intérieur de leurs institutions d'assistance respectives, puis à l'extérieur :Hélène TROPÉ, «Fêtes et représentations des marginaux à Valence aux XVIe et XVIIe siècles», in: Écriture, pouvoir et société en Espagne aux XVIe et XVIIe siècles. Hommage du CRES au Professeur Augustin Redondo, Paris: Publications de la Sorbonne, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2001, p. 347-363.Nous y avons notamment étudié comment chroniques, mémoires et journaux privés attestent qu'à l'occasion de diverses manifestations collectives publiques, festives ou expiatoires, les Autorités de la ville ont ainsi fait paraître en tête des processions au moins trois catégories de marginaux assistés dans les institutions évoquées, le plus souvent les fous de l'Hôpital général et les orphelins du Collège Saint-Vincent-Ferrier et, moins fréquemment, les enfants exposés de l'Hôpital général. Ces marginaux étaient chargés d'incarner des rôles, ce qui, symboliquement, permettait de les réinsérer dans le tissu social. Ils furent notamment convertis en figures de l'Innocence.Montrer sur les chars de la ville ces enfants ainsi « récupérés » et préservés de la délinquance, exhiber sous un jour drôle et plaisant les fous de l'Hôpital, grâce, finalement, à une efficace politique d'assistance municipale, ne devait pas manquer d'avoir un certain impact, sans doute voulu et même recherché, sur la population et devait constituer une sorte de publicité vivante à la louange du puissant patriciat gouvernant les affaires de la cité et qui montrait ainsi qu'il savait aussi réintégrer les marginaux dans le tissu social. Ces mises en scène des assistés contribuaient à rassurer le public et, en dernière instance, offraient l'image d'une société valencienne idéalement parfaite.Les deux volets suivants de notre dossier concernent le système de représentations littéraires suscité par l'existence de cet hôpital de Valence, et plus largement, les images littéraires de l'hôpital, notamment de fous, incurables, insensés, etc. Nous avons étudié exclusivement les images correspondant à la première des deux institutions étudiées car, à notre connaissance, aux XVe, XVIe et XVIIe siècles, ni les enfants exposés de l'Hôpital Général, ni les orphelins de Saint-Vincent-Ferrier n'ont fait l'objet de représentations littéraires. Concernant les représentations littéraires construites à partir du motif de l'hôpital, l'historicité des hôpitaux représentés permet de distinguer deux types de productions. D'une part, des œuvres où un hôpital de fous, explicitement nommé, sert de référent et de cadre à tout ou partie de l'action. C'est le cas en particulier de trois œuvres de Lope de Vega Carpio qui effectuent des variations sur ce thème.Elles font l'objet du troisième volet de notre dossier.III. L'hôpital des fous selon Lope : trois variations sur un même thèmeHélène TROPÉ, édition critique de Los locos de Valencia de LOPE DE VEGA CARPIO, Madrid, Castalia, « Clásicos castellanos » n° 275, 2003, 352 p. Hélène TROPÉ, Traduction française de Los locos de Valencia de Lope de Vega Carpio (à paraître).Hélène TROPÉ, « La representación dramática del hospital del microcosmos del Hospital de los locos en Los locos de Valencia de Lope de Vega », Anuario Lope de Vega V (1999), Prolope, Departament de Filologia Espanyola de la Universitat Autònoma de Barcelona, pp. 167-184.Hélène TROPÉ, « Menosprecio de Aragón y exaltación de Castilla en El loco por fuerza, comedia atribuida a Lope de Vega », comunication lue dans le cadre du Colloque International organisé par l'Universitá degli Studi di Parma et l'Université de la Sorbonne Nouvelle – Paris III (Parme, 2-3 mai 2002) sur El texto y su marco : La representación del espacio en el Siglo de Oro español, (à paraître dans Criticón), Après avoir réalisé l'édition critique de la comedia de Lope de Vega Los locos de Valencia, nous l'avons traduite en français. Dans ces deux livres, nous avons présenté le texte et nous l'avons très soigneusement annoté afin d'éclairer le sens de multiples allusions littéraires ou médicales qui peut échapper au lecteur contemporain. Nous nous sommes donc efforcée de rendre le texte accessible.Nous avons consacré un premier article à l'étude de la représentation dramatique de l'hôpital des fous par Lope de Vega Carpio. Nous y avons mis en regard les stylisations réalisées par cet auteur avec ce que nos études antérieures sur l'histoire de cet hôpital nous avaient appris. Nous avons conclu que la pièce Los locos de Valencia ressemble plus à l'image que les administrateurs offraient de leurs hospitalisés, lorsqu'ils les mettaient en scène sur les chars lors des grandes processions dans la ville, qu'à ce qu'a été au quotidien la Maison des fous et des folles. L'hôpital reflété dans Los locos de Valencia ne conserve qu'une ressemblance illusoire avec l'hôpital historique. Il s'agit plus en fait d'une pièce sur le théâtre construite sur la rencontre du topos érasmien de la folie universelle avec celui du Grand Théâtre du Monde. Dans l'article suivant « Menosprecio de Aragón… », nous avons étudié comment, selon la méthode de « l'argumentation casuistique » qui serait propre à Lope de Vega, ce dramaturge présenterait dans une comedia une solution opposée à celle proposée dans une autre œuvre ayant pourtant la même intrigue et comportant les mêmes personnages. C'est le cas des deux œuvres où Lope a représenté l'hôpital : Los locos de Valencia, El peregrino en su patria, ainsi que El loco por fuerza, pièce qui lui a été attribuée et dont nous pensons personnellement qu'elle est bien de lui. Il nous est apparu que la question du genre détermine les variations entre les trois pièces. Ainsi, logiquement, dans la comedia Los locos de Valencia, l'hôpital des fous devient le microcosme de la folie comique. Dans les scènes asilaires du roman byzantin, il est par contre un espace sinistre où la folie, tragique, signe l'accomplissement du destin dramatique des amants soumis à d'incessantes tribulations. Quant à El loco por fuerza, il s'agit d'un drama, mot que nous employons ici pour désigner, avec le professeur Joan Oleza, un macro-genre caractérisé par sa mission transcendante, son prosélytisme et son contenu panégyrique. Dans cette pièce, l'hôpital est tragi-comique. La question des genres présiderait donc bien à ces variations et les expliquerait.D'autre part, nous avons étudié comment cette pièce, probablement écrite par Lope de Vega entre 1597 et 1608, met en scène de très conflictuelles relations entre castillans et aragonais dans le cadre de la ville de Saragosse et de la montagne aragonaise. Nous l'avons analysée à la lumière du contexte historique des révoltes aragonaises de 1591 et avons émis l'hypothèse selon laquelle l'internement forcé du personnage principal pourrait peut-être renvoyer aux poursuites intentées par Philippe II contre son Secrétaire Antonio Pérez, accusé d'assassinat, lequel se réfugia à partir d'avril 1590 en Aragon où il provoqua deux soulèvements à Saragosse en mai et en septembre 1591. Enfin, concluant dans cet article sur l'ensemble du dossier des représentations de l'hôpital par Lope de Vega, nous avons proposé des hypothèses de lecture conjointe de El loco por fuerza et de Los locos de Valencia en rapport avec l'affaire Pérez et les Relaciones (éditions de 1594 et 1598) écrites par ce dernier. Nous avons tenté de montrer que Lope de Vega inverse radicalement les perspectives idéologiques favorables aux aragonais depuis lesquelles Pérez a écrit son texte. Dans El loco por fuerza, la Castille apparaît à travers les membres du couple d'amoureux originaires de Tolède comme une terre de vertu menacée par ce qui est montré dans la pièce comme perversion morale et politique aragonaise : exaltation de Castille et mépris d'Aragon. Le monarque qui rétablit l'ordre à la fin de l'œuvre est un parangon de justice. La pièce est orientée idéologiquement vers une exaltation de la Castille comme véritable centre de l'Empire et une condamnation des révoltes aragonaises.Si les « hôpitaux lopesques » se caractérisent par la forte illusion référentielle qu'ils génèrent en dépit de leur historicité finalement assez faible, d'autres représentations d'asiles n'autorisent plus du tout la moindre confusion du signe théâtral avec le simulacre de référent : ce sont les représentations allégoriques, objet du quatrième volet de nos travaux.IV. Les fous défilent. Représentations allégoriques de l'hôpital des fousLa tradition littéraire de « l'hôpital » paraît ancienne et elle est profuse. Dans la dernière partie de notre dossier, nous avons étudié deux de ces représentations allégoriques : la tragi-comédie de Charles Beys L'Hospital des fous (1635), modifiée en 1653 sous le titre Les illustres fous, et un texte attribué à Quevedo, mais qui serait en réalité du poète et musicien sévillan Melgarejo : La Casa de los locos de amor. Le texte d'origine est conservé dans un manuscrit du début du XVIIe siècle et a été publié, dans une version toutefois expurgée et fort édulcorée, dans l'édition des sueños de Quevedo parue à Saragosse en 1627, puis dans presque toutes les éditions successives. Dans la plupart de ces représentations allégoriques, dont nous avons offert un panorama (toutefois non exhaustif) dans notre synthèse, on observe un certain nombre d'éléments récurrents qui autorisent à considérer l'hypothèse selon laquelle ces représentations formeraient peut-être un sous-genre ou à tout le moins, une tradition : narrateur personnel en position de témoin, figures allégoriques correspondant aux membres de l'hôpital visité, défilé de fous.Le texte de la communication que nous avons lue au XIVe Congrès de l'Association Internationale des Hispanistes (New York, juillet 2001) est consacré à l'étude du procédé dans Los locos de Valencia et El peregrino en su patria de Lope de Vega :Hélène TROPÉ, « Desfiles de locos en dos obras de Lope de Vega : Los locos de Valencia y El peregrino en su patria », Actas del XIV Congreso de la Asociación Internacional de Hispanistas [Nueva York, 16-21, Julio, 2001], edición de Isaías Lerner, Robert Nival y Alejandro Alonso, Newark, Delaware, Juan de la Cuesta, col. « Hispanic Monographs », 2004, t. II, p. 555-564.Dans notre synthèse, nous avons exprimé qu'il nous semble que cette étude pourrait être étendue valablement et avec profit à d'autres représentations ; mais que l'extension du corpus conduirait probablement à un élargissement du point de vue. On serait alors probablement amené à conclure que le rire que suscite cette revue d'insensés dans les œuvres de Lope peut se transmuer en franche amertume et déboucher sur une vision désabusée du monde dans d'autres œuvres telles que La casa de los locos de amor. Lu au VIe Congrès de la Asociación internacional Siglo de Oro (AISO) à Burgos en juillet 2002, le texte de notre communication montre que cette dernière œuvre est un rêve allégorique parodique qui débouche sur une satire du mariage et de l'amour représentés comme folie. Dans la version manuscrite, La casa de los locos de amor est une censure sévère des mœurs dépravées et brosse un noir tableau de la société espagnole du temps. Paradoxalement, dans sa version expurgée et édulcorée parue avec d'autres textes de Quevedo dans les Sueños de 1627, son éloge du mariage lui aurait certainement valu d'être reniée par l'auteur des Sueños. Telles sont les conclusions qui ressortent du texte de l'article correspondant :Hélène TROPÉ, « Los 'Hospitales de locos' en la literatura española del siglo XVII: la representación alegórico-moral de la Casa de los locos de amor atribuida a Quevedo », en: Actas del VI Congreso de la Asociación internacional Siglo de Oro (AISO) [Burgos, Universidad de Burgos, 15-19 de julio de 2002], Madrid : Iberoamericana Vervuert.Enfin, dans l'article consacré à la tragi-comédie de Charles Beys L'Hospital des fous, publiée en 1635, reprise et modifiée en 1653, sous le titre Les Illustres fous, nous avons confronté l'image de la folie hospitalière, offerte respectivement par l'Italien Garzoni, l'Espagnol Lope de Vega et le Français Charles Beys, de ce même microcosme de la folie hospitalière et montré que les représentations de l'Italien et de l'Espagnol se rapprochent sur des points qui les opposent à celle du Français. L'hôpital représenté par Lope de Vega, comme celui de Garzoni, est un microcosme séparé du monde. L'hôpital de Beys, au contraire, dont les frontières s'étendent au fur et mesure de la représentation, a vocation à figurer tout l'univers et sa folie. D'autre part, dans l'hôpital des fous de l'Italien et de l'Espagnol, les frontières entre le personnel et les hospitalisés restent stables, plus hermétiques cependant chez le premier que chez le second, alors que dans l'hôpital du Français elles tendent peu à peu à s'effacer jusqu'à ce que soit révélé au spectateur que le Concierge, censé garder les fous, l'est autant qu'eux et que la pièce à la représentation de laquelle le spectateur est en train d'assister a même été écrite par lui. En conséquence, alors que ni la pièce du Phénix ni celle de Garzoni ne tendent jamais véritablement de miroir au spectateur afin qu'il s'y regarde et conclue qu'il est un fou parmi les fous mis en scène, chez le Français au contraire, le spectateur est explicitement invité à se reconnaître parmi les rôles de fous défilant devant lui. La folie est univoque et irréversible dans l'ouvrage de Garzoni. Elle l'est aussi en grande partie dans la pièce de Lope de Vega. Par contre, dans celle de Beys, elle est équivoque, ambiguë, constamment réversible et surtout elle est universelle :Hélène TROPÉ, « Variations dramatiques espagnoles et françaises sur le thème de l'hôpital des fous aux XVIe et XVIIe siècles : de Lope de Vega Carpio à Charles Beys », Bulletin Hispanique (à paraître).