International audience ; This article proposes to compare the two dramatic genres, looking at the respective political implications of Richard III and A Game at Chess, and reflecting on the historiographical judgments they construct and the possibly political affects they arouse in their spectators. The critical historiographic significance of the two plays lies mainly in the dramaturgical procedures that construct for the audience a generalizing point of view, as well as a process of unveiling. In both cases, the stage performance plays a decisive role. The "comic politics" of A Game at Chess and the "tragic politics" of Richard III differ, however. The former is more of a publication, a revelation than an unveiling. It is not a question of placing the spectator behind the scenes as in Shakespeare's tragedy; nor is it a question of constructing a critical relationship to the history that is written, but of constructing a critical relationship to the history that is being made. Thus, perhaps one could say that if Richard III is situated upstream of history, Middleton's satirical comedy is situated downstream of it. ; Cet article propose de comparer les deux genres dramatiques à partir des portées politiques respectives de Richard III et de A Game at Chess, en réfléchissant sur les jugements historiographiques qu'elles construisent et les affects éventuellement politiques qu'elles soulèvent chez leurs spectatrices et spectateurs. La portée historiographique critique des deux pièces réside principalement dans les procédés dramaturgiques qui construisent pour le public un point de vue généralisant, en même temps qu'un processus de dévoilement. Dans les deux cas, la représentation scénique joue un rôle déterminant. La « politique comique » de A Game at Chess et la « politique tragique » de Richard III présentent néanmoins des différences. La première relève plus d'une publication, d'une révélation que d'un dévoilement. Il ne s'agit pas de placer le spectateur dans les coulisses comme dans la tragédie de Shakespeare ...
Comparatisms in Sorbonne 3-2012: The Clotilde THOURET stage Ruse: 'Theatre, or the revelation of ruses: Jonson and Middleton vs Machiavel' 1 The theatre, or the revelation of ruses: Jonson and Middleton vs Machiavel The English Theatre of First Modernity probably provided a great deal for Marx's vision of capitalism. Not only is his analysis of wear and tear based on the Timon of Athens in Shakespeare 1, but his admirative astonishment at the creative capacity of capitalism may well have been inspired by the jacoban comedies and the harsh characters they portray. The energy and ingenuity deployed by Sir Giles Overreach, Subtle, and others Witgood to take advantage of the opportunities offered by the early capitalism are truly surprising 2. It would appear that the truth itself entered a competition regime. Jean-Christophe Agnew, exploring the confrontational parallel between the market and theatre, measured how much the dramatic production of this time bears the mark of a meaningful crisis affecting all men's activities: through its stratagems, the harsh character metamorphoses the traditional signs and social symbols (language, clothing, rank, etc.) into vulgaries with exchange objects, easily exchangeable goods having lost any ontological link with the reality of positions and identities 3. These economic upheavals are also compounded by political and cultural changes that also disrupt the status of reality or access to truth: demystification and the promotion of secrecy in all areas (political action, legal field, ordinary social life, etc.) is accompanied by the development of concealment and simulation techniques which remove people from the truth and seem to surround them with illusions 4. The promotion of secrecy and ruse also tends to weaken the traditional loyalty bond, already undermined by the emergence of the modern state, religious wars, political instability and the promotion of the private sphere, thus giving very strong political resonance to concerns arising from the upheaval of the end of the ...
International audience ; Comparatismes en Sorbonne 3-2012 : La Ruse en scène Clotilde THOURET : « Le théâtre, ou la révélation des ruses : Jonson et Middleton contre Machiavel » 1 Le théâtre, ou la révélation des ruses : Jonson et Middleton contre Machiavel Le théâtre anglais de la première modernité a sans doute beaucoup nourri la vision qu'avait Marx du capitalisme. Non seulement son analyse de l'usure s'appuie sur le Timon d'Athènes de Shakespeare 1 , mais son étonnement admiratif devant la capacité créatrice du capitalisme pourrait bien aussi avoir été inspiré par les city comedies jacobéennes et les personnages rusés qu'elles mettent en scène. L'énergie et l'ingéniosité déployées par les Sir Giles Overreach, les Subtle, et autres Witgood, pour profiter des possibilités de profit offertes par les débuts du capitalisme sont proprement surprenantes 2. Il semblerait qu'alors la vérité elle-même soit entrée dans un régime de concurrence. Jean-Christophe Agnew, explorant le parallèle conflictuel entre le marché et le théâtre, a mesuré combien la production dramatique de cette époque porte la marque d'une crise de la signification qui touche l'ensemble des activités des hommes : par ses stratagèmes, le personnage rusé métamorphose les signes et les symboles sociaux traditionnels (langage, vêtement, rang…) en vulgaires objets d'échange, marchandises aisément échangeables ayant perdu tout lien ontologique avec la réalité des positions et des identités 3. À ces bouleversements économiques s'ajoutent en outre des changements politiques et culturels qui troublent aussi le statut de la réalité ou l'accès à la vérité : la démystification et la valorisation du secret dans tous les domaines (action politique, domaine juridique, vie sociale ordinaire…) s'accompagne d'un développement des techniques de dissimulation et de simulation qui éloignent d'autant les hommes de la vérité et semblent les entourer d'illusions 4. La valorisation du secret et de la ruse tend par ailleurs à fragiliser le lien de fidélité traditionnel, ...
International audience ; Comparatismes en Sorbonne 3-2012 : La Ruse en scène Clotilde THOURET : « Le théâtre, ou la révélation des ruses : Jonson et Middleton contre Machiavel » 1 Le théâtre, ou la révélation des ruses : Jonson et Middleton contre Machiavel Le théâtre anglais de la première modernité a sans doute beaucoup nourri la vision qu'avait Marx du capitalisme. Non seulement son analyse de l'usure s'appuie sur le Timon d'Athènes de Shakespeare 1 , mais son étonnement admiratif devant la capacité créatrice du capitalisme pourrait bien aussi avoir été inspiré par les city comedies jacobéennes et les personnages rusés qu'elles mettent en scène. L'énergie et l'ingéniosité déployées par les Sir Giles Overreach, les Subtle, et autres Witgood, pour profiter des possibilités de profit offertes par les débuts du capitalisme sont proprement surprenantes 2. Il semblerait qu'alors la vérité elle-même soit entrée dans un régime de concurrence. Jean-Christophe Agnew, explorant le parallèle conflictuel entre le marché et le théâtre, a mesuré combien la production dramatique de cette époque porte la marque d'une crise de la signification qui touche l'ensemble des activités des hommes : par ses stratagèmes, le personnage rusé métamorphose les signes et les symboles sociaux traditionnels (langage, vêtement, rang…) en vulgaires objets d'échange, marchandises aisément échangeables ayant perdu tout lien ontologique avec la réalité des positions et des identités 3. À ces bouleversements économiques s'ajoutent en outre des changements politiques et culturels qui troublent aussi le statut de la réalité ou l'accès à la vérité : la démystification et la valorisation du secret dans tous les domaines (action politique, domaine juridique, vie sociale ordinaire…) s'accompagne d'un développement des techniques de dissimulation et de simulation qui éloignent d'autant les hommes de la vérité et semblent les entourer d'illusions 4. La valorisation du secret et de la ruse tend par ailleurs à fragiliser le lien de fidélité traditionnel, ...
International audience ; Des émotions en chaîne : représentation théâtrale et circulation publique des affects au XVII e siècle Vous allez là pour vous réjouïr, et vous y trouvez un homme qui pleure auprès d'un autre homme, et cet autre auprès d'un autre, et tous ensemble avec la Comédienne qui représente Andromaque, et la Comédienne avec le Poëte : c'est une chaisne de gens qui pleurent, comme dit vostre Platon. […] Ils [Les maux d'autruy] peuvent attacher vostre esprit agréablement, mais non pas le mien. 1 Prenant le parti du rire comique contre les pleurs de la tragédie, le Gélaste de La Fontaine évoque avec dérision l'agrément que son interlocuteur trouve à l'effusion larmoyante dans laquelle la représentation tragique plonge tous les spectateurs. Au-delà de l'opposition générique, le propos du rieur dresse le tableau d'une expérience émotionnelle théâtrale où se nouent des relations distinctes : outre la transmission des passions de la scène à la salle (pleurer « avec la comédienne qui représente Andromaque »), il suggère la constitution d'un « ensemble » où la proximité entre spectateurs joue un rôle dans la production de l'émoi collectif (pleurer « auprès d'un autre homme ») mais revendique pour finir la possibilité d'une diversité affective entre « moi » et les autres. Le discours de Gélaste conduit donc à considérer les émotions théâtrales moins comme un mode d'expression de la subjectivité que comme un mode de relation à autrui. Il invite alors à ne pas se contenter de l'approche poétique qui, elle, cantonne la circulation émotive au rapport entre le personnage et le spectateur, occultant ainsi la dimension essentiellement publique de la séance de théâtre 2. S'en tenir à cette approche, ce serait manquer ce qui fait des émotions théâtrales un fait social : tributaires du contexte de leur diffusion, tant physique que social, celles-ci échappent en effet à toute codification stable, et exigent qu'on fasse d'elles une histoire. Or, à en croire Gélaste, la « chaisne » des émotions constitue l'enjeu principal du théâtre au XVII e siècle. La représentation théâtrale est ainsi un point d'observation fécond des émotions publiques au Grand Siècle, précisément parce qu'elle agence des noeuds de relations-entre la scène, la salle, les spectateurs, les corps vivants, les corps fictifs-qui peuvent, selon les situations, produire des jeux de circulation variés. Cette multiplicité des vecteurs d'émotion conduit d'emblée à repenser l'idée d'une programmation de la réception, souvent considérée comme le propre du classicisme 3. Elle invite par ailleurs à interroger la place de l'émotion singulière au sein de l'assemblée, et la manière dont peuvent s'articuler les affects d'un individu et ceux du groupe. Parallèlement, l'hypothèse d'une conduction des émotions entre spectateurs est inséparable d'une prise en compte de leurs modalités de publication, que ce soit par leur expression (physique ou verbale) ou par les actions qu'elles suscitent. Enfin, se pose la question de la valeur éthique, politique et critique des émotions publiques, à un moment où le statut de la sensibilité constitue un objet de querelles récurrentes, particulièrement vivaces dans le cas du théâtre. Les récits et les descriptions des émotions théâtrales apparaissent dans des écrits qui ressortissent à des contextes discursifs très différents : dédicaces, traités poétiques, textes polémiques d'attaque ou de défense, memoranda, gazettes 4 … Certes, ces évocations des passions qui circulent au sein des assemblées de théâtre sont prises dans des logiques argumentatives parfois très fortes et se trouvent évidemment travaillées par la topique du discours dont elles relèvent. Aussi est-il impossible d'y voir des témoignages directs qui décriraient fidèlement le régime émotionnel lors de la représentation. Néanmoins, plusieurs raisons autorisent à y recourir pour tenter de saisir les effets concrets du spectacle. Tout d'abord, des modèles de compréhension de ces effets se retrouvent d'un texte à l'autre (la fièvre qui saisit le public, par exemple), et parfois chez des auteurs idéologiquement opposés. Ces récurrences font symptôme : elles montrent que la circulation des affects dramatiques pendant et autour de la représentation forme un point de fixation des réflexions de l'époque. En outre, puisque ces discours visent la persuasion, on peut faire l'hypothèse qu'ils décrivent des dynamiques émotionnelles qui ne sont pas sans rapport avec les sensibilités des contemporains et les représentations qu'ils s'en font : cette concordance est la condition de l'efficacité de tels discours. Plus encore, les polémistes affirment 1 La Fontaine, Les Amours de Psyché et de Cupidon [1669], éd. M. Jeanneret, Le Livre de Poche, 1991, p. 123. 2 Sur cette notion, voir C. Biet, « L'unité de la séance de théâtre : point de vue historique, point de vue méthodologique. Pour un autre regard sur le théâtre "classique" », PFSCL, n° 63, 2005, p. 487-504. 3 Pour la réfutation de ce lieu commun critique, voir H. Merlin, Public et Littérature en France au XVII e siècle, Paris, Les Belles Lettres, « Histoire », 1994. 4 Notre corpus réunit textes français et textes espagnols. En Espagne également, le débat sur la légitimité morale du théâtre traverse tout le XVII e siècle. Les adversaires espagnols mobilisent dans leurs attaques des récits et des anecdotes qui figurent la circulation des passions au théâtre, et auxquels font parfois explicitement référence les polémistes français, notamment Voisin.
International audience ; Le projet « Haine du théâtre » du Labex Obvil est né du sentiment que l'heure était venue d'avoir une vue surplombante sur les polémiques théâtrales qui se sont développées dans une grande partie de l'Europe, entre le milieu du XVI e et celui du XIX e siècle. Elles avaient fait l'objet d'études ponctuelles 2 , mais personne n'avait essayé d'embrasser, dans son ensemble, une production pléthorique et très répétitive. Ce ressassement n'exclut pas, du reste, de fortes différences d'un pays à l'autre et d'étranges inversions. Quand la bataille fait rage en Angleterre, au tournant des XVI e et XVII e siècles, elle semble presque inexistante en France ; quand la polémique se tarit en Angleterre, avec la prise de pouvoir des puritains puis la Restauration, elle prend une force et une évidence inédite en France dans les années 1660 et suivantes, où sont publiés les pamphlets les plus retentissants (Conti, Nicole, Voisin et Bossuet). Pour dominer une telle masse de documents, sur une base européenne, il fallait réunir une équipe internationale. Celle-ci s'est fixé un double objectif. La première tâche était documentaire : il s'agissait de recenser un corpus proliférant et mal exploré, d'établir des bibliographies plus complètes et de rassembler, à usage interne, des fac-similés des textes. Le second objectif était d'analyser ces documents, dans une série de séminaires, journées d'étude, colloques et publications 3. LA CONVERSION NUMÉRIQUE DU PROJET « HAINE DU THÉÂTRE » Les humanités numériques (HN) se sont greffées sur un projet qui était, au départ, très « classique ». Peu ou pas formés au numérique, nous avons tout d'abord considéré les HN comme un moyen de mettre à la portée des chercheurs des textes dont beaucoup sont rares et certains inconnus : il s'agissait pour nous, essentiellement, de mettre en ligne un corpus commodément accessible. L'intégration dans le Labex Obvil nous a poussés à privilégier le corpus français, parce qu'il s'intégrait mieux avec les projets des autres équipes qui, au départ, travaillaient uniquement sur la France 4. En outre, le corpus français était moins 1 Ce travail a bénéficié d'une aide d'État gérée par l'Agence Nationale de la Recherche dans le cadre des Investissements d'Avenir portant la référence ANR-11-IDEX-0004-02. Nous remercions Frédéric Glorieux et Vincent Jolivet, ingénieurs à l'Obvil, sans l'aide desquels il n'aurait pas été possible. Ubaldo Floris, Teorici, teologi e istrioni. Per e contro il teatro nella Francia del Cinque-Seicento, Rome, Bulzoni, 2008 ; Donatella Pallotti et Paola Pugliati, dir., La Guerra dei teatri. Le controversie sul teatro in Europa dal secolo XVI alla fine del Ancien Régime, Pisa, ETS, 2008 ; Déborah Blocker, Instituer un « art ». Politiques du théâtre dans la France du premier XVII e siècle, Paris, Champion, 2009. 3 Voir le site du projet, http://obvil.paris-sorbonne.fr/projets/la-haine-du-theatre. 4 Ce corpus polémique est susceptible de s'articuler à la Bibliothèque critique numérique de l'Obvil : si ces textes ne relèvent pas de la critique à proprement parler, ils s'appuient néanmoins sur un système de valeurs qui contribue à construire les normes et les canons de la production dramatique et plus largement littéraire, que ce