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L'histoire des associations Memorial en Russie, Prix Nobel de la paix 2022, est celle de diverses générations qui se sont investies, à partir de 1988, dans l'écriture et la diffusion d'une histoire de l'URSS jusqu'alors marquée par l'occultation et la déformation, ainsi que d'un engagement fort dans la défense des droits humains. Il s'agit d'une histoire de plus de trente ans, porteuse des multiples espoirs ouverts à la fin des années 1980 en URSS, mais qui se poursuit aujourd'hui dans un contexte tout autre, entre répression croissante et exil pour nombre de celles et ceux qui participent à cet engagement.

Le projet ANR Archives sonores – Mémoires européennes du Goulag est présenté dans cet article. Au cours de ce projet ont été collectés et exploités des entretiens mais aussi des archives écrites, photographiques voire cinématographiques sur les personnes déportées vers les régions du Grand nord russe, de Sibérie, d'Asie centrale entre 1939 et 1941 puis 1944 et 1953. Ces archives sonores, disponibles sur le site web du projet, ont permis de restituer les singularités des personnes concernées par cette histoire collective, dont elles étaient aussi actrices et pas seulement victimes.

La politique du secret a été particulièrement développée en URSS, conduisant à mettre en place un ensemble toujours plus complexe de règles d'accès aux divers documents administratifs. Cet article étudie cette politique vis-à-vis de la statistique démographique, qui conduit à une circulation de l'information des plus parcellaires, non seulement vers le grand public, mais à l'intérieur même des administrations directement concernées. Nous faisons alors l'hypothèse que l'augmentation de la mortalité observée jusqu'à la chute de l'URSS doit être rapprochée de cette politique qui a conduit à une méconnaissance de ce phénomène tant dans la population que dans les milieux politiques qui auraient dû réagir. Les limitations extrêmement importantes à la circulation de l'information sont probablement l'un des facteurs expliquant le retard considérable pris par les pays de la sphère soviétique en termes de baisse de mortalité durant le dernier quart du xx e siècle.

Cet article s'intéresse aux mécanismes à l'œuvre lors des déportations staliniennes qui touchèrent les régions occidentales de l'URSS, annexées une première fois à l'issue du pacte germano-soviétique d'août 1939, puis à l'issue de la Seconde Guerre mondiale. Il porte tout particulièrement sur les enchaînements de nature bureaucratique, impliquant diverses administrations qu'elles soient répressives, politiques ou gestionnaires. Cette articulation bureaucratique, enchaînement d'opérations de traitements de dossiers, d'ordres divers, suivant une logique répétitive et mécanique, combinée avec une organisation ponctuelle de nature quasi-militaire pour mettre en œuvre les déplacements, une fois que la machine bureaucratique a tout organisé sur le papier, produit le caractère massif d'opérations de répressions. Ces processus sont ici examinés en ce qu'ils permettent une action de masse mais aussi pour les conséquences qu'ils induisent en termes de mise en relation de l'individuel et du collectif. Ils sont étudiés à partir de l'exemple d'une des grandes opérations menées en Lituanie, dénommée « opération Printemps », qui commence à être préparée à partir de la mi-février 1948 pour être menée, en deux jours, à la mi-mai de la même année. 12 000 familles (environ 40 000 personnes) sont alors déportées en Sibérie. Les sources qui fondent cette étude sont diverses, sources d'archives, extrêmement précises et riches, qui permettent de comprendre l'ensemble des mécanismes, auxquelles sont combinées des sources orales, recueil de témoignages de personnes ayant vécu ces déportations, collectés dans le cadre d'un large projet collectif portant sur l'ensemble des déportations staliniennes effectuées en Europe centrale et orientale et dans les territoires occidentaux de l'URSS, entre 1939 et 1953.